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La religion est-elle une nécessité sociale?

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Par   •  6 Février 2019  •  Dissertation  •  7 295 Mots (30 Pages)  •  1 036 Vues

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La religion est-elle une nécessité sociale ?

On tient pour « nécessaire » ce dont on ne peut en aucun cas faire l’économie : il est, par exemple, nécessaire pour un organisme vivant de respirer, de s’alimenter, d’éliminer… sans quoi il dépérit. La situation est différente en ce qui concerne un organisme collectif, et nous serions bien en peine de définir avec assurance les fonctions vitales d’une communauté humaine.

Existe-t-il des « nécessités sociales » en règle générale ? Certes, aucune société ne peut se passer d’institutions et de « grands récits ». L’anthropologie et l’histoire nous apprennent que chaque société élabore ces structures selon des modalités qui lui sont propres, et qu’un imaginaire fondateur sous-tend, dans chaque civilisation, l’ensemble des croyances collectives. Au premier rang de ce système formel figure la religion, et il est tentant de supposer qu’elle constitue l’une des bases, voire le socle symbolique par excellence, de toutes les sociétés historiques. Pourtant la « nécessité » sociale de la religion est beaucoup plus difficile à établir qu’il n’y paraît.

La question de la religion pose d’emblée un problème de fond, car il est très difficile de ne pas confondre ici le fait, à savoir l’infinie diversité des religions historiques, et le droit, ou la norme, autrement dit ce que l’on estime relever de la « religion » en fonction d’une idée plus ou moins préconçue. Il nous faudra donc éviter d’entremêler l’approche descriptive du fait religieux et l’investigation philosophique concernant l’essence du religieux. Les différents registres de la nécessité doivent également être différenciés. Qu’aucune société connue n’ait pu se former sans arrière-plan religieux, par exemple, est un constat qui n’autorise aucune projection dans le futur : peut-être demain des athées et des agnostiques pourront-ils former une communauté viable, on ne peut pas encore l’exclure.

Or un constat de cet ordre laisse ouverte la question de droit qui engage, en un certain sens, la définition de notre humanité. Les hommes peuvent-ils se passer de religion ? La religion est-elle, sinon une dimension essentielle de notre nature, en tout cas une part indéfectible de toute culture ? Depuis fort longtemps déjà des individus ont, à titre personnel, tiré un trait sur la religion, ou sur les croyances religieuses propres à leur milieu et à leur époque. Ce fut le cas de certains sophistes par exemple, et, dès l’antiquité, les philosophes matérialistes nous ont mis en garde contre les superstitions véhiculées par toutes les pratiques communes de la religion. Toutefois le problème posé ici n’est pas celui de la légitimité de l’athéisme compris comme une option d’ordre privé. La question posée concerne la dimension sociale de la religion. On se contentera donc de l’aborder sous cet angle, ce qui est déjà une gageure car ici l’article défini (« la ») constitue en lui-même un sujet d’inquiétude et de perplexité. Il n’est même pas certain que, même sous la plume de tel ou tel philosophe, le terme de « religion » recouvre une réalité univoque. Et si l’on peut s’accorder sur le fait que « la » religion est une réalité omniprésente (ou presque), la question de sa définition ouvre une multitude de perspectives dissonantes. C’est ce dont témoigne, par exemple, l’analyse très classique du philosophe Bergson.

Un spectacle « bien humiliant pour l’intelligence humaine »

« On trouve dans le passé, on trouverait même aujourd’hui des sociétés humaines qui n’ont ni science, ni art, ni philosophie. Mais il n’y a jamais eu de société sans religion », écrit Bergson dans l’ouvrage qu’il a consacré à la double nature de la religion (Les Deux Sources de la morale et de la religion, p. 105). Ce philosophe parle de « la » religion comme d’une réalité unique ou unifiée, mais il n’occulte pas la richesse et la complexité du fait religieux. Son enquête porte tout d’abord sur ce qu’il nomme la « religion statique », c’est-à-dire la part la plus apparente et la plus familière de la pratique religieuse. En tout premier lieu, la réaction du philosophe est un étonnement mêlé d’effroi : « Le spectacle de ce que furent les religions, et de ce que certaines sont encore, est bien humiliant pour l’intelligence humaine. Quel tissu d’aberrations ! L’expérience a beau dire "c’est faux" et le raisonnement "c’est absurde", l’humanité ne s’en cramponne que davantage à l’absurdité et à l’erreur. Encore si elle s’en tenait là ! Mais on a vu la religion prescrire l’immoralité, imposer les crimes. Plus elle est grossière, plus elle tient matériellement de place dans la vie d’un peuple […] Il y a de quoi surprendre, quand on a commencé par définir l’homme un animal intelligent » (op. cit., p. 105). Bergson remarque par la suite que, par opposition à l’être humain, l’animal est dépourvu de cet imaginaire délirant qui nous est propre. Aucun animal n’est névrosé ni dément, et jamais les « bêtes » ne prendront l’initiative aberrante de dérégler les savants dispositifs de la nature*. Mais les hommes préfèrent donner libre cours à leur fantaisie et les croyances les plus farfelues sont fixées et comme validées par leur formulation collective. Pour Bergson toutes les religions dérivent de cette « fonction fabulatrice » qui constitue l’un des propres de l’homme en même temps que l’une des toutes premières clefs des phénomènes religieux.

La religion comme fait social

Pour tenter de dégager l’unité des phénomènes religieux, nous disposons des travaux de sociologues comme Auguste Comte, Emile Durkheim, Max Weber. Par méthode et par principe, « la » religion est examinée par ces auteurs en tant que fait social seulement : en sociologie, on s’interdit toute approche normative et on se contente de constater et d’expliquer ce qui relève de l’observation. Les faits religieux présentent-ils des points communs et, si oui, lesquels ? On fera évidemment ici abstraction des croyances personnelles, des pratiques individuelles et des convictions privées car elles sont fluctuantes et, en toute rigueur, hors sujet. A contrario, les données religieuses présentent pour l’observateur détaché une objectivité qui se manifeste sous la forme d’institutions que l’on peut toutes regrouper sous la catégorie d’« Église » : « nous ne rencontrons pas dans l’histoire, de religion sans Église » (Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, pp. 103-109). Peut-être existera-t-il un pur des religions de cet ordre, mais, selon Durkheim, le sociologue doit s’interdire toute extrapolation et se contenter d’analyser et d’interpréter des données disponibles jusqu’à ce jour. Une « Église » est une communauté morale, tantôt dirigée par un corps de prêtres (ou de spécialistes attitrés), tantôt dénuée d’organes directeurs, dont la fonction est de lier entre eux les hommes qui y adhèrent et de les unir en un même groupe, supposé « vivre d’une même vie ». L’Église peut réunir les membres d’une même communauté mais elle peut aussi rassembler les hommes par delà les appartenances nationales. Dans tous les cas, les Églises dictent à leurs membres leurs croyances fondamentales et leur imposent une discipline et des règles de vie rapportées à l’existence d’un domaine supposé sacré. Le sacré est délimité et souligné par un certain nombre d’interdits et de tabous. Parallèlement, toutes les religions instaurent et imposent un culte – c’est-à-dire des rites et des cérémonies, des sacrifices et des prières – en d’autres termes des formes qui sont universelles, tandis que le contenu peut varier à l’infini.

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