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Note juridique sur les espaces sans tabas

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Par   •  3 Octobre 2025  •  Fiche  •  1 791 Mots (8 Pages)  •  36 Vues

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Dalloz actualité

Dalloz actualité 10 juillet 2025

Principe dispositif et perte de chance

Cass., ass. plén., 27 juin 2025, B+R, n° 22-21.812

Cass., ass. plén., 27 juin 2025, B+R, n° 22-21.146

Hadi Slim, Professeur à l'Université de Tours

 

Résumé

Par deux arrêts du 27 juin 2025, l'assemblée plénière de la Cour de cassation a déterminé les contours du principe dispositif lorsque la victime d'un dommage demande simplement à être intégralement indemnisée alors que cette dernière n'a subi qu'une perte de chance.

Après avoir retenu que « toute perte de chance ouvre droit à réparation » (Civ. 1re, 12 oct. 2016, n° 15-23.230 et n° 15-26.147 ; D. 2017. 46 , note J. Traullé ; ibid. 24, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; D. avocats 2016. 365, obs. M. Mahy-Ma-Somga ; Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 18-25.440, Dalloz actualité, 19 juin 2020, obs. A. Hacene-Kebir ; D. 2020. 1100 ; ibid. 2021. 46, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; RDI 2020. 524, obs. H. Heugas-Darraspen ; AJ contrat 2020. 385, obs. C. François ; RTD civ. 2020. 629, obs. H. Barbier ) et qu'on ne saurait exiger de la victime « la preuve d'une perte de chance raisonnable » (Civ. 2e, 15 sept. 2022, n° 21-13.670, Dalloz actualité, 23 sept. 2022, obs. C. Hélaine ; ibid., 3 oct. 2022, obs. J. Delayen ; D. 2022. 1955 , note C. Bouland ; ibid. 2023. 1869, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD civ. 2022. 894, obs. H. Barbier ; ibid. 2023. 158, obs. J. Klein ), la Cour de cassation vient d'élargir encore plus la possibilité pour la victime d'une telle perte d'obtenir réparation en fixant le cap que doit suivre la jurisprudence lorsque la victime se contente de demander la réparation de son entier dommage alors que cette dernière n'a subi qu'une perte de chance.

Manque de fermeté de la jurisprudence antérieure

Si certains arrêts de la Cour de cassation ont déjà eu l'occasion de statuer que « le juge ne peut refuser d'indemniser une perte de chance de ne pas subir un dommage, dont il constate l'existence, en se fondant sur le fait que seule une réparation intégrale de ce dommage lui a été demandée » (Civ. 1re, 20 janv. 2021, n° 19-18.585, AJDI 2021. 302 ; 6 oct. 2021, n° 20-13.526 ; Com. 9 nov. 2022, n° 21-11.753, D. 2023. 1869, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; Civ. 1re, 1er mars 2023, n° 21-25.868, AJDI 2023. 305 ; Civ. 3e, 7 nov. 2024, n° 23-12.315, D. 2024. 1959 ; Civ. 1re, 25 sept. 2024, n° 23-15.925, Dalloz actualité, 1er oct. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1669 ), d'autres arrêts ont préféré retenir une conception plus stricte du principe dispositif découlant des articles 4 et 5 du code de procédure civile.

Partant ainsi de l'idée que selon cette conception, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et que le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé, ces derniers arrêts ont préféré ne pas mettre à la charge du juge l'obligation de soulever l'existence d'une perte de chance ou la recherche d'une telle perte de chance quand il écarte la réparation de l'entier préjudice lorsque celle-ci n'est pas demandée (Civ. 1
re, 30 avr. 2014, n° 12-21.395 ; Soc. 15 févr. 2023, n° 21-17.455).

Établissement d'une véritable dérogation au principe dispositif

Il est certes admis depuis longtemps que la mise en œuvre du principe dispositif n'interdit pas au juge d'interpréter la volonté du demandeur sans s'arrêter à la lettre des conclusions (J. Héron, T. Le Bars et K. Sahli, Droit judiciaire privé, LGDJ, n° 274). Cet aménagement du principe dispositif relève néanmoins du pouvoir souverain d'interprétation des juges du fond. Dès lors, en décidant d'endosser la solution admise par la première catégorie d'arrêts cités ci-dessus et d'élever, au rang de principe, l'interdiction pour le juge de refuser l'indemnisation d'une perte de chance en se fondant sur le fait que seule une réparation intégrale de ce dommage lui a été demandée, l'assemblée plénière de la Cour de cassation établit une véritable dérogation au principe dispositif dans ce domaine.

Deux affaires soulevant un même problème de droit

Dans l'affaire ayant donné lieu au premier arrêt, une société a été condamnée, après avoir licencié l'un de ses salariés, à lui verser une certaine somme au titre de la clause de non-concurrence à laquelle il était soumis. Estimant que son avocat avait manqué à ses obligations d'information et de conseil quant aux conséquences de l'absence de libération de cette clause lors du licenciement, la société l'a assigné en responsabilité. Elle fut déboutée par la Cour d'appel de Versailles qui, bien que constatant que le manquement commis par l'avocat avait causé un préjudice à la société, avait considéré que le préjudice subi était une simple perte de chance dont cette société n'avait pas demandé la réparation

