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Extrait du Discours de la servitude volontaire d'Etienne de La Boétie, 1574.

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Par   •  29 Mai 2022  •  Dissertation  •  3 911 Mots (16 Pages)  •  331 Vues

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Entraînement à l'explication de texte – T1

Extrait du Discours de la servitude volontaire d'Etienne de La Boétie, 1574.

        Cet extrait du Discours de la servitude volontaire écrit par Etienne de la Boétie en 1574 renvoie aux thèmes du pouvoir, de la liberté et aussi, complémentairement, du langage. En effet, l'auteur s'y interroge sur l'attitude qui consiste à accepter et à se soumettre à l'autorité tyrannique d'un seul sans autre forme de rébellion, alors même qu'un renversement du pouvoir inique serait possible. Il s'agit donc au fond de s'interroger sur la persistance du despotisme dans l'histoire, c'est-à-dire de l'oppression des peuples, et d'en chercher la raison, alors même que les hommes tiennent à leur liberté, sont souvent également prêts à mourir pour elle : pourquoi une telle difficulté à s'en emparer et à l'exercer ? Nous pourrions en chercher la raison du côté du gouvernant abusif et de sa soif de pouvoir démesurée. Nous pouvons aussi nous interroger, à l'autre bord de la relation souverain-peuple, sur le fondement de l'acceptation, qui est aussi une cause explicative de ce pouvoir. C'est ce à quoi procède ici La Boétie dont la thèse est que la tendance à l'acceptation du pouvoir despotique est à ce point mystérieuse, inexplicable, voire condamnable qu'on ne peut lui donner aucun nom. Un enjeu du texte, au-delà de la réflexion sur le fondement du pouvoir, est donc aussi de réfléchir au pouvoir du langage, de souligner le lien entre nommer et penser.

        Ce texte s'ordonne en deux temps : La Boétie décrit d'abord les étonnantes caractéristiques du pouvoir tyrannique, avant de souligner dans un second temps l'impossibilité de qualifier et de considérer la soumission à ce pouvoir comme « lâcheté », c'est-à-dire de n'y voir qu'une obéissance fondée sur la crainte.

        La question centrale qui gouverne le texte est, dans cet extrait, immédiatement énoncée : « comment dirons-nous que cela s'appelle ? ». Il s'agit donc de nommer, de désigner, d'en appeler aux ressources du langage pour donner du sens à un phénomène déconcertant d'abord privé de nom, « cela », qui, désigné deux fois, apparaît au travers de ce terme dans toute son étrangeté, mais aussi dans toute son inquiétante étrangeté, comme s'il apparaissait d'abord comme innommable : « qu'est-ce que cela ? ». Dès l'amorce, on perçoit en effet l'indignation profonde de l'auteur, et l'enjeu de la recherche du nom apparaît en creux : désigner pour penser, mais aussi désigner pour dénoncer. D'où l'exclamative qui est peut-être presque un juron d'agacement : « ô bon Dieu ! ». D'où également le premier terme choisi par l'auteur pour désigner le « cela » : il s'agit d'un « malheur ». Mais le mot « malheur » ne convient pas, il est immédiatement repéré comme insuffisant : le malheur, c'est ce qui entache et entame la sérénité, l'harmonie du bonheur. Mais le malheur appelle la plainte, la compassion. Est-ce pour barrer la route à l'émergence de ce sentiment que La Boétie corrige immédiatement « malheur » par « vice » qui, lui, déplace le problème au plan moral : le « vice », c'est l'attitude qui contrevient à la moralité. Si le malheur éveille la pitié, le vice appelle la condamnation et la reprise en main de soi par le rétablissement d'un comportement conforme à la moralité. Finalement, La Boétie conjugue ces deux plans : le « cela » qu'il lui faut parvenir à désigner sera un « malheureux vice », c'est-à-dire ce qui fait souffrir, mais parce qu'on se laisse aller à déchoir au plan moral. Le ton n'est donc pas à la plainte : c'est celui de la colère et de l'indignation adressée à un peuple auquel on entend rappeler sa responsabilité politique autant que morale.

        Puisqu'une formule a été choisie, au moins provisoirement, pour désigner le « cela » dont il est question, il s'agit de le décrire plus en détails, et, ce faisant, de justifier, et le caractère malheureux, et le caractère vicieux de la chose. C'est ce à quoi s'emploie La Boétie par la suite. L'auteur ébauche alors un tableau, une fresque de la soumission populaire au tyran : l'indignation vient du fait de « voir », et ce texte entend donner à voir. Au fond, on nous demande de porter le regard, de constater ce que peut-être on aurait tendance à négliger de regarder et d'interroger. Le « voir » indique que ce qui est décrit est sous nos yeux : la dénonciation qui passe par la description de ce qui est et que tous peuvent observer procède donc d'une certaine objectivité.

        Ce qui est observable, c'est qu'un « nombre infini d'hommes » se retrouvent dans une situation politique anormale, ce qu'indique précisément la double distinction : « non pas obéir mais servir, non pas être gouvernés mais tyrannisés ». La norme politique devrait être d'obéir à un gouvernement. Il ne s'agit donc pas de remettre purement et simplement en question toute forme de pouvoir : ce dernier est nécessaire pour gouverner, c'est-à-dire guider une nation, à la façon dont la tête décide pour l'ensemble du corps et oriente son mouvement. Mais si le gouvernant exerce le pouvoir de façon juste, c'est-à-dire au nom d'une souveraineté qui, en définitive est fondée par le peuple, il ne lui impose aucun joug. Celui qui se soumet à une loi qui en définitive représente la volonté générale, comme le théorisera plus tard Rousseau, ne se soumet en réalité qu'à lui-même sous l'aspect de la conscience civique. Dès lors l'obéissance au pouvoir, lorsqu'elle est obligation, n'est pas aliénation, parce qu'elle respecte le citoyen, sa personne et ses biens. Or c'est précisément ce qui est absent de la situation décrite par La Boétie : elle est une servitude, c'est-à-dire qu'elle prive de liberté. Dès lors ne pas être obligé, c'est ne pas pouvoir adhérer volontairement à ce qui restreint la liberté, c'est être purement, simplement et brutalement contraint : c'est ce qui différencie le gouvernement légitime et la tyrannie. Celle-ci, dont Aristote note qu'elle est une « déviation » du bon gouvernement d'un seul, la monarchie, qui vise l'avantage général,  opprime au contraire de façon arbitraire, au profit d'un seul. Celui qui est dans cette condition de servitude est privé de tout comme l'énonce très clairement le texte : « n'ayant ni biens, ni parents, femmes ni enfants, ni leur vie même qui soit à eux ! ». On ne peut exprimer plus clairement la notion de contrainte et celle-ci porte avant tout sur l'ensemble de ce qui devrait être considéré comme propriété absolue d'une personne, propriété au sens large, constituée de tout ce qui définit une personne : au delà de ce qui est matériel, des « biens » (maison, objets, terres, etc), une personne se définit aussi par ses liens d'appartenance sociale : « parents, femmes, enfants ». Un homme libre de la Renaissance, dans une société patriarcale, décide et est garant de tous ceux qui constituent son foyer, y compris la femme et les enfants. Mais un tyran peut imposer sa loi arbitraire à l'ensemble des membres de ce foyer (pensons au droit de cuissage...). De ce qui lui est le plus extérieur (les biens) à ce qui lui est le plus intime (sa vie, ce qui le maintient dans l'existence), rien n'est laissé au libre-arbitre de l'individu soumis au pouvoir et à la volonté du tyran.

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