L'Europe sans limite ? Des mêmes auteurs... article de Gilles Fumey

L'Europe sans limite ? Des mêmes auteurs... article de Gilles Fumey

Vue de l'extérieur, l'Europe apparaît comme un système historique aux frontières floues. Elle n'est pas un continent borné dans sa totalité par des littoraux comme l'Afrique, l'Amérique ou l'Océanie.

Mais l'Europe n'est pas qu'un continent mal limité : c'est une projection dans le monde qu'elle a construit entre le XVle et le XIXe siècle. Depuis l'époque coloniale, l'Europe est, dans le monde entier, présente dans les esprits. Et c'est dans les esprits que se logent les frontières.

Malgré la vision ancienne réactivée dans les années soixante d'une Europe « de l'Atlantique à l'Oural », il n'y a pas de frontière physique qui tienne. Pas même les rivages atlantiques qui posent le problème du statut de l'Amérique. Quant à l'Oural, c'est une basse montagne que le cartographe de Pierre-le-Grand a annexé à la Russie en déplaçant les limites de l'Asie « barbare » plus à l'Est.

Mais qu'est-ce que l'Europe si on ne peut pas la limiter physiquement ? L'Europe est un agrégat de nations qui désigne depuis le 16e siècle ce qui tenait lieu de chrétienté au Moyen Age. Elle a construit une représentation mouvante de l'espace qui a pu fournir, pendant les crispations politiques, des tracés indurés par des lignes de combats et de défense.

A l'intérieur, on construit aussi facilement les frontières qu'on les efface : la chute du Mur de Berlin a conduit au tracé de plus de 14 000 km de frontières alors que, dans le même temps, l'entrée en vigueur de l'espace Schengen fluidifiait la circulation entre les personnes. Dans la corbeille du mariage monétaire de l'euro, douze pays ont apporté la parité des changes qui n'ont pas encore gommé les distorsions dues aux politiques sociales et aux écarts de richesse. Les frontières linguistiques perdurent mais le nombre de locuteurs qui échangent sans le truchement d'un traducteur progresse. Les frontières religieuses, atténuées, mais parfois ravivées entre chrétiens ou vis-à-vis des Juifs et des Musulmans, se sont déplacées vers un fossé bien plus large entre croyants et non-croyants. Mais les aspirations philosophiques des Européens, leurs pratiques culturelles, leurs goûts sont marqués par une forte convergence, une incroyable inventivité dans tous les types de loisirs et jusque dans les consommations alimentaires. Les rassemblements sportifs, intellectuels, spirituels témoignent de cette volonté de convergence et de partage plus que de compétition

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Sur les marges, la seule question qui hante les Européens est celle d'une limite à l'Est. Mais pour la majorité des Russes, le débat sur les frontières ne se pose pas. Depuis qu'elle a percé deux fenêtres sur la Baltique et la mer Noire, la Russie est en Europe. L'Allemagne est son premier partenaire commercial et pour les vols internationaux, les connexions internet, les échanges d'hydrocarbures, le tropisme occidental est le seul qui compte. Mais le rétablissement des visas par certains voisins comme la Pologne témoigne d'un durcissement préjudiciable aux échanges. La Turquie pose autrement plus

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