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Flaubert, Madame Bovary

Commentaire de texte : Flaubert, Madame Bovary. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  25 Novembre 2019  •  Commentaire de texte  •  2 154 Mots (9 Pages)  •  952 Vues

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Après quelques écrits marqués par l’exaltation romantique, Gustave Flaubert prend le parti du réalisme, et s’inscrit dans la tradition balzacienne de l’étude de mœurs, mais en apportant le renouveau stylistique majeur de la littérature impersonnelle : il laisse se dévoiler la bêtise humaine tout en paraissant absent de son œuvre. Ainsi, la médiocrité de la petite bour- geoisie de province, la vanité creuse de l’aristocratie transparaissent à travers des gestes, des objets ou des mots significatifs dans Madame Bovary, qui lui vaut un procès pour immoralité en 1857, mais lui assure aussi le succès. Le terme « bovarysme », néologisme créé par un critique littéraire, Jules de Gaultier, en 1892, prouve ce succès. La création même de ce mot démontre l’influence du personnage fictif Madame Bovary, et la justesse de l’analyse psychologique réa- lisée par Flaubert, dont l’héroïne présente des symp- tômes suffisamment cohérents pour qu’ils soient érigés en concept à valeur universelle. Emma présente une tendance caractéristique à se concevoir autre qu’elle n’est. Le réel ne parvenant pas à combler ses

aspirations, elle tentera de le modifier, à l’imitation d’un modèle extérieur, s’inspirant des héroïnes de ses lectures romantiques et romanesques. L’extrait que nous étudions prend place dans les premiers temps du mariage d’Emma, celui de la désillusion et de l’ennui. Elle s’aperçoit que Charles n’est pas celui qu’elle avait cru être, et reconstruit son existence dans des rêveries perpétuelles. Or, un jour, Charles soigne un marquis qui invite le couple à un bal. Grâce à cet événement, Emma va enfin pénétrer un milieu qu’elle a toujours voulu intégrer. Le regard d’Emma, dans ce texte, se fait vecteur d’une description des invités, en foca- lisation interne. L’avantage de ce point de vue est qu’il permet de décrire à la fois ce qui est vu et celle qui voit. Nous montrerons l’intérêt de ce passage qui permet au lecteur de découvrir ce monde aristocra- tique tout en cernant plus précisément la psychologie d’Emma. Le texte commence par une description des invités, qui glisse peu à peu vers un vécu stéréotypé qu’Emma imagine être celui de ces personnes, avant de s’orienter vers les discussions qu’elle entend, mais ne comprend que partiellement. Dans les dernières lignes du passage, une trouée du réel vient renvoyer de manière plus décisive encore Emma à son propre milieu.

La scène est perçue à travers le regard d’Emma, qui profite de cette brève intrusion dans le monde de ses rêves pour observer attentivement ce qui l’entoure : les deux premiers paragraphes sont centrés sur la description des invités, leurs vêtements, leur allure générale, le troisième est consacré aux conversations qu’Emma entend en se promenant parmi les groupes, et le quatrième évoque un événement particulier : les domestiques brisent une fenêtre pour permettre une entrée d’air frais. Flaubert s’efface et nous entrons directement dans la conscience d’Emma. Il s’ensuit une description fragmentée, qui est à mettre au compte de la focalisation interne.

Le regard d’Emma, avide de détails, passe d’un élément à un autre sans organisation précise : les «habits», les «cheveux», le «teint», le «cou», la « cravate », les « favoris », les « cols », les « mouchoirs brodés » (l. 1 à 7), l’attitude (l. 8 à 13). Le modalisateur « semblaient » (l. 1) témoigne des limites engendrées par cette focalisation interne; la précision «À trois pas d’Emma » (l. 14) montre qu’elle est susceptible d’entendre la conversation proche, ce qui est confirmé avec humour ligne 17 « Emma écoutait de son autre oreille une conversation pleine de mots qu’elle ne comprenait pas.»

La perception que Madame Bovary a des personnes qui l’entourent traduit son admiration pour elles. La focalisation interne est tout aussi révélatrice des aris- tocrates que d’Emma qui les regarde.

On remarque la répétition des déterminants possessifs : « leurs » (l. 1, l. 5), qui renvoie à ces quelques invités. Emma se met en tête d’isoler des particularités au sein d’un groupe, de mettre en relief une spécificité on retrouve aussi tout un réseau de termes de supériorité, de comparatifs, auxquels il manque le complément, qui est implicite (c’est le reste du groupe) : «mieux faits», « plus souple », « plus fines » (l. 1-2). Cette absence de comparatif démarque encore davantage ces hommes, et exprime leur supériorité absolue, totale ; 

On observe également des termes sont laudatifs en eux-mêmes : «souple» (l. 1), «fines», «lustrés» (l. 2), «blanc» (l. 3), «exquises» (l. 5), «suave» (l. 7)... Ces termes de connotation positive renvoient à l’aisance sociale. Ainsi l’allure et le maintien définissent selon Emma une sorte de supériorité faite d’élégance, d’aisance. Le «large chiffre» (l. 7) renvoie à l’initiale nobiliaire. Cette distinction est associée à un niveau social, symbolisé par une série d’éléments eux-mêmes qualifiés par des compléments du nom qui assi- milent richesse et luxe : « la pâleur des porcelaines, les moires du satin, le vernis des beaux meubles », « un régime discret de nourritures exquises » (l. 2 à 5). À noter la présence d’une allitération en p et l dans l’expression « pâleur des porcelaines » qui ajoute à la poésie de l’évocation. Tous ces éléments consti- tuent le réseau lexical du luxe, décliné en mobilier et accessoires ; le domaine culinaire est également concerné, avec l’adjectif « exquises », au sens parti-culièrement positif. Cette série indique la définition qu’Emma se fait de la richesse, qu’elle assimile au luxe, distinctif de l’aristocratie. Ainsi, pour elle, il existe un rapport, un déterminisme entre l’être et le milieu. Elle intègre des stéréotypes à ce qu’elle pense être la vie aristocratique.  Emma analyse deux aspects fondamentaux pour elle : 

– d’abord, cet air qui ne correspond pas à leur âge : « Ceux qui commençaient à vieillir avaient l’air jeune, tandis que quelque chose de mûr s’étendait sur le visage des jeunes. » (l. 8-9) le chiasme traduit une osmose qui lie les hommes jeunes et les plus âgés. Tous ces hommes paraissent sans âge réel, comme si le temps n’avait pas sur eux le même poids que sur les autres. Cela semble s’expliquer par un rapport particulier aux passions : leur air indifférent constitue leur particularité ; ce sont des regards de possession, de domination, non de désir. Leur vie affective est aussi riche que leur vie matérielle. Cette panoplie de signes permet à Emma de croire que les héros de ses romans existent réellement ; 

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