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Une lecture de Geores Perec, Les Choses.

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Par   •  12 Juin 2019  •  Commentaire d'oeuvre  •  2 904 Mots (12 Pages)  •  951 Vues

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Georges PEREC

Les Choses, 1965

        À un journaliste qui l'interrogeait suite à la réception du Prix Renaudot pour Les Choses, en 1965, Perec expliquait en quelques mots ce qu'il avait voulu faire dans ce livre :

« J'ai essayé de décrire l'effet que cette pression de la consommation pouvait avoir sur un jeune couple d'aujourd'hui, qui  a les désirs que lui impose la société mais n'a pas les moyens de les réaliser. »

        Nous sommes au milieu des années soixante, au cœur de cette période d'après-guerre que l'on a nommée les Trente Glorieuses, et qui a vu naître et s'enraciner, dans un essor vertigineux, la société de consommation. Parallèlement, on assiste sur le plan intellectuel à l'affirmation des sciences sociales comme discipline et comme clé pertinente de compréhension du monde, de l'homme (Barthes, Foucault). Sur le plan littéraire, on sait que le roman, tel qu'hérité du XIXème siècle, est en crise : surréalisme, Nouveau Roman cherchent de nouveaux territoires littéraires, où le personnage n'a plus la place centrale qu'on lui connaissait. C'est en outre l'époque de l'invention du quotidien, les choses banales entrent dans la grille d'analyse des intellectuels qui se mettent à les prendre très aux sérieux (histoire, etc.), ce qui se traduit par une évolution prosaïque de la littérature.

        Le sous-titre du livre de Georges Perec est on ne peut plus significatif : « une histoire des années soixante » suppose que les grandes lois qui régissent et régiront cette décennie non encore révolue, ont déjà été saisies par l'auteur. Cette histoire s'incarne dans l'existence d'un couple de jeunes gens parisiens, travaillant comme psycho-sociologue (l'auteur lui-même a exercé ce métier nouveau). Ce livre constitue donc une tentative assumée de sortir de la littérature, ou de faire la jonction avec les sciences sociales : l'aspiration à une certaine rigueur, la sécheresse du ton, jusqu'à citation de Marx en clôture du livre sont des indices de la volonté d'atteindre une vérité sociologique.

        Nous avons bien une histoire, avec deux personnages : Jérôme est âgé de vingt-quatre ans, Sylvie en a vingt-deux, ils se sont rencontré durant leurs études, deux ou trois ans auparavant, et vivent ensemble. Mais ces personnages sont-ils vraiment des personnages de roman ? Pour que quelques années de leur existence puisse constituer une histoire de la décennie, pour qu'ils soient le lieu de cette observation à vocation sociologique, peuvent-ils être des personnages romanesques à part entière ? Et ce « roman » en est-il vraiment un ?

        Un critique de l'époque, Matthieu Gallet, insistait d'ailleurs sur ce point : « Cela peut être aussi bien moi, aussi bien vous, et n'importe quel couple qui a entre vingt et trente ans aujourd'hui, et qui ressent les mêmes désirs et qui a les mêmes souhaits. Ce que Pérec réussit à montrer et à démontrer, c'est que nous avons tous les mêmes souhaits, et ils ne viennent pas du cœur, ils viennent de l'extérieur, ils viennent des choses qui nous sont proposés perpétuellement dans la vie et que nous avons envie de posséder. »

Interview de Georges Perec, dans l'émission de télévision Lecture pour tous, octobre 1965

        Pierre Desgraupes commence justement son interview en posant la question du roman : « Ce livre n'est pas un roman, bien qu'il raconte une histoire. Comment un livre qui raconte une histoire peut ne pas être un roman ? » et demande à Georges Perec d'expliquer ce paradoxe.

        L'auteur explique qu'il a commencé par concevoir un roman d'aventure, plein de personnages et de péripéties : il s'agissait d'un hold-up perpétré par des psycho-sociologues, se servant de leurs interviews pour pénétrer chez des banquiers et obtenir les informations nécessaires à leur cambriolage. Mais en décrivant la manière de vivre de ces jeunes gens, il s'est rendu compte qu'il parlait de sa vie à lui, de celle de ses amis, de toute une partie de leur génération.

        Ce livre n'est donc pas à proprement parlé un roman, car les personnages n'ont pas de psychologie propre (par exemple, les problèmes de couple sont décrites de manière tout à fait extérieure), ils n'ont pas d'existence, nous dit Perec. Ils ne représentent pas quelqu'un de différencié mais sont l'image de cette génération, et sont donc reproduits à des milliers d'exemplaires...

                « Ce qui m'a intéressé, c'est d'essayer d'analyser, de raconter leur attitude en face de                 ces choses matérielles, qui semblent secondaires […] mais auxquelles nous                         consacrons un temps absolument... [inouï]. »

        Que sont ces choses ? C'est d'abord l'appartement, la manière dont les gens sont logés, le confort, les bons repas, les petits restaurants, les puces et les antiquaires, les cafés de Saint-Germain, les soirées passées à discuter et boire de bons vins entre amis... C'est surtout une certaine idée du luxe, qui correspond à tout ce qui fait le sommaire des journaux de mode, des journaux d'ameublement en vue. Perec assume d'ailleurs cette omniprésence d'un langage emprunté aux journaux de son époque :

                « J'ai pris tout le vocabulaire de Madame Express et j'ai essayé d'en assimiler la                         saveur. »

        Son personnage, admet-il, « ce serait tout à fait le lecteur du guide Julliard » et de Madame Express (qui ont pour équivalents, aujourd'hui, Madame le Figaro ou Elle, Le Monde magasine, le guide Michelin des restaurants etc.), mais une lecteur qui n'aurait pas les moyens de s'offrir ce dont ces journaux vantent les mérites (ce qui est le cas de la plupart).

        Perec dresse donc le portrait type de deux représentants d'une génération, en mettant au jour une des lois fondamentales de la civilisation d'après-guerre : une société de consommation qui voit une multiplication des appels, par la publicité et les journaux notamment. Le mécanisme est une aspiration à un mieux-être qu'accompagne nécessairement une certaine frustration, la sensation d'une contradiction entre la nécessité de travailler beaucoup afin de pouvoir s'offrir toutes ces choses, et la perte, dans le travail, de cette liberté (ou insouciance) qui permettrait d'en profiter pleinement. C'est cette liberté, ou ce qu'ils croient être leur liberté, que les personnages se refusent de sacrifier pour gagner plus d'argent, tout en rêvant aux choses que cet argent leur permettrait d'acquérir, et qui semblent être leur unique horizon, l'objet de leur désir.

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