LaDissertation.com - Dissertations, fiches de lectures, exemples du BAC
Recherche

L'amitié selon Montaigne et la Boétie

Compte Rendu : L'amitié selon Montaigne et la Boétie. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  15 Juin 2014  •  2 742 Mots (11 Pages)  •  2 243 Vues

Page 1 sur 11

L’AMITIE SELON MONTAIGNE ET LA BOETIE

Si l’on avait à constituer une galerie des amitiés célèbres, la plupart des lecteurs francophones y feraient à coup sûr figurer les noms de Montaigne et de La Boétie. Leur amitié passe pour une des plus solides et une des plus profondes qui soient et l’on a coutume de se référer à eux lorsqu’on veut définir le modèle des amitiés véritables. Pourtant ils ne se sont connus et fréquentés que pendant les quatre dernières années de la vie de La Boétie et ils avaient sans doute, en ce qui concerne l’amitié, des attentes sensiblement différentes. Comparer les deux textes où chacun s’exprime sur ce sujet permettra sans doute de préciser certaines idées reçues et en même temps d’éclairer l’image que nous avons de deux personnalités parmi les plus fortes et les plus originales du XVIe siècle.

Discours sur la servitude volontaire ( Rédigé en 1549, La Boétie a juste 19 ans) : La Boétie

L’œuvre livre une réflexion d’ordre politique sur les rapports humains fondés sur le principe de dominant-dominé. Dans cette perspective, ce texte s’intéresse aux relations d’amitié

« C’est cela que certainement le tyran n’est jamais aimé ni n’aime. L’amitié, c’est un nom sacré, c’est une chose sainte : elle ne se met jamais qu’entre gens de bien et ne se prend que par mutuelle estime, elle s’entretient non pas tant par bienfaits que par bonne vie. Ce qui rend un ami assuré de l’autre, c’est la connaissance qu’il a de son intégrité : les répondants qu’il en a c’est son bon naturel, la foi et la constance. Il ne peut y avoir d’amitié là où est la cruauté, là où est la déloyauté, là où est l’injustice ; et pour les méchants, quand ils s’assemblent, c’est un complot, non pas une compagnie ; ils ne s’entraiment pas, ils s’entrecraignent, ils ne sont pas amis, mais ils sont complices.

Or, quand bien cela n’empêcherait point encore, serait-il malaisé de trouver en un tyran un amour assuré, parce qu’étant au-dessus de tous et n’ayant point de compagnon, il est déjà au-dessus des bornes de l’amitié, qui a son vrai gibier en l’équalité, qui ne veut jamais clocher, ainsi est toujours égale. Voilà pourquoi il y a bien entre les voleurs (ce dit-on) quelque foi au partage du butin, pour ce qu’ils sont pairs et compagnons et, s’ils ne s’entraiment, ils s’entrecraignent et ne veulent pas, en se désunissant, rendre leur force moindre, mais du tyran, ceux qui sont les favoris n’en peuvent jamais avoir aucune assurance, d’autant qu’il a appris d’eux-mêmes qu’il peut tout, et qu’il n’y a droit ou devoir aucun qui l’oblige, faisant état de compter sa volonté pour raison, et de n’avoir compagnon aucun, mais d’être de tous maître ».

Les Essais : Montaigne Essais, 1-28, « De l’amitié »

« Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ne sont qu’accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité par le moyen de laquelle nos âmes s’entretiennent. En l’amitié de quoi je parle, elles se mêlent et se confondent l’une en l’autre, d’un mélange si universel qu’elles s’effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si l’on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi ».

Il y a, au-delà de tout mon discours et de ce que je puis dire particulièrement, je ne sais quelle force inexplicable et fatale médiatrice de cette union. Nous nous cherchions avant que de nous être vus et par les rapports que nous oyions l’un de l’autre qui faisaient en notre affection plus d’efforts que ne le porte la raison des rapports, je crois par quelque ordonnance du ciel ; nous nous embrassions par nos noms. Et à notre première rencontre, qui fut par hasard en une grande fête et compagnie de ville, nous nous trouvâmes si pris, si connus, si obligés entre nous que rien dès lors ne nous fut si proches que l’un à l’autre. »

ANALYSE

Ces deux textes se situent l’un en amont, l’autre en aval de la rencontre qui a vu éclore l’amitié entre les deux hommes. Cette rencontre a lieu vers 1558. A cette date, le Discours sur le servitude volontaire, est écrit depuis plus de 9 ans. Quant à l’Essai De l’Amitié, sa rédaction débute en 1572 et se poursuit avec les ajouts de l’exemplaire de Bordeaux jusqu’en 1588. Lorsque Montaigne en commence la rédaction, La Boétie est mort depuis presque 10 ans. L’idéal exigeant défini par le jeune homme et les regrets de l’homme mûr penché sur le souvenir d’une rencontre qui a beaucoup marqué sa jeunesse et que le temps écoulé idéalise peut-être, ont tous deux assez de force de conviction pour donner aux deux textes un accent différent.

TEXTE DE LA BOETIE

La Boétie, dans le cadre d’une analyse essentiellement politique, consacrée à définir les conditions qui rendent possibles la survenue et l’exercice d’une tyrannie, et avec toute la fougue et l’intransigeance de ses 19 ans, s’efforce de déterminer, ce qui peut faire naître une amitié digne de ce nom. Son propos est abstrait et général. Il se réfère à un idéal, non à des personnes concrètes. Montaigne, au contraire, s’interroge sur la nature du lien qui l’unissait à La Boétie et souligne, par la comparaison avec les amitiés ordinaires, ce que ce lien avait d’exceptionnel. La Boétie entreprend de parler d’une amitié idéale, Montaigne d’une amitié réelle, l’un réfléchit sur une notion, l’autre sur une expérience vécue. Il n’est donc pas étonnant que chacun d’eux mette l’accent sur des vérités que son choix initial lui permettait le mieux de découvrir et qui, sans être nécessairement contradictoires, sont tout de même différentes.

Ce qui frappe d’abord, dès la première lecture du texte de La Boétie, c’est donc le caractère général, universel du propos.

Le texte dans son ensemble n’utilise qu’un seul temps : le présent. Ce présent ne désigne pas seulement le moment fugace de l’écriture, c’est un présent intemporel qui sert à l’énonciation de vérités valables en tous lieux, en tous temps, en toutes circonstances. C’est dire assez l’ambition du jeune homme à formuler des lois de fonctionnement permanentes du comportement humain et des sociétés humaines.

Mais, en même temps, parallèlement à la généralité du propos, on voit se multiplier au fil du texte, en ce qui concerne plus spécifiquement l’amitié, des

...

Télécharger au format  txt (17 Kb)   pdf (158 Kb)   docx (14.5 Kb)  
Voir 10 pages de plus »
Uniquement disponible sur LaDissertation.com