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Commentaire, Chant d'en bas, Jaccottet, 1974

Commentaire de texte : Commentaire, Chant d'en bas, Jaccottet, 1974. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  9 Juin 2017  •  Commentaire de texte  •  2 298 Mots (10 Pages)  •  7 198 Vues

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Commentaire définitif : Philippe Jaccottet, Chants d’en bas, « parler », 1974

Philippe Jaccottet est né en Suisse, en 1925. Il a vécu après-guerre quelques années à Paris, collaborant avec différents éditeurs (Mermod, Gallimard). Il a choisi en 1953, après son mariage, de s'installer à Grignan, dans la Drôme. Son œuvre est multiple: traductions (en particulier Rilke et Musil), ouvrages critiques, poésie, prose. Il est un des poètes les plus importants de l'après-guerre.

Les années 1970 sont marquées par plusieurs décès douloureux, parmi les amis (Gustave Roud en 1976 par exemple) et les parents du poète : la mort de son beau-père et de sa mère, en 1974. La mort est évoquée par les livres de deuil Leçons et Chants d'en bas. « Parler » est un poème-discours qui s’interroge abruptement sur la légitimité de la poésie en face de la mort. Les vers sont libres, le ton est résolument modeste, non emphatique, proche de la conversation, de la voix familière.  

Problématique possible : Qu’est-ce que l’écriture poétique pour P. Jaccottet ? Comment caractériser son approche et sa mise en œuvre ?

I Une crise de la vocation poétique

1 La défaite du langage

L’obscénité de la mort annule tout « parler ». Ecrits de la « même encre » (v6), les mots quels qu’ils soient mentent. On a beau les aligner, ils ne modifient jamais le réel : « Et j’aurai beau répéter « sang » du haut en bas » (v8) / « de la page, elle n’en sera pas tachée » (v10) / « ni moi blessée » (v11). Les images sont tout autant inutiles. La mort appartient à l’ordre de l’indicible. La poésie se réduit à « un ouvrage de dentellière » (v3)  c’est-à-dire à un luxe futile. Le poète s’exhorte à quitter le monde de la poésie pour celui de l’action. « Aussi arrive-t-il qu’on prenne ce jeu en horreur » (v12) / « et de faire meilleur usage de ses mains » (v15).

Il développe donc un débat sur la poésie. D’une part son exercice paraît à Jaccottet vain et mensonger face à l’expérience de la douleur, face à la blessure intime. L’emploi du verbe « parler » pour désigner en fait l’écriture poétique dévalorise cette dernière : le risque de la poésie, dénoncé dans « Chants d’en Bas », est de se réduire à des paroles vaines et artificielles.

2 Parler n’est pas chanter.

« Parler » s’oppose à « chanter », c’est-à-dire à la poésie, puisque, depuis ses plus hautes origines, la poésie s’est toujours définie comme un chant. La confrontation à la mort et la conscience que l’homme a de sa destinée mortelle rendent, selon Jaccottet, ce chant impossible et même dérisoire. Car, contre la mort, la poésie ne peut rien.  Plusieurs griefs sont formulés contre l’exercice de la poésie :

- c’est une activité « facile », que l’on pratique à l’abri du réel et qui peut faire oublier la vérité et la dureté de l’expérience vécue. Elle est perçue comme un « jeu » avec

les mots « « fleur » et « peur » par exemple sont presque pareils » (v7), une paronomase amusante, un divertissement rhétorique. Pourtant c’est une activité mensongère.  La poésie ne permet pas d’affronter la « douleur » (v16) qui « approche » (v17) : elle ne parvient pas à dire la peur, l’angoisse. Elle ne donne que des équivalents trompeurs de l’expérience intime lorsque celle-ci est particulièrement douloureuse, éprouvante. Par tous ces aspects, l’exercice de la poésie peut faire « horreur » (v11). Poussé à l’extrême, la critique de la pratique de la poésie pourrait conduire le poète au renoncement à écrire.

Transition : Le poème dénonce une parole qui tourne à vide, qui est sans effet sur les épreuves de la vie. Le poète se juge trop démuni pour créer un nouveau langage. Pourtant la souffrance est source de création.

II La souffrance, source de création

1 Une expérience des limites

Jaccottet possède une vive conscience de l’impuissance des mots à changer le réel, et notamment la souffrance mais aussi la difficulté à exprimer la douleur que l’on ressent face à l’indicible. C’est pourtant cette dernière qui est le moteur de sa poésie. Faute de pouvoir élaborer un nouveau lexique, Jaccottet use du pouvoir de suggestion des mots ordinaires, « la douleur » (v16)/ « elle ressemble à quelqu’un qui approche » (v17) joue sur la personnification. Elle représente la personne qu’on ne peut éviter. Par ce travail poétique, les mots disent en effet plus que ce qu’ils désignent. Il établit des correspondances entre les sensations et les éléments pour donner accès à une autre réalité ou une autre vision de cette réalité. Nous découvrons un poète qui essaie de se protéger des drames de la douleur mais rien n’y fait : elle déchire « les brumes dont on s’enveloppe » (v18). Ce chant d’en bas, de ceux qui souffre,  chant qui n’efface pas la rugosité de l’existence et de notre rapport au réel.  

2 Une poésie de la suggestion : faire ressentir plutôt que dire !

Une poésie du presque, c’est-à-dire de l’écart ténu entre visible et invisible : « les brumes » (v18), cachent ce qu’on n’a pas envie de voir, l’homme n’a pas envie de souffrir et de découvrir ce qui l’amènera à sa finitude. Sujet principal de l’œuvre : la mort et le vieillissement traversent tout le recueil. L'auteur montre sa hantise sur ces questions. Comment ne pas frémir devant ces participes présents « déchirant » (v18), « abattant » (v19)  et « traversant » (v19) qui démolissent un à un tous les remparts de l’homme et figurent ce temps qui passe « traversant /la distance de plus en plus faible » (v19-20) entre l’homme et son destin funeste, qui est aussi rappelé dans le dernier vers « du peu de temps et de forces qui nous reste ». Ce parallélisme de construction entre ces différents participes semble représenter l’obsession effroyable d’être démuni face à la souffrance et devant la mort. La personnification de la douleur se transforme au cours de ce huitain, elle devient un animal maléfique « on ne voit plus que son mufle » qui prend possession de l’espace vital de l’homme « si près soudain/qu’on ne voit plus que son mufle plus large/que le ciel. » (v20 à 22) Le poète ne peut plus atteindre le ciel, la bête obscurcit son ciel, en quelque sorte son avenir. Le poète ne peut plus s’élever jusqu’au ciel, jusqu’aux Dieux, ses souffrances l’en empêchent.

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