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Platon, Gorgias

Fiche : Platon, Gorgias. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  25 Novembre 2019  •  Fiche  •  4 974 Mots (20 Pages)  •  635 Vues

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Introduction :

« Face au réel, ce qu'on croit savoir clairement offusque ce qu'on devrait savoir »[pic 2]

                                                      (Bachelard)

   À propos de la croyance, Sartre note qu’elle est par essence une forme d’adhésion subjective de ma conscience (par exemple je crois fermement que Pierre est mon ami, je crois en Dieu tout-puissant) mais sans la certitude d’un savoir objectif[1]. Parfois même, le sujet de la croyance refuse d’entendre les objections qu’on lui adresse et se barricade dans la certitude « d’en savoir assez », ce qui, pour Sartre, constitue l’essence même de la mauvaise foi.

   Platon est déjà particulièrement conscient du problème de la manipulation mentale menée par des orateurs habiles et cupides comme le sont selon lui les sophistes. Dans cet extrait de Gorgias, le but poursuivi par Socrate face à son adversaire (le sophiste Gorgias en personne !) s’impose comme décisif et double : D’une part, faire saisir les limites de la croyance, quelle qu’elle soit, dans la mesure où elle est généralement adoptée suite à des discours persuasifs, émotionnellement efficaces, mais incapables de déterminer clairement les notions ou les idées qu’elle transmet. La croyance devient le résultat d’une rhétorique qui fait croire que l’on sait de quoi on parle alors que rien n’a été démontré avec soin. D’autre part, il s’agit par là même de faire valoir l’importance d’une véritable science (ἐπιστήμη – épistémè), susceptible de constituer un savoir précis et fiable par opposition aux simples opinions et sentiments personnels.

   Le texte, par une suite bien menée de questions posées par Socrate, conduit Gorgias à admettre ce que son interlocuteur veut l’entendre confesser, à savoir que les sophistes ne sont pas de vrais philosophes parce qu’ils n’ont pas à cœur de chercher la vérité mais seulement d’œuvrer à persuader les gens du plus vraisemblable dans une circonstance donnée.

   Ce questionnement s’effectue en trois grandes étapes : dans la première (lignes 1-11), on assiste à une sorte de maïeutique qui permet successivement de : 1°) Poser la distinction entre le savoir et le croire (l.1-3). 2°) Indiquer que le moyen de bien s’en apercevoir est de rappeler qu’il existe des croyances fausses et des croyances vraies. (l.4-7). 3°) Opposer alors le croire au savoir sur la base du principe qui exclut la possibilité qu’il y ait une « fausse science », ce qui serait en effet contradictoire en soi.

   Ensuite, dans un deuxième temps (lignes 12 à 24), Socrate pousse son vis-à-vis à se focaliser sur la persuasion que chacun croit détenir. Par là, il va nous faire saisir l’opposition fondamentale entre une persuasion qui se sera constituée sur des croyances et une persuasion qu’un vrai savoir a su produire (convaincre rationnellement).

   Cela prépare l’ultime étape qui se charge de jeter le discrédit sur la rhétorique (et implicitement la sophistique) qu’utilisent des orateurs dans des assemblées publiques et des tribunaux pour emporter l’adhésion de leur auditoire. Leurs méthodes oratoires ne sont par là même qu’un ensemble de stratagèmes pour gagner une cause sans disposer de la science nécessaire qui saurait définir les vrais sujets (la justice par exemple) que leurs brillantes et creuses causeries abordent (Lignes 24-34).

   Ce texte est capital à plus d’un titre : il permet de tracer une frontière de feu entre la pensée rationnelle (au service de la vérité) et toutes les formes d’assentiment mental à l’égard de croyances qui ne sont pas prouvées. Il va de soi que le problème d’une foi aveugle qui se transforme en distorsion intellectuelle demeure d’une actualité brûlante : des préjugés aux idéologies de masse en passant par tous les groupuscules sectaires et les mouvances terroristes, l’humanité n’en finit pas de céder aux chants mensongers des sirènes de la persuasion qui manipule et pousse au crime. Surplombant ces atrocités, le sage et son savoir prudent mais tenace en sortent certes grandis mais aussi impuissants voire dérisoires.

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Première partie :

   L’art de Socrate se dévoile à merveille ici : il paraît, comme il le dit dans le Théétète, ne pas dispenser de savoir mais faire « accoucher » les autres de ce qu’ils recèlent au fond d’eux-mêmes.

   En réalité, Socrate sait pertinemment d’avance ce qu’il veut démontrer, et toute sa finesse revient à conduire                                                                                                                                                                       son  adversaire à répondre dans la direction qu’on lui indique pour affirmer une chose importante. Gorgias, sophiste réputé, se transforme ainsi en élève consentant d’une suite de questions-réponses destinée à le piéger. Le premier élément abordé, comme nous l’annoncions en introduction, opère la séparation entre savoir et croire. Socrate n’offre pas l’occasion à Gorgias de le lui expliquer – comme s’il en était incapable – mais se borne à lui demander son « avis » sur le sujet. Et Gorgias ne répond pas par une analyse mais se contente de croire que raison et croyance sont des choses distinctes. Question et réponse enferment l’adversaire dans le registre de la pure opinion personnelle et de la simple croyance, comme si l’on ne pouvait rien attendre de mieux d’un sophiste. À ce niveau, le consensus atteint repose sur le présupposé d’un fossé entre deux registres : Effectivement, l’étymologie de croire (credere en latin) nous renseigne sur le fait que la croyance est une forme de crédit accordé à quelqu’un ou à quelque chose, mais sans garantie objective que cela soit entièrement véridique. Cette absence de certitude fragilise donc la croyance en la rangeant aux côtés de la simple opinion (doxa) qui peut n’être que mon avis personnel, lui-même influencé par mon milieu, mon humeur ou quelque rumeur médiatique. Chacun peut alors croire ce qu’il veut, des faits les plus plausibles jusqu’aux superstitions les plus farfelues, sans que les bases de ces croyances soient assez solides pour devenir un savoir digne de ce nom. Bien des siècles plus tard, Gaston Bachelard accusera l’opinion de mal penser voire de ne pas penser du tout[2].

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