Théâtre et morale

"C’est une extraordinaire chose que le théâtre. Des gens comme vous et moi s’assemblent le soir dans une salle pour voir feindre par d’autres des passions qu’eux n’ont pas le droit d’avoir – parce que les lois et les mœurs s’y opposent", disait André Gide, écrivain français. Le théâtre, comme sa définition l’indique, est un genre littéraire comprenant les œuvres écrites destinées à être représentées par des comédiens sur scène.

Bousculer les tabous, raviver l'espoir chez le petit peuple opprimé, faire rire et pleurer, choquer, rassurer, approuver, contester, rêver... le théâtre est un jeu de l'émotion, même si les acteurs et auteurs ont ressenti le besoin d'en faire aussi un jeu d'esprit.

En effet, l’argumentation, dont l'objectif est de soutenir un point de vue pour emporter l'adhésion d'un adversaire, est très présente au sein du théâtre. Le locuteur d'un discours argumentatif développe ainsi un certain nombre d'arguments qui étayent sa thèse.

Nous nous demanderons alors comment la représentation théâtrale permet-elle de tenir un propos argumentatif sur la société.

Dans un premier temps, nous verrons que cette représentation théâtrale permet de tenir un propos argumentatif par sa mise en scène. Puis, nous observerons que le dialogue, seul ou partagé permet également d’appui pour l’argumentation. Pour finir, nous montrerons que ce propos est soutenu par la morale de la pièce de théâtre.

La mise en scène d’une pièce passe tout d'abord par la scénographie, le rôle attribué aux acteurs, sans oublier la présence d’un public, pour qui le spectacle est représenté.

Premièrement, rappelons-nous que l'essence même du théâtre est de toucher le destinataire par le moyen d'une représentation scénique. Molière affirmait d’ailleurs : "Les comédies ne sont faites que pour être jouées." Pour cela, la scénographie, qui est l’art de disposer un espace théâtral (qu’il s’agisse du décor, des lumières, ou des accessoires…) est essentielle pour la représentation théâtrale. Ce sont souvent les didascalies qui livrent des indications sur la mise en scène mais parfois, les metteurs en scène aiment prendre des libertés et s’en détacher.

Le décor peut-être réaliste ou symbolique. Pour le décor réaliste, le metteur en scène cherche à recréer minutieusement un lieu. Ainsi, les spectateurs s’y projetterons plus facilement, et donc entrerons plus aisément dans l’histoire. Ce choix de mis en scène est surtout adopté au début du XXème siècle. Par exemple, un salon peut être représenté, puis une chambre, afin de souligner le changement de lieu. Cette représentation de L’île aux esclaves, mise en scène par Benjamin Jungers, rappelle par ces étoffes et tissus, l’embarquement dont se sont échoués Iphicrate et Arlequin, tout comme Euphrosine et Cléanthis. En effet, les tissus font appel aux voiles d’un bateau.

Le décor symbolique lui, crée un espace imaginaire, à partir de jeux de volumes et de matière. Il est souvent utilisé lorsque la pièce est-elle-même très symbolique et imagée. L’espace scénique symbolisé accentue l’aspect dramatique de la pièce. Par exemple, dans En attendant Godot, le décor figure un univers imaginaire, très symbolique. Dans la mise en scène de Francis Azéma (représentation ayant eu lieu au théâtre du pavé à Toulouse), le plan est incliné, le décor représentant une colline sur laquelle se trouve un seul arbre. L’absence de décor est voulue : elle représente l’absence même de repères et de but dont les personnages sont affligés. En effet, la phrase « il n’y a rien à faire » de Vladimir et Estragon tout au long de la pièce revient comme un refrain.

Les objets, accessoires scéniques sont également très significatifs : dans En attendant Godot, Lucky, esclave privé de toute humanité par son maître Pozzo, ne peut pas exprimer ses sentiments. Mais la corde qu’il a autour du coup, qui lui sert de laisse, suffit à susciter la révolte de Vladimir et Estragon ainsi que celle du public. Cela instaure un conflit entre les défenseurs de l’humanité et ceux qui l’accablent. Dans la scène 13 de la Colonie de Marivaux, les femmes utilisent des objets significatifs pour donner de la valeur à leurs idées : un tambour et une affiche. Les objets aident effectivement à soutenir une argumentation.

Les acteurs adoptent un rôle différent d’eux-mêmes. Leur statut se dévoile à travers leurs costumes notamment. Pour comprendre ce qui peut pousser un groupe d'excentriques à enfiler des costumes étranges et à réciter des paroles décalées devant un public ravi, il suffit de nous replonger dans notre enfance : « moi je serais la princesse et toi le prince », « je serais le policier et toi le voleur ». Le théâtre, dans ce cas-là pour se divertir. Mais le théâtre, et ce dès le temps des grecs, a une fonction argumentative, et permet de faire passer un message à travers une pièce jouée sur scène. La mise en scène est alors très importante, donne un sens au texte, à l’histoire et au message véhiculé par celle-ci.

Les masques peuvent également aider le spectateur à identifier rapidement l’identité du personnage. L’un des avantages des masques consistait à reproduire le fidèlement un personnage particulier avec un caractère déterminé. Lors de mon dernier stage de théâtre, nous avons travaillé sur les masques, et monté un pièce sans paroles. Les masques sont d’une aide incroyable pour la conscience du corps sur scène. Ce travail permet aux comédiens de maîtriser son corps afin de s’en servir pour transmettre une émotion au public, qui ne passe pas que par me regard.

Certains personnages peuvent incarner un défaut de la société, afin de le dénoncer. Ce ne sont pas alors les mots qui traduisent directement la personnalité du personnage, mais son apparence même. Dans Le Bourgeois Gentilhomme de Molière, on peut ainsi imaginer Madame Jourdain vêtue sobrement, telle une bourgeoise aidée, mais responsable, tandis que Monsieur Jourdain serait vêtu d’un costume extravagant, destiné à séduire Dorimène. C’est d’ailleurs ce que font de nombreux metteurs en scène, ce que l’on voit dans ce spectacle interprété par les comédiens du Grenier de Toulouse, ici, à Tournefeuille. C’est une version très moderne de la pièce, transposée dans les années soixante. Ainsi, la pièce devient plus accessible (notamment à un jeune public) et rend l’œuvre de Molière… intemporelle.

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