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De Quoi Puis-je Faire L'expérience?

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Par   •  3 Février 2013  •  4 437 Mots (18 Pages)  •  1 114 Vues

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« De quoi puis-je faire l’expérience ? »

Dans son « Cour de philosophie positive », Auguste Comte crut nécessaire de fixer des limites au champ d’expérience possible de l’homme : ainsi la composition des astres célestes, trop éloignés pour que quiconque puisse en faire l’expérience, sont définitivement étrangers à la connaissance humaine, unique finalité de l’expérience pour Comte. Or, force est de constater qu’aujourd’hui, c’est chose faite : de façon indirecte, à travers la lumière que nous recevons des astres, nous pouvons éprouver leur composition.

Cette anecdote montre bien qu’il n’est pas aisé de délimiter par avance le champ de nos expériences possibles - et pas seulement en sciences- tout simplement parce qu’il est difficile d’appréhender le contenu de nos expériences lui-même. En effet, l’erreur de Comte est peut-être de réduire l’expérience à un simple moyen, au seul enregistrement de la réalité extérieure par les sens dans le cadre d’une expérimentation scientifique, un pont entre la réalité et mon esprit : ainsi pour lui les seules limites possibles de l’expérience ont des origines pratiques (l’impossibilité matérielle d’accéder aux astres). Mais faire une expérience, dans le sens d’éprouver personnellement la réalité d’une chose, d’une situation particulière, d’une habitude acquise par la pratique, est-ce purement passif, sensoriel et exclusivement tourné vers l’extérieur? D’ailleurs, étymologiquement, « faire l’expérience » vient du latin experientia, « faire un essai », celle-ci implique donc fondamentalement une dimension individuelle, puisqu’un essai ne vaut que pour un individu donné. Le champ de nos expériences semble donc se trouver entre la réalité objective et nos représentations subjectives, entre l’objet qui stimule nos sens et notre conscience personnelle, et on comprendrait pourquoi Comte et plus généralement les hommes de sciences tenteraient de s’éloigner des secondes pour se rapprocher des premières lors des expérimentations.

Puis-je faire l’expérience du monde qui m’entoure, et ainsi atteindre l’universalité de la connaissance, ou bien l’objet de mon expérience est-elle en réalité ma propre individualité dans ce qu’elle a d’unique? Entre ces deux pôles, de quoi puis-je faire l’expérience ?

Si l’expérience semble en contact direct avec mon intériorité ou avec le monde extérieur (I), rien ne m’assure que je ne suis pas en rapport qu’avec des phénomènes, distincts de la « chose en soi » et déformés par mon esprit humain d’une part et par ma partialité d’individu fini d’autre part (II). C’est justement parce qu’elle est hybride, à mi-chemin entre ce qui relève de ma personnalité propre et ce qui relève de la réalité, que dans mon expérience ce trouve une part de vérité sur le monde, mais aussi une part de vérité sur moi-même(III)

Il y a une réalité indéniable dans notre expérience, qu’on entende celle-ci comme l’expérience sensible qui fonde l’expérimentation scientifique, l’expérience au sens du vécu, ou enfin l’expérience au sens d’une connaissance acquise par une longue pratique. Nous nous intéresserons notamment à l’expérience sensible car c’est d’elle dont découle toutes les autres.

La question de savoir de quoi je fais l’expérience à travers mes sens n’est pas nouvelle : si leur fiabilité a souvent été remise en question à travers l’argument du rêve de Descartes dans les « Méditations Métaphysiques » ou par opposition à la vérité conceptuelle chez Hegel par exemple, il reste que l’expérience sensible reste notre premier contact avec le monde extérieur, et la première promesse que celui-ci existe bel et bien. Ainsi pour Valéry dans son « Discours aux chirurgiens », l’expérience sensible et notamment celle de la main est notre rapport le plus sûr, le plus direct avec la réalité : sa capacité prodigieuse de préhension n’est aujourd’hui toujours pas égalée par les machines les plus précises, son action la plus banale comme faire un nœud est très difficilement modélisable par les sciences. Quand nous doutons de notre vue ou de notre ouïe, la perception de notre main nous donne toujours l’assurance du réel. Ainsi la main humaine et l’expérience qu’elle nous offre est encore nécessaire. Enfin c’est elle qui nous permet d’instituer un langage observationnel tel que le définit Quine dans « Le mot et la chose ». En montrant ce qui sera le nom, en mimant ce que sera le verbe, la main et plus globalement mon corps, permettent de faire l’expérience du lien entre le symbole et l’objet auquel il se rapporte, le mot et la chose.

De même chez Hegel, la main constitue une interface unique entre la conscience humaine et le monde réel : « la main est après l’organe de la voix, le meilleur moyen par lequel l’homme parvient à se manifester et à s’actualiser effectivement » (« Phénoménologie de l’esprit »). A travers son action sur le monde extérieur qui passe pour beaucoup par la main, l’homme peut manifester son corps, son existence et alors prendre conscience de lui-même. Ainsi faire une expérience et notamment une expérience tactile, outre l’entrée en contact avec l’extérieur, c’est d’abord une prise de conscience de son être, une forme de cogito moins rigoureux mais bien plus spontanée : l’expérience ne me confronte pas qu’à l’extérieur, mais aussi à moi-même.

L’expérience sensible est donc considérée comme un mal nécessaire, une opération faillible mais qui reste notre appréhension la plus fondamentale de la réalité. Aristote puis Locke sont persuadés que nous pouvons faire l’expérience du monde réel où existent un temps et un espace absolus, et donc fonder notre connaissance scientifique sur cette dernière. Hume dans son « Enquête sur l’entendement humain », énonce qu’il existe deux critères de notre expérience quotidienne qui nous incitent à lui faire confiance : la continuité d’une part – à priori je retrouverai une pièce fermée à clef dans le même état dans laquelle je l’ai laissée, la cohérence d’autre part- autrui se comporte comme s’il percevait la même chose que moi. Dans la continuité de cette démarche, Russel deux siècles plus tard imagine une expérience de pensée très intéressante qu’il retrace dans son ouvrage « Problèmes de Philosophie » : il observe la table sur laquelle il écrit. Il observe que son apparence change en fonction de la lumière et du point de vue, il en déduit donc que notre expérience sensible diffère de la table elle-même. Puis il imagine une nappe posée sur cette table, on en plus l’observer directement,

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