Pistes d'explication de texte Cinna

Pistes d’analyse sur le récit que Cinna fait à Emilie de la conjuration,

Acte I, scène 3, p. 49

Le compte que Cinna rend de sa conspiration justifie une narration ornée. On est ici en plein dans la logique du héros orateur, ce qui construit Cinna en héros, ce ne peut pas être son acte de conspiration, c’est donc son art oratoire.

Dans ce passage Cinna fait deux efforts de persuasion. D’une part, son récit évoque sa capacité orateur politique, alors qu’il pousse les conjurés à l’action par la force de sa parole : la tirade de Cinna est en partie la citation d’une performance oratoire passée, réactualisée sur scène, dans le présent, pour Émilie. Or dans cette situation d’énonciation sur scène se trouve seconde volonté de persuasion, Cinna entendant ainsi séduire la jeune femme. Le discours superpose constamment deux niveaux de persuasion : Cinna apparaît donc comme celui qui a su convaincre les comploteurs et c’est cette première prouesse oratoire qui lui permet séduire Émilie, toujours par sa parole, et par sa maitrise de la rhétorique.

• ramène sur le devant de la scène la question de la fusion de l’enjeu politique (la conjuration) et de l’enjeu amoureux (amour de Cinna pour Emilie), et celui aussi des passions privées (la soif de vengeance d’Emilie) et des intérêts d’État (l’avenir de Rome).
• Ambigu ? Jette un voile sur les motifs de Cinna.

Structure du passage:

1) Cinna vante l’effet de son discours sur ses auditeurs (v. 157-162) ;

2) Discours rapporté au discours direct (v. 163-172) ;

3) un récit proprement dit qui résume une partie de la harangue (v.173), mais en faisant ressortir la figure centrale de l’hypotypose (v. 177-204).

Cinna s’efforce de persuader Emilie de son propre pouvoir de persuasion politique. Pour cela, commence par présenter comme réel son statut d’orateur de génie qui pousse les auditeurs à la conjuration, par le simple pouvoir de la parole. Son génie, son aura même sont tels qu’il lui suffit d’un mot pour enflammer les foules, le nom d’Auguste v. 159.

-> le registre de Cinna est le pathétique, et ses paroles font naître, de manière très visible, la fureur. V160 et sq.

Si rien n’est montré dans l’espace scénique, on a une véritable scène, créée par le seul discours, où la réaction affective des auditeurs de Cinna est désignée au regard l’Emilie grâce à l’emploi du lexique de la vue : « Plût aux Dieux que vous-même eussiez vu de quel zèle .../ Vous eussiez vu leurs yeux s’enflammer de fureur ».

Cet effet de présence est renforcé par le passage au discours direct (2ème moment), (« Amis, leur ai-je dit ...») qui fait résonner le discours passé de Cinna sur scène, pour Emilie qui devient le destinataire au même titre que les conjurés. Cette confusion des destinataires favorise l’actualisation d’un événement passé et rend sensible ce qui est absent de la scène et qui est à l’origine de l’action théâtrale et politique (la conspiration).

La troisième partie du passage (le résumé) associe constamment l’hypotypose (désigné par Cinna grâce à la métaphore filée de la peinture et des arts graphiques : tableaux, peinture, traits, crayon [= esquisse]) à un effet pathétique intense.

L’hypotypose est effectivement souvent une figure du pathos, qui recherche l’émotion par la focalisation sur des détails précis, pour que l’auditeur il s’imagine être en présence d’un objet absent. Or, dans ce passage, l’hypotypose est repérable à la fois dans le métadiscours (Cinna affirme qu’il a utilisé des hypotyposes) et dans le discours, qui propose une vision frappante : « Rome par ses mains déchirait ses entrailles », « Rome entière noyée au sang de ses enfants », « Le mari par sa femme en son lit égorgé ».

...