Le modèle de Stein Rokan

II : Une théorie archaïque au regard des transformations de la société

Le monde a connu de profondes mutations, laissant place à de nouveaux clivages (A) qui sont venus brouiller les pistes de l’analyse rokkanienne devenue inerte (B).

A : L’émergence de nouveaux clivages comme conséquence de l’évolution sociétale

Les nouveaux clivages ont été bâtis sur une fondation tangible de la société du XXème siècle ; l’on est amené à montrer une évolution en deux temps, avec deux nouvelles révolutions rokkaniennes c’est-à-dire post-industrielle dans les années 60 et 80, avec une révolution qualifiée de mondialiste à partir des années 1980. Celle-ci émane des transformations issues de la mondialisation à l’instar de l’immigration, les finances, les mutations économiques, ou le développement de la technologie.

Dans le texte fondateur de Rokkan, les contours des principaux clivages se dessinent au regard du facteur historique. Or, la grille d’analyse tend à être bouleversée puisque l’évolution de la société génère de nouveaux partis politiques et de nouvelles tendances apparaissent. En effet, face aux défis majeurs et aux catastrophes naturelles, les actions pour la protection de l’environnement ont été médiatisées pour mettre en avant les grands problèmes de la planète. C’est la raison pour laquelle le parti écologiste s’est construit autour d’une réalité ou d’une société en constante évolution.

Les écosystèmes à protéger ont été source de conflit entre les Verts et les grands propriétaires industriels qui pullulaient au détriment de l’environnement. Cela démontre que l’apparition des problèmes environnementaux a permis l’élaboration d’un parti politique unique (les Verts). L'émergence du parti Vert dans les années 1980 modifie ainsi le paradigme du clivage car face à ces tentatives de classification, le parti écologiste ne permet pas de l’identifier à travers le dualisme gauche-droite en raison d’une tradition politique nouvelle. A ce titre, le clivage Homme/Nature lié à la prise de conscience globale d’un danger (pollution, essai nucléaire, nature menacée par l’homme) explique l’apparition de partis écologistes fortement opposés au productivisme en Europe occidentale.

Dépourvu de preuves empiriques pour valider la scientificité de cette théorie, le clivage s’écarte de la logique actuelle. En effet, les différentes familles politiques décrites dans le modèle de Rokkan n’ont laissé aucune empreinte sur la scène politique européenne à l’exception de l’Italie. L’intensité du clivage varie donc selon l'espace et le groupe social, à l’instar de Pierre Bréchon qui affirme que la « diversité communautaire engendre un fractionnement politique sur la base de communautés linguistiques ou culturelles distinctes ».

Il en est de même pour le clivage Identité/Cosmopolitisme provenant de l’immigration, un phénomène issu du Tiers Monde provoquant par la suite des réactions de solidarité et d’hostilité. Dans l’esprit du citoyen, le sentiment d’insécurité est devenu un enjeu électoral. Ceci explique la création de partis d’extrême droite dans plusieurs pays européens à partir des années 1980.

Ainsi, le portrait brossé par Rokkan ne suffit plus à expliquer pleinement la structuration en clivage des systèmes partisans. Des auteurs seront amenés à réviser la théorie de Rokkan. En effet, depuis 1945 l’expression anglaise « Global Revolution » touche à la fois les institutions, la culture avec une régionalisation occidentale (OTAN, Union européenne).

B : L’inertie du paradigme des clivages

Une enquête d’opinion réalisée par l’institut Viavoice pour la Revue civique et la Fondation Jean Jaurès montre au début de l’année 2018 que 75% des Français estiment que « faire travailler ensemble les élus de gauche et de droite permet de prendre de meilleures décisions pour la France». Cette inertie du système des clivages, en phase avec l’émergence de l’individualisme post-matérialiste, reflète bel et bien la tendance de la « réduction de créneau » entre les partis jusqu’à la montée en puissance des partis centristes dont la victoire du Parti la République En Marche est un bel exemple. Albert Thibaudet, littéraire français, entend par le mot Sinistrisme le remplacement progressif des partis politiques de gauche, par de nouveaux partis plus radicaux qui poussent les anciens vers la droite. Citons quelques exemples : le Parti Radical a été remplacé par la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) ; les socialistes par le Parti communiste français. Ce qui montre ainsi que la prise de positions des partis sur la scène politique n’est pas figée et que le clivage pourrait disparaître l’approchement vers le centre.

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