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Caractéristiques des voies de l'émergence de la société moderne

Analyse sectorielle : Caractéristiques des voies de l'émergence de la société moderne. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  5 Octobre 2014  •  Analyse sectorielle  •  5 810 Mots (24 Pages)  •  780 Vues

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BARRINGTON MOORE les origines sociales de la dictature et de la démocratie. Maspero 1983, pp337-346

Il s'agit maintenant de caractériser à grands traits les trois modes d'apparition de la société moderne. La première a conjugué le capitalisme et la démocratie parlementaire après une série de révolutions : Révolution puritaine, Révolution française et guerre de Sécession américaine. Compte tenu de certaines nuances sur lesquelles je reviendrai tout à l'heure, c'est ce que j'ai appelé la voie de la révolution bourgeoise; l'Angleterre, la France et les Etats-Unis l'ont empruntée successivement à partir de bases sociales entièrement différentes. La seconde voie a été elle aussi une voie capitaliste, mais n'ayant pas été portée par un puissant soulèvement révolutionnaire, elle a mené au .fascisme en passant par une série. de moments réactionnaires. Il faut souligner que, grâce à cette révolution par le haut, l'industrie a pu s'épanouir en Allemagne et au Japon. La troisième voie est celle du Communisme. En Russie et en Chine des révolutions à forte participation paysanne ont rendu possible la variante communiste. Enfin, vers 1963, l'Inde a entrepris de devenir une société industrielle moderne. Elle n'a connu ni révolution bourgeoise, ni révolution conservatrice, ni révolution communiste, du moins jusqu'à présent. L'angoissant problème que les successeurs de Nehrou ont à résoudre, c'est précisément de savoir si le pays pourra éviter de payer la dure rançon de ces trois formes révolutionnaires et de découvrir une voie nouvelle, ou bien s'il succombera au péril non moins redoutable de la stagnation. Dans une certaine mesure, fort limitée d'ailleurs, ces trois révolutions - la bourgeoise, la conservatrice et la paysanne, qui mènent respectivement à la démocratie parlementaire, au fascisme et au communisme - peuvent se présenter comme des choix; mais elles sont surtout des moments de l'histoire. En ce sens, elles sou tiennent un rapport de détermination limité. Les méthodes de modernisation choisies ici ou là changent les données des problèmes pour les autres pays; c'est ce qu'avait compris Veblen lorsqu'il parlait des « avantages du sous-développement ». Les méthodes réactionnaires de l'Allemagne et du Japon n'auraient pas été possibles sans la modernisation démocratique de l'Angleterre. Si elle n'avait pas été précédée par les voies réactionnaire et démocratique, la méthode communiste aurait été entièrement différente, à supposer même qu'elle ait pu voir le jour. On aperçoit clairement que la méfiance des Indiens est en partie une réaction contre les trois formes précédentes. Il y a sans doute eu des problèmes communs à tous les pays qui ont construit une société industrielle, mais c'est un travail perpétuellement mouvant. Les conditions historiques qui entourent la formation de chaque espèce politique varient considérablement. Au sein de chaque famille, il existe aussi des différences, surtout visibles dans celle de la démocratie, et des ressemblances significatives. Dans ce chapitre, nous essaierons de rendre justice aux unes et aux autres, en analysant certains traits sociaux agraires qui ont contribué au développement de la démocratie occidentale. Il faut encore une fois expliciter cette formule, au risque de manquer les vrais problèmes. La démocratie est un combat très long et jamais terminé qui se propose trois choses : 1. Barrer la route à l'arbitraire du pouvoir. 2. Remplacer les pouvoirs arbitraires par des pouvoirs justes et rationnels. 3. Faire participer le peuple à la mise en place des pouvoirs. C'est le premier principe qui a fait décapiter des rois, et si ces épisodes sont dramatiques, ils ne sont certainement pas les moins importants. Ce sont les deux autres qui ont fait régner la loi et la législature, et ont plus tard utilisé l'Etat pour promouvoir le bien-être social. Il faut aussi essayer de voir quels ont été les points de départ des sociétés modernes. Y a-t-il des différences structurelles dans les sociétés agraires, qui tantôt favorisent l'éclosion à terme de la démocratie parlementaire, et tantôt l'entravent ou même l'excluent . Le point de départ ne conditionne pas tout. La société prussienne du XIVeme siècle présentait certains traits communs avec d'autres sociétés européennes qui ont pourtant donné des démocraties parlementaires. Les transformations fondamentales qui modifièrent la sociéte prussienne, et finalement la société allemande, n'eurent lieu qu'aux 15e et 16e siècles. Toutefois, même si le point de départ n'est pas décisif en soi, il y a des facteurs favorables et des facteurs défavorables On peut dire, il me semble, que la féodalité occidentale avait mis en place certaines institutions spécifiques qui favorisaient l'éclosion démocratique. L'historien allemand Otto Hintze donne des arguments convaincants, mais le débat n'est pas clos '. L'aspect le plus important est à nos yeux l'idée d'immunité à l'égard du pouvoir, et la notion du droit de résistance' à l'autorité injuste. Si on les rapproche du concept de contrat, entendu comme engagement mutuel librement consenti entre personnes libres, tel qu'il dérive du rapport féodal de vassalité, ce complexe d'idées et de pratiques est un legs fort important de la société médiévale européenne à l'idéologie occidentale moderne de la société libre. Or ce faisceau conceptuel est né seulement en Europe occidentale. C'est là seulement que s'est réglé le délicat équilibre entre l'excès et l'insuffisance du pouvoir royal qui a donné son élan à la démocratie parlementaire. Certaines ressemblances incomplètes apparaissent ailleurs, mais elles n'ont pas cette proportion idéale qu'ont ces éléments en Europe occidentale. La société russe a eu ses fiefs, les soslovii. Mais Ivan le Terrible rompit l'échine de la noblesse indépendante. Elle n'essaya de récupérer ses privilèges qu'après la disparition de Pierre le Grand et les obtint sans retrouver les obligations qui leur étaient afférentes ni la représentation de sa classe au sein du pouvoir. La bureaucratie chinoise 'avait fait naître l'idée d'un mandat du Ciel, qui donnait quelque légitimité à la résistance à 'arbitraire, mais non pas celle d'immunité de corps, que les fonctionnaires lettrés créèrent par une situation de fait contre le principe même de la bureaucratie. Le Japon eut son régime féodal, mais il reposait surtout sur la fidélité aux supérieurs et à l'empereur-dieu. Il

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