Société et ses SI : amants

L’entreprise et son SI : pièges ; illusions ; Défis.

4.1 LA RIGIDITÉ DES DONNÉES

4.1.1 LA DÉMESURE

Laissons à Grace Murray Hopper (1990) le soin d'ouvrir ce chapitre, et de rappeler le problème posé par les données :

« Tant que les entreprises s'occuperont exclusivement des ordinateurs, ou des lignes de téléphone qu'elles utilisent, mais sans se soucier de leur information, je pense qu'elles ne feront pas réellement leur travail. Elles ne se penchent pas sur l'information elle-même. Elles ne se penchent pas sur la valeur de l'information. Elles ne cherchent pas à savoir qui utilise l'information ni pourquoi, le type d'information utilisé, le but de cette information, ni sa provenance. La valeur est une chose importante que nous avons toujours négligée. »

La pauvreté des données ne constitue pas une difficulté en soi. L'information, impalpable, doit prendre une forme concrète : nous avons bien une bouche pour prononcer les paroles. Les données garantissent une communication précise, rapide et fiable. Même limités à des chiffres, les traitements seraient utiles. Les inconvénients de l'information dure se transforment même en un certain avantage, puisque cette information paraît incontestable, ce qui garantit à l'entreprise un fonctionnement strict mais rigoureux (absorption d'incertitude), alors qu'une information plus souple peut toujours être discutée et contredite, ou simplement mal interprétée. L'information dure permet aussi d'imposer une certaine forme de pouvoir, ou de rendre explicite et objectif un règlement. Elle est l'outil brut, mais souvent efficace, de la rationalisation et de la standardisation. Les formulaires administratifs rejettent les exceptions et les informations riches, même les plus pertinentes. Néanmoins, ils permettent des traitements rapides, simples et univoques, sur la base d'informations homogènes et facilement identifiables. Avantage non négligeable de l'information dure : elle est la seule qui convienne aux machines et aux formules de calcul.

Mais une confiance excessive est placée dans les données. Les données, comme les chiffres, font sérieux et exigent une grande rigueur. Les données s'accordent bien avec la rationalité, la formalisation et l'abstraction. En fait, les données correspondent à un type d'information utilisé depuis bien plus longtemps que l'ordinateur pour tenter de maîtriser la complexité. (On parlait de données avant l'invention de l'ordinateur.) Par exemple, au Moyen Âge :

« Les hommes devenaient puissants dans la mesure où ils négligeaient le monde réel du blé et de la laine, des denrées alimentaires et des textiles, et où ils concentraient leur attention sur une représentation purement quantitative de ce monde par des marques et des symboles. Penser seulement en poids et en nombre, faire de la quantité non pas seulement une indication de valeur, mais le critère de la valeur, telle fut la contribution du capitalisme au tableau du monde mécanique. Ainsi les abstractions du capitalisme précédèrent les abstractions de la science moderne et renforcèrent

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