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Stendhal et l'enfance

Dissertation : Stendhal et l'enfance. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  27 Novembre 2021  •  Dissertation  •  4 064 Mots (17 Pages)  •  298 Vues

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                                                                                                                                                Roux Clara

           Marguerite Duras écrit : « Il reste toujours quelque chose de l’enfance, toujours ». C’est ce « quelque chose » de l’enfance qui a fait l’objet d’une grande réflexion chez Elias Canetti, Stendhal et Alfieri. L’enfance est liée aux sensations, sensations physiques, auditives, olfactives qui ont traversé les auteurs. Les auteurs tentent au gré d’un récit autobiographique profond de recréer un lien avec ce « quelque chose de l’enfance » avec un seul outil : la mémoire. Stendhal affirme dans La vie de Henry Brulard : « Je n’ai que ma mémoire et (ma langue) d’enfant ».  Dès lors il apparaît que pour retrouver le souvenir d’enfance, pour retracer les contours de son enfance seule la « mémoire d’enfant » est mis à disposition des auteurs. La « mémoire d’enfant » est une mémoire du passé qui est donc soumise aux assauts du temps, c’est le récit d’un temps qui n’est plus. La mémoire connaît donc une limite : le temps. Au sein même de la mémoire réside un fléau à savoir la mémoire elle-même. La mémoire est profondément instable, lacunaire. La mémoire connaît une zone « d’ombre », ombre mémorielle et ombre du passé. Le récit autobiographique est ombrageux, la mémoire crée des ombres et témoigne par moment d’une volonté de ne pas se souvenir. A cet outil lacunaire apparaît un autre outil : la langue. C’est la langue en tant qu’outil mémoriel qui permet aux auteurs de retrouver un peu de leur enfance. La langue apparaît ainsi comme une crypte mémorielle, fixateur des souvenirs d’enfance. La langue « Sprache » prend une dimension autre, elle est constitutive de la formation du « je » autobiographique. C’est sur le fond d’un nouage intime et complexe avec la langue que les auteurs vont parvenir à se faire écrivains. Ainsi, en quoi la langue de l’infans fondée sur les sensations et paradoxalement sur une mémoire fragmentée participe-t-elle à la formation de la langue et de l’écrivain ? Tout d’abord nous verrons que la langue de « l’infans » est une langue sensorielle qui repose sur une mémoire affective, puis que les écrivains connaissent les « vestiges de la mémoire ». Enfin, nous verrons que la langue et la mémoire d’enfant aboutissent à la formation de l’écrivain.

   

    La langue de l’infans c’est la langue sensorielle. Ce qui permet de graver les souvenirs ce sont les sensations, les auteurs se remémorent les sensations passées. La puissance auditive reste ancrée dans la mémoire. En effet la langue est perçue comme un chant, la langue c’est la jolie musique des mots. Chez Stendhal, la langue étrangère est associée à l’extase musicale, la musique permet d’être « hors de soi ». La musique en tant que signe va activer la mémoire. De même chez Canetti, la langue étrangère chantée active le souvenir et charrie le retour des événements inscrits dans la mémoire : « les sons de mon âme par des pages imprimées », les sons résonnent en plus d’une langue, et pas dans un monolinguisme stérile. C’est bien l’ouïe de l’enfant qui va permettre à l’auteur d’être « hors de soi ». Stendhal enregistre les « inflexions sensibles » qui l’ont marqué. Ils se souvient avant tout des effets : « je me souviens des effets sur mon cœur ». Chez Canetti, la mémoire est également liée aux affects. Canetti décrit sa passion pour une élève Mary Handsome, ce qu’elle avait de plus beau c’étaient ses joues rouges.

