L'amour donne-t-il des ailes ?

L’amour donne-t-il des ailes ?

        Quand on dit que « l’amour donne des ailes », on veut dire que l’amour rend à la fois heureux et invincible. C’est une expression, que tout le monde dit et entend, sans forcément réfléchir au sens qu’elle a. Les ailes sont celles des oiseaux bien sûr, mais aussi celles des anges, de créatures mythologiques, comme Pégase, ou de Cupidon. Elles permettent de voler. Depuis toujours, c’est l’un des fantasmes de l’homme : c’est en voulant voler avec son père qu’Icare est mort. Malgré toute la science déployée par Dédale dans la création de ces ailes, Icare s’est trop approché du soleil, la cire a fondu, et il est tombé dans l’océan pour s’y noyer. Quelque chose qui donne des ailes, c’est quelque chose qui permet de se surpasser, de vaincre ses propres limites. Et, selon cette expression, ce serait l’amour qui donnerait aux gens la capacité de se dépasser. En disant que l’amour donne des ailes, on présuppose qu’il n’y a que l’amour qui donne des ailes, et que les gens qui n’aiment pas n’ont pas la capacité de se surpasser, ou, du moins, que c’est plus compliqué pour eux que pour les amoureux. On parle en effet généralement en employant cette expression de l’amour amoureux, qui lie une personne à une autre plus particulièrement, différemment d’avec les autres, sans forcément prendre en compte toutes les autres manières d’aimer qui sont possibles (l’amour filial, amical, spirituel…). Pourtant, l’amour rend aussi parfois malheureux, et peut empêcher d’avancer : ce n’est pas pour rien qu’Éros lance à la fois les flèches du désir et celles du rejet. Comment l’amour pourrait-il donner des ailes, s’il peut à tout instant rendre malheureux ? Nous verrons donc dans une première partie qu’effectivement, l’amour donne des ailes ; cependant, comme Icare, on peut se brûler les ailes ; enfin, il peut aussi rendre malheureux, voire empêcher d’avancer.

        Le Banquet est un texte écrit par Platon, dans lequel diverses personnes prennent la parole. Le sujet que les convives se sont imposé est l’amour. Le premier à s’exprimer est donc Phèdre, parce que c’était son idée : il dit, au paragraphe 178e, que « s’il pouvait y avoir moyen de constituer une cité ou de former une armée avec des amants et leurs aimés, il ne pourrait y avoir pour eux de meilleure organisation, que le rejet de tout ce qui est laid, et l’émulation dans la recherche de l’honneur ». L’amour donnerait des ailes sur le champ de bataille, en permettant aux amants et aux aimés de se battre avec plus de vaillance, afin de n'avoir pas de honte l’un face à l’autre. Cependant, l’amour n’est pas forcément celui d’une personne envers une autre, et, même en ce cas-là, il ne s’agit pas inévitablement d’un amour qui lierait une personne à une autre, et qui seraient amoureux l’un de l’autre. On peut en effet penser aussi à toutes ces personnes qui se battent pour une cause, voire qui meurent pour ladite cause. L’amour peut porter à se surpasser ; chaque personne, en son for intérieur, et peut-être égoïstement, souhaite conserver son existence, ou, du moins, ne souhaite pas que quiconque la lui ravisse. Certains ont cependant mis cette réticence de côté, et se sont consacrés corps et âme à quelque chose. On peut par exemple penser à Martin Luther King, qui est mort assassiné le 04 avril 1968, par des personnes hostiles à la cause qu’il incarnait et défendait. En étant l’icône du mouvement américain des droits civiques, il savait qu’il mettait peut-être en jeu sa vie, et il a malgré tout pris le risque, considérant qu’il ne valait pas la peine de vivre dans un monde inégalitaire. On peut également penser à ceux qui se battent au nom d’une religion : les guerres de religion, les croisades, et, aujourd’hui, l’extrémisme qui pousse certains à se radicaliser, jusqu’à tuer d’autres personnes, au nom d’une cause qui leur semble juste. Même s’il ne s’agit pas forcément d’un amour personnel, mais d’une idée bâtie de toutes pièces par d’autres personnes, en se basant sur la peur, les croyances religieuses ou spirituelles… le résultat est le même : la personne ressent un sentiment d’amour. Non pas un sentiment amoureux, mais spirituel, intrinsèque. On peut enfin citer Liam Neeson, qui a expliqué dans une interview donnée à une journaliste de The Independant en 2019, qu’il avait souhaité tuer un Noir, n’importe lequel, parce qu’un Noir avait violé une femme de sa connaissance. Le procédé est discutable, mais là n’est pas la question : son premier sentiment, même s’il l’a regretté, a été de chercher à tuer, par haine et dégoût du viol qui avait été perpétré sur la femme qu’il connaissait. Toutes les personnes citées ci-dessus sont donc prêtes à mourir, ou à tuer, pour une cause ou une idée qui leur semble être juste, pour une cause ou une idée qu’ils aiment donc. L’amour est un concept, mais surtout un sentiment qui transporte la personne, jusqu’à la faire sortir hors d’elle-même : on se surpasse, on ne se reconnaît plus forcément dans les actions que l’on peut faire par amour.

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