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Madame de Sévigné

Commentaire de texte : Madame de Sévigné. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  7 Février 2020  •  Commentaire de texte  •  2 836 Mots (12 Pages)  •  2 430 Vues

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Explication de texte 2 : Lettres (1671), Madame de Sévigné : Extrait de la lettre du 26 avril 1971 ( « Il est dimanche 26 avril […] La marée cependant arrive de tous côtés ») : la mort de Vatel

La marquise de Sévigné fait part à sa fille, Madame de Grignan, de la mort de François Vatel, intendant cuisinier du Prince de Condé au château de Chantilly.

​​​​​​​​A Paris, ce 26 avril 1671.

​Il est dimanche 26 avril ; cette lettre ne partira que mercredi, mais ce n'est pas une lettre, c'est une relation1 que vient de me faire Moreuil, à votre intention, de ce qui s'est passé à Chantilly touchant Vatel. Je vous écrivis vendredi qu'il s'était poignardé ; voici l'affaire en détail.

​Le Roi arriva jeudi au soir. La chasse, les lanternes, le clair de la lune, la promenade, la collation dans un lieu tapissé de jonquilles, tout cela fut à souhait. On soupa. Il y eut quelques tables où le rôti manqua, à cause de plusieurs dîners où l'on ne s'était point attendu2. Cela saisit Vatel. Il dit plusieurs fois : « Je suis perdu d'honneur ; voici un affront que je ne supporterai pas. » Il dit à Gourville3 : « La tête me tourne, il y a douze nuits que je n'ai dormi. Aidez-moi à donner des ordres. » Gourville le soulagea en ce qu'il put. Ce rôti qui avait manqué, non pas à la table du Roi, mais aux vingt-cinquièmes4, lui revenait toujours à la tête. Gourville le dit à Monsieur le Prince. Monsieur le Prince alla jusque dans sa chambre et lui dit : « Vatel tout va bien ; rien n'était si beau que le souper du Roi. » Il lui dit : « Monseigneur, votre bonté m'achève ; je sais que le rôti a manqué à deux tables. – Point du tout, dit Monsieur le Prince ; ne vous fâchez point : tout va bien. » La nuit vient. Le feu d'artifice ne réussit pas ; il fut couvert d'un nuage. Il coûtait seize mille francs. À quatre heures du matin, Vatel s'en va partout ; il trouve tout endormi. Il rencontre un petit pourvoyeur5 qui lui apportait seulement deux charges de marée6 ; il lui demanda : « Est-ce là tout ? » Il lui dit : « Oui, monsieur. » Il ne savait pas que Vatel avait envoyé7 à tous les ports de mer. Il attend quelque temps ; les autres pourvoyeurs ne viennent point ; sa tête s'échauffait ; il croit qu'il n'aura point d'autre marée. Il trouve Gourville et lui dit : « Monsieur, je ne survivrai pas à cet affront-ci ; j'ai de l'honneur et de la réputation à perdre. » Gourville se moqua de lui. Vatel monte à sa chambre, met son épée contre la porte, et se la passe au travers du cœur, mais ce ne fut qu'au troisième coup, car il s'en donna deux qui n'étaient point mortels ; il tombe mort. La marée cependant arrive de tous côtés. […]

1- Récit. 2- Que l’on n’avait pas prévus. 3-Intendant de la maison de Condé. 4- Table où sont placés les invités les moins titrés. 5- Celui qui fournit. 6- Chargements de poisson. 7- Avait commandé.

Introduction

Dans une société mondaine où l’attention est volatile, les moralistes trouvent dans les formes fragmentaires, un moyen de renouveler sans cesse la posture du narrateur et démultiplier les attaques. La dispersion des remarques permet aussi d’aborder un nombre infini de sujets. Parmi ces formes, nous avons les discours et les lettres qui sont adressés à un auditeur ou à un lecteur. Ils visent à convaincre ou à persuader par le déploiement de l’art oratoire. Bossuet, évêque de Meaux, s’est distingué par exemple par l’éloquence de ses sermons, Madame de Sévigné, par son art épistolaire. Le classicisme n’aime pas l’étalage du moi et propose une peinture universelle de la nature humaine. Les Lettres de Madame de Sévigné sont avant tout une chronique mondaine, politique et littéraire du temps, même si elles laissent bien souvent entendre la douceur maternelle de leur auteur.

Devenue veuve très jeune, la Marquise de Sévigné (1626-1696) se consacre à ses deux enfants, Françoise et Charles, et à la vie de salons où son art de la conversation est très apprécié. Elle côtoie ainsi des personnalités comme le prince de Condé ou Fouquet et de beaux esprits comme La Fontaine ou La Rochefoucauld. La séparation d’avec sa fille, Mme de Grignan, qui suit son mari dans le Sud de la France en 1671, donne lieu à une correspondance nourrie entre les deux femmes, qui durera un quart de siècle. Ses lettres offrent ainsi une analyse psychologique fine mais sont surtout un témoignage saisissant de son époque dont les événements marquants sont brossés sur le vif.

Dans cette lettre du 26 avril 1671 à sa fille, Mme de Sévigné montre ses qualités d’épistolière mondaine, elle fait preuve d’habileté dans le récit d’un fait divers dramatique : le suicide de l’intendant cuisinier du Prince de Condé, François Vatel. Chargé d’organiser trois jours de festivité au château de Chantilly pour le roi, il fait face à des imprévus qui lui paraissent des erreurs impardonnables.

Cette chronique tout comme cet homme auraient pu passer inaperçus mais c’est sans compter sur l’art de la narration mise en place par Mme de Sévigné. Comment l’épistolière parvient-elle à insuffler dynamisme et intensité dramatique au récit de ce fait divers tout en offrant un tableau sur cette société mondaine ?

Cette lettre se compose de trois mouvements : dans un premier temps, Mme de Sévigné pose le cadre énonciatif de cette missive, puis elle relate les circonstances de la mort de Vatel : tout d’abord elle fait le récit du premier affront suivi du déroulement tragique et fatal.

1- Mme de Sévigné pose le cadre énonciatif de la lettre

​Nous retrouvons les codes attendus de la lettre, la mention du lieu et de la date : « A Paris, ce 26 avril 1671 » et le pronom personnel, « vous », de l’interlocution : « à votre intention », « Je vous écrivis ». C’est une correspondance suivie. En effet, les précisions apportées aux précédentes lettres apparaissent : « Je vous écrivis vendredi », ainsi que la mention du moment de l’écriture et de l’envoi : « Il est dimanche 26 avril ; cette lettre ne partira que mercredi ». La variation des temps liée aux conditions d’écriture et d’envoi ancre la lettre dans un cadre temporel précis et réel : le passé simple, le présent d’actualité, le futur. Dès le début de la lettre, Mme de Sévigné met en avant le statut particulier de cette lettre : « c'est une relation ». L’adversatif, « mais », instaure une nette opposition entre la visée coutumière d’une

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