La langue étrangère est associée au désir amoureux, le plaisir dont les couleurs rouges sont la métonymie. La mémoire affective fait appel aux sens, en effet Canetti convoque la vue « les joues rouges » et le toucher « le baiser ». La langue d’enfant est une langue du désir, de la pulsion amoureuse et du fantasme. On assiste à un télescopage pluringue de la mémoire par le biais du désir qui circule d’un souvenir d’enfance à un autre. La mémoire affective fait bien appel aux sens. L’auteur crée un immense espace sonore qu’il essaie de recréer sans cesse avec son langage. Chez Canetti, l’espagnol ressurgit dans les actes primitifs, on a un désir sexuel pour les lettres et Laurica : « fais moi voir tes lettres ». Encore une fois Canetti va reprendre la sensation visuelle « voir ». Les langues de l’enfance sont aussi les langues de la nostalgie, les langues permettent de mettre des mots sur les maux. Les œuvres de Stendhal et de Canetti sont des autobiographies endeuillées. La langue de l’infans c’est une langue endeuillée. La langue permet de faire revenir les morts. Canetti précise qu’il a écrit la « langue sauvée » pour sauver son frère de la tuberculose : « Ce livre lui ai dédié et n’existerait pas sans lui ». La langue chez Canetti est une langue qui tente de sauver les morts. La mémoire d’Elias est bien une mémoire traversée par le deuil. La langue anglaise est chantée au moment précisément de faire le deuil du père. Miss Bray leur apprend un cantique : « Jerusalem, Jerusalem, hark how the angels sings ». Les anges sont une métonymie pour désigner les morts. Le chant de l’enfance est un chant du deuil. Dans La vie de Henry Brulard, Stendhal évoque la mort de Lambert dans une oraison funèbre et sensible. L'enfant est attentif au détail visuel « le sourcil », le lit de Lambert est représenté schématiquement. Stendhal est bien un sujet sensible comme le montre la formule : « le cœur de mon ami ». C’est bien l’affect qui est au cœur du souvenir. La réactivation du sentiment c’est ce qui va permettre de faire revenir les morts. A l’image du poème de Meyer chez Canetti «  Eine liebe liebe Stimme rift » qui fait revenir le père de Canetti des profondeurs du lac. Le deuil fait se superposer les époques, il s’agit d’une mémoire affective, sensorielle et non temporelle. Les morts se mêlent chez Stendhal. Le souvenir de la mère se noue avec le souvenir de la mort de Lambert. La mort de Lambert permet à Stendhal d’appréhender la mort de sa mère : « Je connus la douleur pour la première fois de ma vie ».

      La mémoire de l’enfant est une mémoire affective. La langue d’enfant n’est pas une mais toujours traversée par l’altérité. La langue d’enfant est plurielle. La langue d’enfant chez Canetti « Sprache » est faite de plusieurs langues nationales, la langue autobiographique de Canetti apparaît comme profondément organique « Zunge ». On y retrouve des langues populaires et illégitimes : celles des paysans à l’entour, le bulgare, le roumain, celle de la famille, le judéo-espagnol et au-delà dans un rapport latéral, le turc. En face des langues illégitimes, les grandes langues européennes, le français, l’anglais, et surtout l’allemand qui va devenir la langue de Canetti. Entre les deux, la langue sacrée et magique l’hébreu. Les langues polyphoniques vont cristalliser le souvenir d’enfance. Canetti écrit dans Le cœur secret de l'horloge, « je ne pourrai jamais vivre dans une seule langue. Si je suis profondément épris de l'allemand c'est parce qu'il me permet toujours de sentir en même temps une autre langue, il est juste de dire que je la sens car je n'en suis aucunement conscient ». Steiner met en évidence une « babel de l’inconscient ». Il n’existe jamais une seule langue pour parler de l’inconscient et faire resurgir ce qui appartient au passé. L’Allemand est fait « d’un « écho à une autre langue ». Les langues prennent la forme d’écho lointain. La langue d’enfant chez Canetti est traversée par un plurilinguisme. Il en est de même chez Stendhal où l’anglais grave le souvenir : « L’anglais est la langue des secrets du monde et de l’être ». L’anglais resurgit du lointain, sorte d’écho du lointain. Lorsqu’il se dispute avec son ami, il va inscrire sur le papier « tomb of my poor mother ». Chez Alfieri, il y a une hégémonie de la langue italienne : « plutôt mille fois des vers italiens ( …) que des vers français ou italiens ». Au travers de l’élitisme pour la langue italienne on voit entre les lignes un nationalisme linguistique de la part de l’auteur. Alfieri se distingue ainsi de Stendhal et de Canetti, la langue d’enfant chez Alfieri est à prendre au sens littéral. C’est la langue d’enfant, la langue maternelle, la langue de la nostalgie, la langue perdue, la langue de la terre natale. Cependant, la langue est tout de même comprise comme altérité. En effet Alfieri souhaite réapprendre la langue italienne pour renouer avec les grands auteurs italiens. L’auteur ne dissocie pas la langue italienne de la littérature italienne, elles ne font plus qu’un : « Mais qui donc en Italie peut se vanter avec justice de savoir lire, comprendre, goûter et sentir vivement Dante et Pétrarque ». La langue italienne est autre parce que traversée par les grands auteurs italiens. Ce n’est pas une langue stérile, elle fonctionne aussi par écho, écho aux grands écrivains. La langue est ainsi à comprendre comme une traversée, flux des langues et métissage du propre et de l’autre.

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