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Commentaire, les charniers, Guillevic

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Par   •  9 Juin 2017  •  Commentaire de texte  •  2 996 Mots (12 Pages)  •  5 218 Vues

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Commentaire définitif : Guillevic, « Les charniers » in Exécutoire (1947)

Guillevic est né à Carnac en 1907, le «poète breton d'expression française», comme il se définissait lui-même, a publié son premier recueil, Requiem, en 1938. Son deuxième recueil, Terraqué lui apporta la consécration dès 1942. Exécutoire (1947) : diptyque que Guillevic forme dans la collection poésie/ Gallimard, avec Terraqué; « lIs forment un tout» dit-il, pratiquement indissociable maintenant. C'est dans ce recueil qu'est paru l’un des textes les plus connus de l’auteur sur la guerre : « Les Charniers ». Un soir de 1945, Guillevic et Eluard se trouvent à la terrasse du café les Deux magots. Ils lisent France-Soir dont la une affiche la photo d’un charnier de camp nazi. Que dire ? Que penser face à ce dépassement de l’horreur ? Face À ces corps qui étaient vivants et qui maintenant forment cette masse inerte, inhumaine. Que penser et quoi écrire ? Dans ce poème, pour Guillevic, il s’agit de rester sur le sujet, sur l’objet du poème, ne pas le quitter un seul moment. Pas de digression, pas de comparaison mais rester là pour essayer de comprendre, ou de décrire cette perplexité face à ces morts pour qui on ne peut rien. Le poème reflète les horreurs commises par les hommes dans cette période, il montre aussi l’inhumanité qu’il y avait à cette époque avec la description des corps enchevêtrés dans les charniers. Comment la poésie peut-elle décrire l’indicible ? Dire l’horreur sans frémir, mais pourquoi ?

I une description sèche et brève

A Une visite guidée

Le poète est un guide : utilisation du verbe à l’impératif présent pour inciter le lecteur  à le suivre dans cette promenade macabre « Passez entre les fleurs  et regardez/au bout du pré c’est le charnier » (vers 1-2). Tout au long du poème nous avons des indicateurs de lieu : des locutions prépositionnelles « entre » (v1), « au bout de » (v2), « à travers tout » (v5), des locutions nominales, « A l’un des bords » (v10), « des endroits » (v20). Ces locutions nous font cheminer tout autour du charnier.

C’est un guide qui semble rester neutre devant ce spectacle. Des vers concis nous présentent différentes images de ce charnier : « des pieds à travers tout » (v5), «légèrement en l’air et hardie une jambe – de femme bien sûr » (v12-13). le trait d’union entre « jambe » et « femme » semble indiquer qu’il ait pris un instant pour discerner dans ce fatras ce qu’il regardait et ainsi indiquer avec précision ce qu’il souhaitait nous montrer. L’adverbe « bien sûr » (v13) souligne la certitude que cette jambe était belle, c’est la jambe d’une femme. Il surenchère en disant que c’est « une jambe jeune / Avec un bas noir », (v14-15). Nous sommes pendant la guerre, les femmes qui possédaient de « bas » étaient rares. C’était certainement une femme qui faisait très attention à son apparence et qui avait de l’argent. Il finit en remontant sur sa cuisse « une vraie » (v17) rajoute-t-il. « Vraie » peut signifier soit  qu’elle est bien en chair, soit qu’elle est belle.

B Une description à l’apparence de neutralité

Il semble neutre mais l’est-il vraiment ? Bien qu’il ne développe pas sa pensée, il laisse tout de même percevoir sa sensibilité. La description de la jambe de la femme se fait sur neuf vers, les enjambements qui jalonnent cette description marquent la pensée de l’auteur et la longueur du discours. Par cette jambe, il nous dépeint la beauté d’une jeune  femme. Il insiste sur la jeunesse de cette inconnue et la répétition de l’adjectif « jeune » (v14 et v18) sonne comme un écho lugubre qui souligne l’horreur de cette situation. Le pronom indéfini « rien », répété lui aussi deux fois (v18-19) souligne l’absence de toute humanité. La mort fait tout disparaitre ! Même la beauté et la jeunesse ! Il est intéressant de constater que ce « rien » finit seul (vers monosyllabique v19). Typographiquement, du vers 10 au vers 19, on voit vraiment la décroissance typographique des vers qui symbolise aussi ce charnier qui décompose les corps. Ce rien, même s’il n’est pas suivi d’un point d’exclamation, exprime tout de même la pensée de l’auteur, son désarroi face à l’impensable.

Il nous présente ce charnier en utilisant une métaphore alors que cet auteur en usite très peu dans ses œuvres. Sa poétique se caractérise par son refus des métaphores auxquelles il préfère les comparaisons, jugées moins mensongères. Il compare ce charnier en un « ventre d’insecte un peu géant » (v4) (image antithétique entre insecte et géant). Avait-il du mal à trouver une image qui pourrait représenter cette scène indescriptible et incroyable. Qui peut réellement décrire un tel lieu ? Il est intéressant de s’arrêter sur cette expression « ventre d’insecte » : le ventre est le lieu de transformation (l’homme dans le charnier se transforme, se décompose…). Le ventre est dévorateur, il se nourrit de tous ses êtres sans défense. C’est un ventre d’insecte : le complément du nom « d’insecte » est au singulier. Ici cet insecte représente les corps sans vie du charnier mélangés à la terre, qui ont été jetés pêle-mêle, et ses pieds sont en réalité ceux des morts qui ressortent de ce monticule impensable, « avec des pieds à travers tout (v5) !  Il n’est pas sans rappeler les insectes nécrophages qui se nourrissent des corps morts.

De plus ce guide montre son dégoût et sa peur de ce monstre fantastique qui représente la terre et qui ensevelit l’homme au fond de ses entrailles (« ventre d’insecte un peu géant » (v4)). Les assonances en [ai] dans le vers 21 marquent ce dégoût « Si c’est la terre glaise ou si c’est la chair », le parallélisme de construction met en valeur « la glaise » et « la chair ». Tout devient difficile pour exprimer l’état de ces corps dans ce charnier. Cet être hybride s’est construit en se nourrissant des morts. C’est de la chair en décomposition, c’est de la glaise, tout colle ? Tout inspire le dégoût. Et ce cri de frayeur « Et l’on est peureux que la terre, partout, /soit pareille et colle. » (v22-23). Ce présent de vérité générale du verbe être et l’utilisation du pronom personnel indéfini neutre « on » réfère à l’humanité et à la frayeur des hommes, de tous,  devant leur mort et devant cette terre qui un jour les fera disparaître ! L’adverbe locatif « partout », c’est-à-dire en tous lieux insiste sur le questionnement de l’homme face à cette ennemie : la terre a-t-elle réellement ce pouvoir de me happer (elle « colle ») et de m’engloutir n’importe où.

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