LaDissertation.com - Dissertations, fiches de lectures, exemples du BAC
Recherche

Pierre Michon, maîtres et serviteurs

Commentaire d'oeuvre : Pierre Michon, maîtres et serviteurs. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  16 Décembre 2020  •  Commentaire d'oeuvre  •  3 551 Mots (15 Pages)  •  303 Vues

Page 1 sur 15

         Six ans après les Vies minuscules, Pierre Michon écrit en 1990 Maîtres et serviteurs, un livre découpé en trois parties racontant la vie de trois peintres. Après Goya, Michon nous décrit dans le deuxième chapitre, « Je veux me divertir », le portrait d’un mystérieux peintre. Son nom ne nous pas est donné avant la fin du chapitre, à savoir qu’il s’agit d’Antoine Watteau un peintre du XVIIIe siècle.  Le peintre est décrit à travers les yeux d’un curé de Nogent et nous avons l’occasion de découvrir l’atelier de l’artiste. Ainsi nous allons étudier cette deuxième partie et particulièrement la description de l’atelier. Cette dernière est centrale dans le chapitre puisque elle met en avant les grands thèmes qu’il y a dans ce dernier mot manquant. Cet assemblement de thèmes permet de nous donner des indices sur l’identité du peintre et permet également de nous poser des questions sur la peinture de manière générale. Ainsi nous nous demanderons comment Pierre Michon, en faisant intervenir sensualité et religion, fait la description d’un mystérieux peintre. D’abord nous verrons le projet artistique du peintre avant de voir le rôle qu’occupe la religion pour finalement nous intéresser à la question principale de l’œuvre : peut-on reconnaître un grand peintre quand on en voit un ?

        

        Au début de la seconde partie, Watteau est décrit comme considérant l’idée de « ne pas avoir toutes les femmes [comme étant] un intolérable scandale. »[1] Le désir du peintre semble ainsi exagéré et immature car le mot « scandale » est un terme fort et il est en plus amplifié par l’adjectif « intolérable ». Le narrateur utilise le verbe « avoir » plutôt que l’expression « être avec » montrant bien que le désir implique une domination du peintre sur les femmes ainsi qu’une possession de ces dernière, réduites à un simple objet. Le narrateur le précise d’ailleurs « il ne [s’agit] pas de séduire » donc plutôt de pouvoir disposer de la personne à sa guise.  Son désir semble d’ailleurs sans limite car le peintre souhaite obtenir « toutes les femmes » or personne ne possède « toutes les femmes » cela peut donc paraître totalement invraisemblable de ne pas supporter de ne pas avoir ce que de toute façon personne n’a. Le narrateur nous explique que le peintre rêvait de pouvoir « décider de disposer d’une épouse du mécène, fillette ou vieille catin, de l’index la désigner, qu’à ce geste elle vînt et tout aussitôt s’offrît ». On a également l’idée que le peintre veut ces femmes sans plus d’attente, on le voit avec l’adverbe de temps « aussitôt », renforçant encore l’exagération de son désir. Ce désir aussi invraisemblable soit-il peut être vu comme un projet artistique et on peut ensuite observer au fil de l’histoire Watteau chercher à combler ce désir grâce à sa peinture. L’artiste entretient un lien profond avec les femmes et cela doit  se ressentir dans ses œuvres car on dit par la suite qu’il a immortalisé en peinture bon nombre de modèles féminins. Cet attrait se ressent  dans son atelier. Le curé décrit des tableaux représentant « de belles femmes […] le dos, très droites, la nuque longue et nue »[2] on a ainsi une assez claire évocation à la sensualité.  On a aussi des évocations de la sensualité par le travail de l’artiste « ses grands mouvements de tout le bras, de tout jarret, de loin jetés comme pour fouetter violemment la toile et jour de cet éclat, se résolvaient dans un attouchement furtif, une caresse exaspérée, empêchée »[3]. Plus tard le narrateur arrive dans l’aile sud pour voir tous les tableaux que l’artiste a peints, c’est alors qu’on découvre le véritable projet artistique de Watteau. Nous avons la description suivante lorsque le narrateur arrive dans l’aile sud :« Ce n’était pas grand-chose, en vérité ; seulement des femmes toutes nues au comble du plaisir. […] [Il] y figurait aussi sans doute, accessoirement, ce qui leur donne du plaisir, la part futile et volontaire de l’homme qui seule leur importe, en proie à leur débordement ; […] Ces ravissements avaient des visages ; c’étaient les mêmes femmes, celles de toujours les quelques-unes qui traversent une vie et sur qui par hasard le désir s’arrête, les Agnès, les Élisabeth et l’épouse Gersaint, toutes les épouses, les filles et leurs mères, les évaporées et les boudeuses, une pastelliste italienne sans doute, la servante aux petites mines ; ce n’étaient pas tout à fait les mêmes ; car celles-ci étaient suspendues au bon vouloir de cet homme ».[4] On comprend que le peintre est parvenu à obtenir ce qu’il désirait. On a comme au début du chapitre une idée de totalité mise en avant par le retour de l’adjectif indéfini « toutes » ainsi que par l’énumération des femmes de tous âges.  On peut aussi relever l’utilisation d’articles définis au pluriel placés devant des noms propres « les Agnès », « les Élisabeth ». Dans l’histoire on ne présente qu’une Agnès et qu’une Élisabeth mais les articles définis font prendre un sens générique à ces noms propres. D’après la Grammaire méthodique du français « le pluriel générique de l’article défini invite à considérer une certaine proposition, même faible, mais suffisamment représentative, de l’ensemble des objets désignables par une telle expression ».Cela englobe donc toutes les Agnès et toutes les Élisabeth, on donc bien toujours cette idée de totalité. De plus, l’article défini est le plus souvent utilisé devant un nom commun. Lorsqu’il est utilisé devant un nom propre, cela souligne souvent la familiarité qu’entretiennent les personnages[5], mettant en avant le rapport intime qu’entretient le peintre avec les personnages féminins. Mais comme les articles définis sont au pluriel, les noms propres qui suivent perdre leur identité et ne désigne plus personne en particulier mais un ensemble de personnes qui portent le même nom. Ainsi, par l’utilisation du pluriel générique de l’article défini, les noms propres ne renvoient plus à un référent déterminé alors qu’il s’agit que leur principale caractéristique. On peut aussi relever un peu plus loin dans l’extrait la phrase suivante : « les peut-être, les tout à l’heure, les nous verrons, qui inlassablement ricochent d’assemblées champêtres en concerts ; c’était la grande dérobade pour de bon, le tout de suite, le maintenant ».[6] Les femmes acceptent de s’offrir au peintre et elles acceptent « aussitôt » qu’il le demande comme le peintre le désirait au début du chapitre. Le désir de l’artiste qu’on nous a présenté en début de chapitre semble s’être réalisé. Sa figure d’artiste paraît lui avoir permis d’obtenir pleinement ce qu’il désirait de ces femmes. Il les a obtenues dans leur intimité la plus complète, immortalisant un instant de jouissance. Par conséquent lorsque le narrateur découvre ces tableaux il comprend que l’artiste avait/ a réussi son projet de posséder les femmes.

...

Télécharger au format  txt (21.1 Kb)   pdf (715.7 Kb)   docx (1.9 Mb)  
Voir 14 pages de plus »
Uniquement disponible sur LaDissertation.com