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Quel Pouvoir Aux Mots ?

Note de Recherches : Quel Pouvoir Aux Mots ?. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  12 Juin 2012  •  4 243 Mots (17 Pages)  •  1 386 Vues

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Introduction

Il est courant d'entendre dans l'opinion commune des expressions comme," ce ne sont que des mots", "au lieu de parler, il ferait mieux d'agir" etc. Ce que toutes ces expressions ont en commun, c’est la croyance implicite que les mots ne sont pas importants et qu'ils n'ont pas de réel pouvoir; on oppose ainsi l'ordre théorique du langage qui importerait finalement peu à l'ordre pratique de l'action qui seul compterait vraiment. Mais quelle est la consistance de cette opinion commune? N'a-t-elle pas une compréhension du langage et de ce qui est en jeu en lui infiniment trop superficielle? Si les mots étaient si peu importants, comment pourrait-on comprendre ce qu'une écrivain comme Dinesen a à nous dire lorsqu'elle déclare que ""tous les chagrins du monde sont supportables si on en fait un conte ou si on les raconte"? Comment expliquer alors qu'un pouvoir institué aura toujours besoin d'exercer un contrôle sur la langue pratiquée dans la société? Les mots ne sont-ils pas , au contraire, au cœur d' enjeux anthropologique concernant notre humanisation et politique concernant les rapports de pouvoir au sein d'une société, absolument fondamentaux? Autrement dit, y-a-t-il vraiment lieu d'opposer l'action aux mots? Parler n'est-ce pas une façon d'agir et donc d'exercer des effets, soit, avoir du pouvoir?

Démarche pour traiter le problème:

Comme pour tous les sujets qui n'appellent pas une réponse par oui/non, pensez, si vous avez du mal à définir une démarche pour traiter le problème, à distinguer différents niveaux d'analyse; ici, je traiterai d'abord la question sur un plan psychologique et anthropologique en montrant l'importance immense de l'acquisition du langage dans la transformation de la psyché humaine en un individu apte à vivre en société et à accéder aux formes supérieures de la culture. Puis, je reposerai la question sur un plan social et politique en montrant que les mots constituent un instrument de domination qui peut devenir totale dans le cadre d'un ordre totalitaire. D'où finalement la nécessité de repenser le langage de façon critique ce qui est une des tâches les plus importantes de la réflexion philosophique.

1)Le langage comme instrument de socialisation

a)le langage= voie de sublimation de la vie psychique

Si les mots avaient si peu d'importance comment pourrait-on comprendre ce que Dinesen a à nous dire lorsqu'elle déclarait que "tous les chagrins du monde sont supportables si on en fait un conte ou si on les raconte"? Ne voyons-nous pas ici le pouvoir du langage en tant qu'il nous permet de nous libérer du poids des affects tristes qui peuvent nous oppresser. Exprimer symboliquement son "chagrin" est une façon de le mettre à distance de soi et s'en décharger; c'est d'ailleurs sur ce pouvoir libérateur des mots que repose le principe de la cure psychanalytique; ce que Freud invente à l'aube du XXème siècle, c'est une nouvelle façon de soigner les troubles psychiques qui est révolutionnaire en ce sens qu'elle fait de la parole du patient l'acte thérapeutique lui-même. On voit tout de suite ici l'importance de l'acquisition du langage dans la formation d'un individu: celui a qui manque les mots pour libérer ses affects celui a qui les voies du récit et de la narration sont fermées devra libérer son affect d'une autre façon qui sera directe et brute et qui se fera par la violence qu'il pourra infliger aussi bien à lui-même (l'affect se déchargera par exemple sous forme de troubles somatiques comme dans le cas de l'hystérie) qu'aux autres. C'est d'ailleurs en ce sens qu'on peut comprendre le don particulier du poète de pouvoir verbaliser à la fois par le rythme et la plastique des mots ce qui chez le commun des mortels est condamné à rester inexprimable. Il est, en quelque sorte, le porte voix de tous ceux qui doivent souffrir en silence, raison pour laquelle sa parole peut être un baume pour eux:" Si l'homme se tait dans ses tourments, un dieu m'a donné ce pouvoir: dire ce que je souffre."(Goethe, Les années d'apprentissage de Wilhelm Meister ); le dicton populaire qui dit que "les grandes douleurs sont muettes" est, en réalité, équivoque: est-ce parce qu'elles sont muettes que ces ces douleurs sont grandes ou est-ce parcequ'elles sont grandes qu'elles sont condamnées à rester muettes? Dans le domaine de la psyché humaine les deux cas sont possibles: c'est tout autant l'affect qui peut déterminer la représentation que la représentation qui peut déterminer l'affect.

Cette analyse doit en tout cas conduire à poser et développer la notion de sublimation et montrer comment le langage joue un rôle fondamental dans les processus de sublimation de la vie psychique.

Sublimation= sens premier du terme appliqué à la chimie: désigne le passage d'un corps d'un état solide à un état gazeux. Sens dérivé appliqué à la psychologie= désigne un processus de dématérialisation du désir qui est détournée de sa direction initiale pour être réorientée vers les formes supérieures de la culture; la sublimation est à comprendre par distinction avec le mécanisme de refoulement du désir qui consiste simplement à le nier. Parler, comme le soulignait Castoriadis, c'est déjà sublimer: « Il faut rappeler cette évidence banale, dont personne ne semble tenir compte: parler c'est déjà sublimer. Le sujet du langage n'est pas le sujet pulsionnel. A partir du moment où l'appareil oral investit une activité qui ne procure aucun plaisir d'organe (pas en général), il y a activité sublimée. Parler est une activité sublimée, d'abord parce qu'elle ne procure aucun plaisir d'organe; ensuite et surtout parce qu’elle est instrumentée dans et par une création extra-psychique et qui dépasse les possibilités de la psyché singulière; enfin, parce qu’il implique toujours potentiellement que l'on s'adresse à d'autres participants..." (Le monde morcelé)

Ce qui fait de la parole une activité sublimée, ce sont donc trois choses.

Premièrement, la possibilité de la sublimation repose entièrement sur cette singularité de la psyché humaine qui fait qu'il y a chez elle une prédominance du plaisir représentatif sur le plaisir d'organe; les représentations qu'elle forme et altère constituent

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