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Marcus Garvey

Rapports de Stage : Marcus Garvey. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  20 Août 2013  •  9 014 Mots (37 Pages)  •  911 Vues

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Corps d'humains // corps dedjinns

Tobie Nathan [1]

Observation n°1 : Un étranger dans la maison [2]

D’entrée, après quelques minutes d’entretien, les parents nous brossent un tableau de la situation. Souleyman, l’aîné des enfants, serait possédé par une djenneya – une femme-djinn – qui le distrait sans cesse, l’empêchant d’étudier, qui verse sur lui de l’urine et des matières fécales ou, quelquefois, lui presse les entrailles afin de le faire lui-même uriner ou déféquer, n’importe où, n’importe quand.

Elle lui modifie son comportement, l’incitant à commettre des dépradations ou à se montrer agressif envers d’autres enfants ou envers sa propre famille – "elle le contraint à courir et à taper sur les voitures…", dit le père.

Elle le réveille en pleine nuit pour le menacer. Elle lui parle également et il l’entend dans sa tête et parfois dans ses oreilles.

Elle commet elle-même des détériorations. Elle fait couler de l’urine ou des matières fécales du plafond, déplace la télévision en pleine nuit, cache des chaises ou les brise. Elle se présente également aux autres membres de la famille. La maman l’a déjà vue en rêve. Quant aux autres enfants, Leïla et Chams, ils commencent à leur tour à être perturbés par la djenneya .

Leïla : _ je vois des fois des yeux, des lunettes ; des fois je vois un homme…

Depuis le début de ces manifestations, les parents ont consulté un très grand nombre de guérisseurs, tant maghrébins que français. Ils ont également fait appel à la psychiatrie et aux services sociaux avant, finalement, et en désespoir de cause, de s’adresser à la justice.

M. ´Hok : _ … le satan de mon fils s’est manifesté… l'enfant il faisait peur… Un français magnétiseur a dit je sens qu'il y a quelqu'un sur ses nerfs. Après l’intervention du magnétiseur, l'enfant est devenu normal. Puis, il y avait des traces à la maison, de l'eau sur les murs, autour des WC… un jour, dans la classe il y avait de l'urine par terre… Le maître a dit à l'enfant c'est toi ? J'ai fait l'enquête l'enfant avait été travaillé par le diable, par le sheytan. Parce qu’on se demande qui déchire les feuilles… Ma belle sœur, elle a consulté… on lui a dit que la cause de tout, c’était l’Italien… En fait, les Italiens, les voisins, avaient fait appel à un Malien. Le guérisseur marocain a dit "ce n'est pas l'enfant, c'est le diable ! Il le prend par la main et le frappe avec une lumière blanche. Il faut dire que cet enfant, Dieu le protège… Sans cela, il serait déjà mort depuis longtemps… Nous sommes allés consulter un spécialiste, un fkih marocain, chez lui, là bas, dans l'Atlas. Il n’a pas pu faire entrer Souleyman en transe parce qu’il était trop jeune. Pour faire sortir l’esprit, il faut que la djenneya soit là… il n'arrivait pas à déclencher la transe pour parler avec la djenneya… il a essayé, pourtant.

D’après la famille, tout aurait commencé à cause d’une querelle de voisinage. Les locataires de l’étage supérieur, une famille d’origine italienne faisaient perpétuellement du tapage. À plusieurs reprises, M. et Mme ´Hok leur auraient demandé de cesser ce bruit insupportable, obsédant, jour et nuit. Finalement, la famille ´Hok a porté plainte. Les gendarmes sont intervenus et les Italiens, pour se venger, auraient fait un premier sort (en arabe s’hur ) contre Souleyman, un second contre toute la famille.

Le sort aurait comporté l’envoi d’un esprit – un djinn – sur Souleyman. Pourquoi sur lui, précisément ? Pour la simple raison qu’il était là au moment de l’agression sorcière.

M. ´Hok : _ … Mon enfant a été attaqué… il avait 7 ans. Il va avoir 12 ans. Maintenant, il ne travaille plus à l'école… avant il était premier, maintenant dernier.

Les mots

Djinn : êtres surnaturels susceptibles de s'emparer du corps et du fonctionnement psychique d’une personne afin d'obtenir une compensation de la part des humains : une offrande, un sacrifice, un autel.

Djinn – est un mot arabe provenant d’une racine prolifique.

La matrice, janna , évoque l’idée d’obscurité, de voile, surtout de dissimulation. Djinn désigne avant toute chose un "être invisible" .[3]

Le pluriel, jenoun ou jnoun a donné junan ou jenan qui signifie "la folie" – car être pris, capturé par un être invisible implique l’aliénation de la personne.

Texte paru dans "Corps" Prétentaine, ©, N° 12/13, Montpellier, mars 2000, 71-90.

Majnoun signifie être sous l’emprise d’un djinn – donc, littéralement : "endjinné" – mot généralement utilisé pour désigner la folie.

Cependant, cette même racine a produit d’autres mots permettant de faire ressortir vivement la polysémie intrinsèque du terme :

janin , "le fœtus", sans doute du fait qu’il est toujours caché – ou peut-être le long d’une sorte de métaphore : le djinn caché dans la nuit comme un fœtus dans la matrice…

jénéna , "le jardin" ;

jennat , "le paradis" ;

janan , "le cadavre, le tombeau".

En arabe courant, pour dire fou, on utilise le mot majnoun. Cependant, on peut presque indiféremment dire:

majnoun : "pris par un djinn", "endjinné"

madroub : "frappé" [par un djinn]),

markoub : "monté" [par un djinn]),

maskoun : "habité" [par un djinn]),

mamlouk : "possédé" – au sens où l'on "possède", l'on est "propriétaire"

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