Le buffet, Rimbaud

Et de texte : Le Buffet

C'est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,
Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;

Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries,
De fichus de grand-mère où sont peints des griffons ;

- C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches
Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

- O buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires.

Octobre 70   Arthur Rimbaud

LX

Cahiers de Douai, 1870

Intro :

Le buffet rimbaldien publié dans les Cahiers de Douai en 1870 fait pendant au buffet évoqué par Baudelaire en 1857 dans l’un des trois poèmes intitulés « Spleen » ^[1]. Alors que le poème de Baudelaire [le dernier des romantiques et le premier des symbolistes] évoque la mélancolie, celui du jeune Rimbaud [l’un des premiers poètes modernes] semble plus réconfortant mais assez peu original.

 Nous nous interrogerons donc sur cette réécriture qui met en avant le monde du souvenir d’une façon surprenante pour un poète rebelle, plus connu pour des poèmes comme « Sensations » ou comme « la Bohème », qui mettent en avant la joie des sens et l’apologie de la liberté. Pourquoi Rimbaud s’attarde-t-il sur un simple meuble familial alors qu’il est connu pour la fièvre de l’aventure qui s’est emparée de lui au point d’avoir fugué à plusieurs reprises et d’avoir arpenté les routes pour fuir le quotidien ? Que représente un tel objet à ses yeux ?^[2]

Plan : sonnet^[3] en alexandrins ; effet d’encadrement : pouvoirs du buffet évoqués ds la 1ère et la dernière strophe. Cette dernière expose les raisons pour lesquelles il semble doué de pouvoirs.

1er quatrain : pouvoirs du buffet (parle et « verse » des « flots » d’odeurs)

2è quatrain : le contenu du buffet (de modestes mais multiples souvenirs)

1er tercet : le contenu du buffet (suite)

2è tercet : pouvoirs du buffet, suite et fin : ses pouvoirs sont ceux d’un conteur

Lecture

Et. linéaire :

Présent de description : « c’est », « est ouvert », « verse », « se mêle », « bruis »

•        Le poète décrit l’apparence du meuble, ses caractéristiques, de manière simple et précise grâce aux adjectifs nombreux présents dans les str. 1 et 4.

-        Grande taille : « large », « grandes portes »

-        Matériau = bois : « chêne »

-        Décoration : « sculpté »

-        Couleur foncée : « sombre », « portes noires »

-        Ancienneté : polyptote (utilisation de plusieurs mots venant d’un même radical) « très vieux » (renforcé par l’hyperbole), « vieilles gens », « vieux », « du vieux temps »

•        Il décrit aussi l’état du buffet au moment où il le regarde :

Ex : il est « ouvert »

•        Le buffet contient un amoncellement d’objets hétéroclites : absence de rangement, désordre

-        Le buffet déborde. Ex : hyperbole « tout plein »

-        Son contenu est en désordre. Ex : « fouillis », « se mêle »

-        Il contient une grande quantité d’objets. Ex : « un flot » + tous les noms sont au pluriel (« linges », « dentelles », « médaillons », etc.). Des objets très différents, ayant appartenu à des personnes de tout âge.

-        Le désordre et la quantité sont aussi soulignés par la figure de l’énumération + les enjambements v. 6-7, 9-10, 11-11 : contenu dense et varié.

•        Ce sont eux aussi des objets du quotidien, liés aux personnes qui les ont utilisés

-        Des vêtements surtout : ch lex du textile

-        Des souvenirs : « les médaillons », « les mèches de cheveux », « les portraits », « les fleurs séchés »

-        Ces objets gardent la trace des humains, qui sont d’ailleurs désignés par les noms communs « femmes », « enfants », « grand-mère » : les objets ont appartenu à différentes générations

// grenier ou d’album photo : il est une trace du passé.

-le buffet symbolise le temps qui passe, la mémoire : un poème discrètement lyrique

Le poète évoque un objet familier : poème descriptif, qui évoque un objet du quotidien, simple, banal, présent dans toutes les maisons.

V1 : présentatif ; simplicité de la présentation, qui consiste à mettre sous les yeux du lecteur directement l’objet dont il est question ; (nb. : 3 fois le présentatif avec le V d’état « c’est ») : simplicité du style.

Toutefois, polysémie : « buffet sculpté » :  par la vieillesse ou par la main humaine (sens propre ou figuré) ?

V 2 et 4 + toute la 2è strophe : jeux d’assonances (en « iei » et en « i ») qui donnent un caractère « tremblotant » aux évocations, en accord avec le thème des choses vieillottes et fragiles : voir ci-dessus en violet : « vieux, pris, si vieilles vieux fouillis, vieilles vieilleries, chiffons, flétries » griffons »

→ effet d’annonce : le poète nous fait déjà entendre le bruissement qui est celui du buffet (cf. V 13 « tu bruis… » (bruissement imaginaire qui renvoie de façon métaphorique aux murmures de l’imaginaire et aux pouvoirs de la parole conteuse…)

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