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État d'urgence : les abus de l'exception

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Par   •  27 Avril 2016  •  Dissertation  •  1 966 Mots (8 Pages)  •  2 132 Vues

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État d'urgence : les abus de l'exception

« Il s’agit d’actes de guerre contre la France et ses valeurs », déclare François Hollande le 13 novembre, quelques heures après la vague d’attentats terroristes la plus meurtrière que la France ait connue : l’état d’urgence est déclaré sur tout le territoire. Défini par la loi du 3 avril 1955 dans un contexte de guerre algérienne, l’état d’urgence constitue un ensemble de prérogatives accordées au ministre de l’Intérieur, aux préfets et aux forces de l’ordre « en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Cinq mois après, l’état d’urgence est encore en vigueur. Toutefois, l’usage de ce qui est tout logiquement considéré comme un régime d’exception – la loi fixant initialement sa durée à douze jours – est aujourd’hui critiqué. Ses détracteurs voient en l’état d’urgence une source de multiples abus par ses atteintes inacceptables aux libertés fondamentales, dont le caractère exceptionnel semble s’estomper. Si d’autres formes d’états d’urgence existent dans différents pays, nous nous intéresserons à la situation française, dont l’actualité rend l’analyse plus pertinente. Ainsi, il paraît intéressant de se demander : dans un contexte de menace terroriste durable, dans quelle mesure le droit peut-il encadrer et adapter des dispositifs à vocation exceptionnelle ?

Nous verrons d’abord en quoi consiste cet état d’exception, quels sont ses abus et comment ils sont justifiés à long terme. Nous étudierons ensuite que n’ayant pas vocation à durer, l’état d’urgence doit être réformé, adapté et contrôlé dans une situation qui s’éloignera de l’exception en devenant la norme.

Tout d’abord, il convient de définir plus précisément ce qu’est l’état d’urgence, en quoi les mécanismes qu’il permet relèvent de l’exception, et comment il est justifié. Il n’a été décrété qu’à deux reprises depuis la guerre d’Algérie : en Nouvelle-Calédonie, en 1984, et durant les émeutes de 2005. L’état d’urgence octroie au pouvoir exécutif, souvent au détriment du pouvoir judiciaire, un certain nombre de prérogatives pouvant restreindre ou suspendre les libertés publiques : il s’agit par exemple de la liberté d’expression et de circulation, ou plus concrètement des mesures telles l’assignation à résidence ou les perquisitions sans mandat – où le Procureur de la République, d’après la loi, n’en est qu’ « informé ». Ainsi, au même titre que l’état de siège ou des pouvoirs spéciaux du chef de l’État (article 16), l’état d’urgence constitue une exception. Ajoutons à cela que la loi a été modifiée avec des termes relativement obscurs et sources de multiples interprétations : on peut désormais dissoudre une association si elle trouble « gravement » l’ordre public – il appartient pourtant au pouvoir exécutif de définir la teneur de cette gravité. Malgré cela, l’état d’urgence est maintenu depuis cinq mois après un traumatisme : la nation a été attaquée. Vanessa Codaccioni, universitaire, a montré que la défense de la nation prime désormais sur la défense de l’État dans la lutte antiterroriste : ce n’est plus l’article 16 ou l’état de siège qui est décrété, dispositifs inscrits dans la Constitution, mais l’état d’urgence, loi adoptée par le Parlement et visant moins à la défense des institutions qu’à la protection des citoyens. C’est ainsi que l’état d’urgence est prolongé ; on pourrait y voir un certain retour au droit répressif qu’avait décrit Émile Durkheim dans les sociétés mécaniques. L’objectif est de trouver et punir tous ceux qui violeraient la conscience collective, pas de réhabiliter les individus ayant fauté : la proposition de déchéance de la nationalité relevait clairement de cette logique.

Toutefois, malgré l’aspect nécessaire de cet état d’exception, des abus incontestables semblent dépasser le cadre légal. Il est à vrai dire assez parlant de constater qu’à peine deux jours après sa proclamation, le gouvernement prévenait Bruxelles que les pouvoirs publics étaient « susceptibles de nécessiter une dérogation à certains droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme ». Plusieurs libertés allaient être suspendues, et les exemples ne manquent pas : le 19 novembre 2015, des policiers d’élite font exploser la porte de l’appartement d’un couple tunisien, blessant leur fille âgée de six ans, alors qu’ils se sont trompés d’adresse. Le 22 novembre, d’autres saccagent l’appartement d’un musulman portant la barbe et repartent sans un mot. Une autre perquisition tourne mal lorsque certains s’interrogent sur un tableau où est peint un homme barbu alors qu’il s’agit de … Léonard de Vinci. Lors des 2700 perquisitions administratives effectuées entre le 14 novembre et le 15 décembre, les forces de l’ordre ont saisi 431 armes, dont 41 armes de guerre. Là où certains diront que ces actions doivent être entreprises coûte que coûte quels que soient leurs résultats, d’autres dénoncent une atteinte inacceptable aux libertés et un manque criant d’efficacité. La juriste Danièle Lochak fustige qu’on touche désormais « des personnes qui n’ont rien à voir avec le terrorisme mais qui ont le tort d’être musulmanes » : la vision mythique du droit est atteinte en ce que l’accès à la justice ne semble pas être le même pour tous. C’est ainsi que la Ligue des droits de l’Homme, fondée en 1898 en pleine affaire Dreyfus, lance dès le 17 décembre 2015 un appel : « Sortir de l’état d’urgence ». Ils dénoncent notamment les assignations à résidence, qui peuvent être décrétées si « des raisons sérieuses laissent penser que le comportement de la personne constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public ». Un point majeur caractérise l’exception que constitue l’état d’urgence : on ne s’intéresse plus à l’activité de l’individu mais à son comportement. Bernard Cazeneuve y ajoute que les fiches « S » permettent de « suivre le comportement de gens qui n’ont commis aucune infraction pénale, mais qui peuvent en commettre une ». Et malgré les pluies de critique, les « atteintes à l’État de droit », les Français à travers leur représentation nationale accepte et perpétue l’état d’urgence. Dans ses Commentaires sur la

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