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Arrêt Dieudonné (ordonnance du 9 janvier 2014)

Commentaire d'arrêt : Arrêt Dieudonné (ordonnance du 9 janvier 2014). Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  19 Avril 2023  •  Commentaire d'arrêt  •  1 871 Mots (8 Pages)  •  284 Vues

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Par une ordonnance n° 374508 en date du 9 janvier 2014, le Conseil d’État, en tant que juge des référés, juge légale l’interdiction d’un spectacle dont le contenu pénalement répréhensible porte atteinte aux composantes immatérielles de l’ordre public.

Le requérant souhaite interpréter son spectacle « Le Mur » dans la commune de Saint-Herblain, programmé le 9 janvier 2014. Par un arrêté en date du 7 janvier 2014, le préfet de la Loire-Atlantique, en vertu de ses pouvoirs de police générale, a interdit la tenue dudit spectacle en tant qu’il constitue, en lui-même et à raison de son contenu un trouble à l’ordre public immatériel et pour prévenir les risques susceptibles d’être induits par le spectacle en matière de sécurité et de tranquillité publiques.

Au titre de la procédure d’urgence prévue par l’article L. 521-2 du code de justice administrative, l’humoriste a saisi le juge des référés du tribunal de Nantes lui demandant d’annuler l’arrêté préfectoral en ce qu’il constitue une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés d’expression, de réunion et de travail, lesquelles sont garanties par la Constitution. Par une ordonnance n° 1400110, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a, en première instance, suspendu l’arrêté préfectoral de Loire-Atlantique.

Le ministre de l’intérieur interjète appel le 9 janvier 2014 devant le Conseil d’État, juge d’appel en référé auquel il demande d’annuler l’ordonnance du tribunal de Nantes.

Une autorité administrative peut-elle, au titre de ses pouvoirs de police générale, interdire un spectacle dont le contenu pénalement répréhensible porte atteinte aux composantes immatérielles de l’ordre public ?

À cette question, le Conseil d’État répond par l’affirmative, en rappelant qu’il revient aux autorités de police administrative, au titre de leur pouvoir de police générale, de prendre les mesures de nature à éviter que des infractions pénales soient commises afin de préserver l’ordre public dont les composantes classiques — salubrité, tranquillité, sécurité — sont aujourd’hui complétées non seulement par la moralité publique, les valeurs républicaines ou la dignité humaine. L’immixtion de la police administrative générale dans la mission qui incombe principalement à la police judiciaire, c’est-à-dire la recherche des infractions pénales déterminées, est confirmée par le juge des référés (I) à qui il incombe, cependant, de vérifier que sa mise en œuvre est conforme aux exigences de l’État de droit libéral en matière de police administrative (II).

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I. — Une immixtion confirmée par le Conseil d’État

Le Conseil d’État, juge d’appel en référé, admet la possible immixtion des autorités de police administrative, au titre de leur pouvoir de police générale, dans la prévention d’une infraction pénale déterminée (A), lorsque celle-ci est en même temps constitutive d’une atteinte à l’une des composantes immatérielles de l’ordre public (B).

A. — Une immixtion admise par le Conseil d’État, juge d’appel en référé

En jugeant légale l’interdiction d’un spectacle par une autorité administrative, au titre de ses pouvoirs de police générale, en raison d’un contenu constituant une infraction pénale, à savoir « des propos de caractère antisémite, qui incitent à la haine raciale, et font, (...), l’apologie des discriminations, persécutions et exterminations perpétrées au cours de la Seconde Guerre mondiale », le Conseil d’État admet l’immixtion de la police administrative dans les missions qui incombent habituellement à la police judiciaire. En effet, dans son sixième considérant, le Conseil d’État affirme : « Qu’il appartient en outre à l’autorité administrative de prendre les mesures de nature à éviter que des infractions pénales soient commises ». Pourtant, la ligne de démarcation entre police administrative et police judiciaire tient à la finalité étroite que cette dernière a héritée de la Révolution française, c’est-à-dire la recherche des auteurs et des preuves en rapport avec une infraction pénale déterminée. En résumé, ce qui distingue la police administrative de la police judiciaire c’est le caractère déterminé ou non de l’infraction qu’il s’agit d’empêcher ou de réprimer. Ce critère d’identification a été retenu pour la première fois par le juge administratif dans un arrêt de section en date du 11 mai 1951, dit Consorts Baud et réaffirmé dans une décision du Tribunal des conflits en date du 7 juin 1951, dit Dame Noualek. Cette immixtion est d’autant plus importante ou grave que la liberté d’expression ou de spectacle connaît aujourd’hui un régime purement répressif, c’est-à-dire qu’elle n’est soumise à aucune autorisation ou déclaration préalable. En dernière analyse, l’immixtion est justifiée par le fait que l’infraction pénale est en même temps constitutive d’une atteinte aux composantes immatérielles de l’ordre public.

B. — Une immixtion justifiée par l’atteinte aux composantes immatérielles de l’ordre public

C’est le fait que l’infraction pénale soit constitutive d’une atteinte aux composantes immatérielles de l’ordre public qui justifie l’immixtion de la police administrative et son caractère légal. En effet, le Conseil d’État relève deux types de composantes à l’ordre public immatériel : d’une part, « la cohésion nationale » et d’autre part, « la dignité de la personne humaine ». À l’origine, l’ordre public se conçoit comme un ordre public, extérieur et matériel dont le périmètre a, pour la première fois, été donné dans une loi du 14 décembre 1789 relative aux communes et à la

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circonscription des pouvoirs propres du maire, aujourd’hui codifiée et précisée à l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités publiques : « La police a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ». Toutefois, le droit positif a, depuis longtemps, admis la possibilité d’un certain ordre public immatériel et a fait émergé trois types d’éléments immatériels, dans l’ordre d’apparition : la moralité publique (CE, 17 décembre 1909, Chambre syndicale de la Corporation des marchands de vins liquoristes), ou la décence publique (CE, sect., 18 décembre 1959, Société Les films Lutétia), la dignité humaine (CE, ass., 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge) et les valeurs républicaines (CC, 7 octobre 2010, n° 2010-613 DC, Loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public).

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