Dans l'affaire ayant donné lieu au second arrêt, une société avait vendu à une SCI un ensemble immobilier en vue de la réalisation de bureaux destinés à la location. En l'absence d'exécution des travaux d'aménagement du lotissement et d'obtention par le vendeur d'une autorisation de procéder à la vente des lots avant cette exécution, la SCI, qui n'a pu obtenir de permis de construire à l'issue de la vente, a assigné le notaire ayant instrumenté l'acte de vente en responsabilité. La Cour d'appel de Poitiers (Poitiers, 10 sept. 2019, nº 17/02875) a débouté la SCI au motif que son inertie délibérée et prolongée à l'égard du vendeur est constitutive d'une faute qui rompt tout lien causal entre les préjudices allégués et les fautes imputées au notaire. Saisie d'un pourvoi, la première chambre civile de la Cour de cassation a censuré l'arrêt de la Cour d'appel de Poitiers (Civ. 1
re, 30 juin 2021, n° 20-10.472), au motif que celle-ci, après avoir relevé que le notaire avait manqué à son devoir de conseil, avait elle-même constaté que l'acquéreur, en raison du manquement du notaire, s'était trouvé contraint d'agir contre le vendeur pour tenter d'obtenir la réalisation des travaux, et a renvoyé l'affaire devant la Cour d'appel de Limoges. Or, après avoir retenu que le notaire ne saurait se prévaloir d'une inertie fautive de la part de la SCI, la Cour d'appel de Limoges a rejeté les demandes indemnitaires formées par la SCI au motif que celles-ci s'analysent en une perte de chance et constaté que la SCI n'a formulé aucune demande indemnitaire sur ce fondement (Limoges, 23 juin 2022, n° 21/00776).

Motivation retenue par l'assemblée plénière

C'est aux visas des articles 4 et 1240 du code civil et des articles 4 et 5 du code de procédure civile, que l'assemble plénière de la Cour de cassation censure les arrêts de la Cour d'appel de Versailles et de la Cour d'appel de Limoges. La motivation retenue par l'assemblée plénière mérite l'attention dans la mesure où les aspects procéduraux et substantiels sont intimement liés.

L'assemblée plénière commence par rappeler que la perte de chance est caractérisée par la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable et que « la reconnaissance d'une perte de chance permet de réparer une part de l'entier dommage, déterminée à hauteur de la chance perdue, lorsque ce dommage n'est pas juridiquement réparable ». Il ne s'agit là que de l'affirmation de principes dégagés depuis longtemps par la jurisprudence. Mais, ce rappel est en réalité le prélude permettant d'aboutir à la constatation selon laquelle le préjudice ainsi réparé, c'est-à-dire la perte de chance, « bien que distinct de l'entier dommage, en demeure dépendant ».

C'est dans cette dernière formule que réside le cœur de la motivation de l'assemblée plénière. Le caractère « distinct » de la perte de chance a depuis longtemps été admis par la jurisprudence (Civ. 1
re, 12 nov. 1985, n° 84-12.759) et est aujourd'hui largement admis en doctrine. La perte de chance doit ainsi elle-même présenter, de manière autonome, les caractères que doivent réunir les préjudices réparables. La dépendance de la perte de chance par rapport à « l'entier dommage » est plus problématique. Certes, la perte de chance, dans la mesure où elle permet de réparer une part de « l'entier dommage », ne peut être mesurée qu'en tenant compte de ce dernier. Mais, l'exercice permettant l'évaluation de la perte de chance ne suffit pas à en déduire sa dépendance par rapport à « l'entier dommage ». Si d'autres signes de cette dépendance, notamment sur le terrain procédural, peuvent être relevés, ceux-ci sont notamment cantonnés au domaine des préjudices corporels.

Invocation du déni de justice

On comprend ainsi la référence faite par l'assemblée plénière à l'article 4 du code civil, relatif au déni de justice, pour étayer la solution qu'elle a adoptée. Argument non conventionnel, cet article permet de couper court à toute discussion relative au caractère dépendant ou non de la perte de chance. Dès lors, selon l'assemblée plénière de la Cour de cassation, c'est au risque de commettre un déni de justice que « le juge ne peut refuser de réparer un dommage dont il a constaté l'existence en son principe ».

Sur la base de cette motivation l'assemblée plénière de la Cour de cassation tire deux conclusions. D'une part, « le juge peut, sans méconnaître l'objet du litige, rechercher l'existence d'une perte de chance d'éviter le dommage alors que lui était demandée la réparation de l'entier préjudice ; il lui incombe alors d'inviter les parties à présenter leurs observations quant à l'existence d'une perte de chance ». D'autre part, « le juge ne peut refuser d'indemniser une perte de chance de ne pas subir un dommage, dont il constate l'existence, en se fondant sur le fait que seule une réparation intégrale de ce dommage lui a été demandée ».

Conséquences paradoxales

Même si ces deux arrêts se rapportent à la responsabilité de professionnels du droit, un avocat et un notaire, leur portée dépasse de loin le domaine des responsabilités professionnelles. Elle couvre l'ensemble des hypothèses où une perte de chance est en jeu. Si ces deux arrêts ne conduisent finalement pas à une solution favorable à l'avocat et au notaire parties aux deux litiges, la solution dégagée par l'assemblé plénière de la Cour de cassation, apporte, paradoxalement, une certaine protection aux professionnels du droit dans leur ensemble. En conférant au juge le pouvoir de rechercher l'existence d'une perte de chance et en lui imposant d'indemniser une perte de chance même lorsque celle-ci n'a pas été demandée, l'assemblée plénière de la Cour de cassation limite indirectement la possibilité de retenir la responsabilité de ces derniers lorsque celle-ci découle de manquements à leurs obligations d'information ou de conseil, voire lorsqu'elle résulte de simples oublis ou de formulations maladroites.

Mots clés :

CIVIL * Responsabilité

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