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Aime Césaire / Discours sur le colonialisme

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Par   •  15 Janvier 2022  •  Commentaire de texte  •  2 521 Mots (11 Pages)  •  1 256 Vues

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Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme (1955)

Lecture analytique n° 2

Entre colonisateur et colonisé, il n'y a de place que pour la corvée, l'intimidation, la pression, la police, l'impôt, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue1, la suffisance, la muflerie2, des élites décérébrées, des masses avilies.

Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment l'homme colonisateur en pion, en adjudant, en garde-chiourme3, en chicote4 et l'homme indigène en instrument de production.

À mon tour de poser une équation : colonisation = chosification.

J'entends la tempête. On me parle de progrès, de « réalisations », de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d'eux-mêmes.

Moi, je parle de sociétés vidées d'elles-mêmes, des cultures piétinées, d'institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d'extraordinaires possibilités supprimées.

On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemins de fer.

Moi, je parle de milliers d'hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l'heure où j'écris, sont en train de creuser à la main le port d'Abidjan. Je parle de millions d'hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse.

Je parle de millions d'hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d'infériorité, le tremblement, l'agenouillement, le désespoir, le larbinisme5.

On m'en donne plein la vue de tonnage de coton ou de cacao exporté, d'hectares d'oliviers ou de vignes plantés.

Moi, je parle d'économies naturelles, d'économies harmonieuses et viables, d'économies à la mesure de l'homme indigène désorganisées, de cultures vivrières détruites, de sous-alimentation installée, de développement agricole orienté selon le seul bénéfice des métropoles, de rafles de produits, de rafles de matières premières.

On se targue d'abus supprimés.

Moi aussi, je parle d'abus, mais pour dire qu'aux anciens ─ très réels ─ on en a superposé d'autres ─ très détestables. On me parle de tyrans locaux mis à la raison ; mais je constate qu'en général ils font très bon ménage avec les nouveaux et que, de ceux-ci aux anciens et vice-versa, il s'est établi, au détriment des peuples, un circuit de bons services et de complicité.

On me parle de civilisation, je parle de prolétarisation et de mystification.[pic 1]

Commentaire de l’extrait du Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire

Introduction

1. La colonisation mène à l'aliénation de tous


a) Le colonisateur devient un bourreau

  • Une oppression des peuples colonisés

Les désignations du colonisateur sont très péjoratives. Des expressions telles que    « police » l.2, « garde-chiourme », « chicote » l.5 en attestent. Dans ce contexte, elles ont toutes des connotations de surveillance, de violence physique comme morale. Les colons sont assimilés à des gardiens de prison, ou réifiés en accessoire de torture. Ceux-ci instaurent un rapport de force avec les populations indigènes qu'ils cherchent à soumettre. On le voit d'abord avec la négation restrictive « il n'y a de place que pour » l.1, suivie d'une énumération de termes se rapportant à une soumission par une violence physique et morale. On le constate ensuite l.4 « Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment l'homme... ». L'antithèse introduite par « mais » souligne des relations non seulement très dures et dépourvues de toute humanité, mais également aliénantes, comme le suggère le verbe « transforment ». L'emploi du présent gnomique, des articles définis et / ou du pluriel amplifient la critique puisqu'ils sont les marques d'un discours généralisant qui indique  des pratiques habituelles, systématiquement vraies.

  • Une humiliation des peuples colonisés.

Lexique de l'humiliation infligée aux indigènes est très présent : « le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance» l.2-3. Il s'agit d'abord de dénoncer un manque de respect élémentaire pour l'autre comme le signale le terme « la muflerie » l.3. Césaire critique ensuite l'arrogance colonialiste et sa prétention à la supériorité sur les indigènes à travers une énumération de termes au sens très proche tels que  « le mépris, [...] la morgue, la suffisance » l.2-3. Puis il est question de mettre en évidence une éducation par les colons visant à atteindre le colonisé dans sa dignité et à le lui faire accepter pour le réduire à la servilité l.3 « masses avilies » et 18-19  « millions d'hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d'infériorité, le tremblement, l'agenouillement, le désespoir, le larbinisme. ». La métaphore de          « l'agenouillement » et le néologisme « larbinisme » traduisent symboliquement, de
façon physique comme morale, la position inférieure dans laquelle il est maintenu. Enfin, cette humiliation s'accompagne d'un règne de la terreur dont Césaire évoque les différentes nuances, de façon graduelle, de la plus faible à la plus forte. On trouve en effet « intimidation » l.1, puis « le tremblement, [...] le désespoir » l.20. La mission civilisatrice de la colonisation apparaît donc ici comme un prétexte des plus fallacieux pour justifier l'esclavage des populations indigènes.

b) Le colonisé, un être détruit

  • Un être détruit physiquement.

La colonisation aboutit à une aliénation de l'homme par l'homme. On a vu que Césaire le traduisait par la réification du colon, c'est aussi le cas pour le colonisé. Cela est perceptible à travers le thème du travail et de la transformation de « l’homme indigène en instrument de production » l.5-6. L’auteur s’appuie de plus sur un exemple concret  pour illustrer son propos en évoquant les conditions dans lesquelles se construit le port d’Abidjan l.16 et les hommes « en train de [le] creuser à la main » soulignant ainsi les conditions de travail particulièrement mortifères. L’hyperbole portant sur le passif « milliers d’hommes sacrifiés » l.15 met en évidence le coût humain de cette construction, suscitant à la fois compassion et indignation
pour les populations ainsi traitées. Le port d'Abidjan est présenté implicitement comme leur tombe. L'idée d'esclavage apparaît de plus dans la litote « cultures obligatoires » I.2, suggérant le travail forcé. Le recours au registre pathétique traduit l'aspect fondamentalement inhumain de la colonisation, qui utilise les indigènes comme des machines. Césaire résume ce point de vue dans la thèse de l'extrait, énoncée l.7 par la métaphore mathématique de l'équation : « À mon tour de poser une équation : colonisation = chosification. ». Cette métaphore, accompagnée de
l'énumération de nombreux chiffres dans l'extrait, a une valeur satirique. Elle dénonce une confusion entre vies humaines et calcul inacceptable.

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