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Sénèque : De La Providence

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Par   •  8 Mars 2012  •  6 578 Mots (27 Pages)  •  2 051 Vues

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Sénèque

DE LA PROVIDENCE

ou

POURQUOI LES GENS DE BIEN SONT SUJETS AU MALHEUR,

LORSQU’IL EXISTE UNE PROVIDENCE.

(Traduction J. Baillard, 1914)

I. Tu me demandes, Lucilius, pourquoi, si le monde est régi par une Providence, les gens de bien éprouvent tant de maux. La réponse trouverait plus aisément place dans le corps d’un traité où nous démontrerions que cette Providence préside à toutes choses et qu’un Dieu habite au milieu de nous ; mais puisqu’il te plaît de détacher une partie de la grande question et de voir résoudre ton objection unique, sans toucher au fond du procès, ma tâche ne sera pas difficile : je vais plaider la cause des dieux.

Il est superflu, pour le moment, de prouver que ce vaste univers ne peut subsister sans un être conservateur ; que ce cours des astres, si régulier dans sa diversité, n’est point dû aux brusques mouvements du hasard, ce que le hasard fait surgir, étant sujet à des perturbations fréquentes et à de promptes collisions ; qu’au contraire une loi éternelle ordonne cette marche rapide et harmonieuse qui emporte toute l’immensité des terres et des mers et ces éclatants luminaires qui brillent rangés dans l’espace ; qu’un tel ordre n’est pas le produit de l’errante matière ; que des agrégations fortuites ne s’équilibreraient avec l’art tout-puissant qui fit asseoir immobile la terra et son énorme masse, pendant qu’elle voit les cieux fuir si vite autour d’elle ; qui, pour amollir la terre, versa les mers dans leurs bassins, sans qu’elles se sentissent grossir par les fleuves ; qui enfin de germes imperceptibles, fit naître de si grands vé­gétaux Que dis-je ? tout ce qui paraît désordre et irrégularité, à savoir les pluies, les nuages et leur choc d’où jaillissent les foudres ; les incendies vomis par la cime des monts entrouverts ; les secousses du sol ébranlé ; tous les mouvements qu’enfante autour du globe la partie orageuse de la création, quoique subits, n’arrivent pas sans dessein. Ils ont leurs raisons, comme ces phénomènes qui, vus hors de leur lieu naturel, paraissent des prodiges, tels que des eaux chaudes au milieu de la mer, et ces îles nouvelles qui tout à coup montent à sa surface. Et quand on voit la mer mettre à nu ses rivages en se retirant sur elle-même, et dans un court espace de temps les couvrir de nouveau, croira-t-on que c’est une aveugle impulsion qui tantôt repousse et refoule les ondes vers le large, tantôt les chasse et les renvoie précipitamment regagner leur place, si l’on observe surtout que ces eaux s’enflent progressivement, ont leurs heures et leurs jours marqués, et vont croissant ou décroissant suivant les attractions de la lune qui règle à son gré ces évolutions marines ?

Mais réservons tout cela pour le temps convenable ; d’autant que ce ne sont pas des doutes que tu élèves contre la Providence, mais des plaintes. Je te réconcilierai avec les dieux, toujours bons quand l’homme l’est lui-même. Car la nature ne comporte pas que ce qui est bon nuise aux bons. Il y a entre l’homme de bien et les dieux une amitié dont le lien est la vertu. Une amitié, ai-je dit, non ; c’est plus encore : une parenté, une ressemblance. L’homme de bien ne diffère de Dieu que par la durée : il est son disciple, son émule, son véritable fils. L’être sublime dont il descend, sévère censeur de toutes vertus, est comme un père rigide : il élève durement sa famille.

Quand donc tu verras les hommes vertueux, les bienvenus de la divinité, voués à la peine, aux sueurs, gravir de rudes montées, tandis que les méchants sont en tête et regorgent de délices, rappelle-toi qu’on aime la retenue dans ses enfants, la licence dans ceux des esclaves, qu’on astreint les premiers à une règle austère et qu’on excite la témérité des seconds. Ayons de Dieu la même idée ; il ne traite pas mollement l’homme vertueux ; il l’éprouve, il l’endurcit, il le mûrit pour le ciel.

II. Pourquoi l’homme de bien essuie-t-il tant de traverses ? Rien de mal ne peut arriver à l’homme de bien : les contraires ne vont point ensemble. De même que toutes ces rivières, toutes ces pluies que versent les cieux, et ces milliers de sources médicinales, loin de changer la saveur de la mer, ne l’affaiblissent même point ; ainsi tous les flots de l’adversité ne transforment point une âme courageuse, elle demeure la même et donne aux événements sa propre teinte ; car elle est plus forte que les accidents extérieurs : je ne dis pas qu’elle ne les sent point, mais elle en triomphe ; calme d’ailleurs et pacifique, elle ne se lève que pour repousser les chocs ennemis. Toute adversité est à ses yeux un exercice. Où est l’homme, digne de ce nom et que l’honnête aiguillonne, qui ne désire une épreuve à sa taille et ne brave le péril pour voler au devoir ? L’oisiveté pour toute âme active n’est-elle pas un supplice ? Nous voyons les athlètes soigneux de leur vigueur choisir les antagonistes les plus robustes et vouloir que ceux qui les préparent pour le combat déploient contre eux toutes leurs forces. Ils endurent les coups, les plus rudes étreintes ; et, s’ils ne trouvent pas leur égal, ils tiennent tête à plusieurs à la fois. Le courage languit sans adversaire : sa grandeur, sa force, son énergie n’éclatent tout entières que dans l’épreuve de la douleur.

Voilà, sache-le bien, ce que doit faire l’homme vertueux, s’il veut ne pas redouter la fatigue et la peine et ne pas se plaindre de la destinée : quoi qu’il arrive, qu’il le prenne en bonne part et en fasse profit. L’important n’est pas ce que tu souffres, mais dans quel esprit tu le souffres. Vois quelle différence entre la tendresse d’un père et celle d’une mère ! Le père ordonne qu’on réveille son fils de bonne heure pour qu’il se livre à l’étude, même les jours de fête il ne le souffre pas à rien faire, il fait couler ses sueurs et quelquefois ses larmes. La mère, au contraire, le réchauffe sur son sein, toujours elle veut le tenir à l’ombre, éloigner de lui les pleurs, le chagrin, le travail. Dieu a pour l’homme de bien les sentiments d’un père, une mâle affection : « Qu’il soit, dit-il, secoué par la fatigue, par la douleur, par les privations, pour acquérir la véritable force. » Les animaux qui doivent à l’inaction leur embonpoint perdent toute vigueur ; et non seulement le travail, mais le mouvement seul et leur propre poids les accable. Une prospérité non encore entamée ne résiste à aucune atteinte ; mais une lutte assidue avec

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