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« La délégation ou « dirty-work » : le cas du travail des soins infirmiers »

Étude de cas : « La délégation ou « dirty-work » : le cas du travail des soins infirmiers ». Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  4 Février 2020  •  Étude de cas  •  1 947 Mots (8 Pages)  •  1 223 Vues

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« La délégation ou « dirty-work » : le cas du travail des soins infirmiers »

Résumé :

La délégation des actes de soins aux personnels infirmiers s’appuie sur la division du travail délimitant ainsi le « dirty-work ». L’impact de la structure organisationnelle et des normes de « genre » associées influe sur l’évaluation du travail des soignants.

Mots clés :

Délégation, rationalisation, division du travail, organisation du travail, évaluation du travail, genre, identité professionnelle, reconnaissance.


1. La délégation des actes de soins et leurs conséquences

La sociologie du travail s’est intéressée à partir d’E.C. Hughes dans les années 1950 au travail infirmier et plus précisément, à la délégation des actes de soins aux infirmiers. Nous pouvons dès à présent nous interroger dès lors où l’on suggère de transférer les compétences médicales aux infirmiers en créant de nouvelles qualifications, voire un « nouveau » métier. Pour rappel, la mise en place de « l’accréditation des hôpitaux et des services hospitaliers » dès 1993 a donné lieu à une évaluation systématique du travail, soit une nouvelle forme de rationalisation des actes de soins (Sainsaulieu, 2003). A partir de cette réforme, la gestion du temps et des coûts prévaut peu à peu sur la qualité relationnelle entre soignés/soignants tout en redéfinissant l’organisation du travail et la notion de coopération entre pairs.

La question de la délégation des actes de soins surgit lorsque le nombre d’actes augmente pour répondre aux objectifs de productivité. En établissement de santé, cette augmentation est souvent liée au développement constant de la médecine assujetti à un fort besoin de rationalisation du travail par les soignants eux-mêmes.

Dès 1951, Hughes étudie le travail infirmier en posant la question suivante : « Pourquoi telle tâche est accomplie par l’infirmière plutôt que par quelqu’un d’autre, ou par quelqu’un d’autre plutôt que par l’infirmière ? ».

L’observation permet de pointer les limites entre les rôles des professionnels et l’impact de la hiérarchisation sur les compétences : « Comme le nombre de tâches à accomplir augmente de jour en jour dans les hôpitaux modernes, il y a davantage de frontières entre postes qu’il y en avait précédemment. Toutes sont le lieu d’une nécessaire coopération, et donc d’un conflit potentiel. »

Les enjeux pour la reconnaissance du travail et leurs conséquences sur la rémunération situent les limites entre les infirmiers et les aides-soignants d’une part, et bien sûr entre les infirmiers et les médecins d’autre part. Hughes analyse comment « tout changement de technologie médicale soulève la question de savoir qui, du médecin ou de l’infirmière, assurera dans les différentes circonstances qui peuvent se présenter, les nouvelles tâches ».

Pour ce faire, l’auteur s’intéresse à la typologie des tâches assumées par catégories professionnelles ainsi qu’à la forme de délégation définie par types de tâches, c’est-à-dire : quelles sont les tâches dites prestigieuses ou bien serviles ?

L’enjeu majeur de la délégation est la hiérarchisation des compétences délimitée par la transmission des tâches jugées « moindres », appelées communément « la délégation du sale boulot » ou « dirty-work ». Le transfert des compétences observé par Hughes correspond à l’instauration de nouvelles technologies susceptibles de transformer le « faisceau de tâches » caractéristique du travail infirmier (Carricaburu et Ménoret, 2005).

La délégation renvoie également à la nécessité d’une catégorie socioprofessionnelle amenée à confier les tâches situées en bas de l’échelle des valeurs sociales afin de préserver la maîtrise (la rareté) ou le prestige.

En ce sens, la délégation ne procure aucune valorisation sociale pour celles et ceux qui récupèrent les tâches les plus fastidieuses ou dégradantes pouvant par là même les exposer au mépris des autres. Même si Durkheim parlait en son temps des bienfaits de la division du travail en termes de « solidarité organique » et de solution pacifique à la vie en commun dans les sociétés industrialisées, il constatait certains aspects pouvant néanmoins présenter des formes pathologiques et, dans ces cas particuliers, le risque est que la division du travail ne produise plus de solidarité. Poussée à son paroxysme, elle peut en effet être source de désintégration sociale lorsque les individus - trop différenciés, trop spécialisés - ne se rendent plus compte de leur interdépendance.

Ainsi, la notion de « dirty-work » initiée en France par Anne-Marie Arborio au cours de sa recherche, relative au travail des aides-soignants dans les hôpitaux, illustre parfaitement les effets délétères de la « délégation à outrance ». Comme Hughes, elle prend pour exemple l’acte de soin consistant à mesurer la température du patient. Si le thermomètre fût en effet au début du XXème siècle considéré comme l’instrument prestigieux réservé aux médecins, il a ensuite été transmis aux infirmières pour finir entre les mains des aides-soignantes. Ce « glissement des tâches » indique une hiérarchisation descendante du « dirty-work », le « sale boulot » correspond en milieu hospitalier à la délégation d’actes dits impératifs mais mineurs comparativement aux actes de soins spécialisés.

Comme le dit si bien Jean Peneff « le contact avec la saleté est un critère essentiel pour évaluer la position hiérarchique et les différences de statut ». Le « dirty-work » est une notion informelle du travail qui interagit sur les catégories socioprofessionnelles et prend tout son sens au plus bas niveau de la hiérarchie. Les tâches les plus dévalorisées incombent aux aides-soignants puisque les déchets (organiques, alimentaires, matériels) représentent le « rebus absolu » de la société ; Anne-Marie Arborio (p. 123) précise que le « sale boulot » se repère aux tâches « reconnues comme dégradantes et laissées aux catégories sociales les plus basses ».

Le rapport « au corps » et « aux soins » est régi par la valeur symbolique attribuée aux actes eux-mêmes. L’échelle hiérarchique des actes infirmiers se construit autour de la technicité et de la délégation du « sale boulot ». Les aides-soignants participent tout autant aux soins du patient, mais ne bénéficient pas de la même reconnaissance du travail malgré la création du diplôme d’Etat d’aide-soignant les impliquant dans le champ des soins infirmiers.

Par ailleurs, les infirmiers représentent la catégorie socioprofessionnelle intermédiaire entre les médecins et les aides-soignants, ils investissent également la sphère des soins et luttent pour la reconnaissance de leur spécialité. Ils subissent à moindre effet la division du travail, mais partagent avec les aides-soignants les mêmes besoins de reconnaissance face aux obstacles institutionnels, qui les traversent et délimitent leurs tâches sous le prisme de la rationalisation et du contrôle d’une autre catégorie socioprofessionnelle dominante : les médecins.

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