« Mon émotion est sincère, mais je la joue » disait Gide. En quoi cette phrase pourrait-elle éclairer la lecture des Faux Monnayeurs ?

« Mon émotion est sincère, mais je la joue » disait Gide. En quoi cette phrase pourrait-elle éclairer la lecture des Faux Monnayeurs ?

Une émotion sincère s'oppose généralement à une émotion jouée. Toutefois, Gide concilie ces termes à plusieurs reprises, il le fait par le biais de certains personnages qui incarnent cette contradiction. On en vient donc a se demander, de quelle manière Gide illustre-t-il cette antonymie ? Pour cela, il sera utile de s'intéresser en premier lieu aux notions de fausseté et de sincérité. Puis, il sera question de montrer par quels procédés les notion de sincérité et de fausseté peuvent être associés dans Les Faux Monnayeurs.

Tout d'abord, la notion de fausseté est présente dès le titre. La fausse monnaie est un moyen de désigner l’hypocrisie d’une société qui repose sur une fraude morale, sentimentale, psychologique. Chacun en cherchant à paraître ce qu’il n’est pas, veut donner le change à autrui. Tout, autour des personnages, devient relatif: c’est la dévalorisation, l’inflation, les idées de change. En effet tout au long de l’œuvre les personnages vont véhiculer cette dualité entre les apparences et la réalité. Comme l’économie est déstabilisée par la fausse monnaie, l’être humain est dérouté par la fausseté des sentiments. Le mensonge et les faux semblants sont sans cesse dénoncés par Édouard ou par le narrateur. Bernard, quant à lui, représente la sincérité. C'est un jeune homme cultivé, mais il en est tellement influencé qu’il a du mal à s’exprimer avec ses propres mots. Les citations des grands auteurs viennent à ses lèvres. Il s’en confie à Laura.

La sincérité est donc une notion en combat perpétuel avec la fausseté. La sincérité se conçoit de plusieurs manières: tout d’abord, si on est sincère avec soi-même, on accepte ce qu’on ressent ou ce qu’on est. Dans Les Faux Monnayeurs, personne ne s’accepte en tant qu’individu mis à part peut-être Bernard qui a une vision de sa vie très pure: «Oh! Laura! Je voudrais tout le long de ma vie, au moindre choc, rendre un son pur, probe, authentique». De ce fait, il est encore plus difficile d’être sincère avec les autres.Tous se mentent entre eux. On ressent presque de la honte de se dire ce qu’on ressent l’un pour l’autre: «Excusez-moi de vous parler ainsi. Je vous fais part de mes réflexions de nuit».

Si les notions de sincérité et de fausseté semblent au premier abord inconciliables, elles finissent néanmoins par se rejoindre.

Cette conciliation renvoie le lecteur au titre du livre. La monnaie symbolise ce qui s’échange, elle est donc la métaphore de l’intersubjectivité et des rapports humains. L'intersubjectivité c'est l'idée que les hommes sont des sujets pensants capables de prendre en considération la pensée d'autrui dans leur jugement propre. L'intersubjectivité fonde ainsi une théorie de la communication. Ainsi, en se rencontrant, certains personnages mettent en place une apparence qui cache leur véritable émotion dans le but de plaire à leur interlocuteur. Cependant, cette émotion, si elle est sincère, peut être perçue négativement par un personnage qui se fait une mauvaise interprétation des mots ou de la gestuelle de son interlocuteur. Par cela, les sentiments positifs ne peuvent être vécus que sur le mode de la frustration parce qu’ils sont inexprimables à cause de l’orgueil et de la pudeur qui font des échanges affectifs une longue suite de malentendus

: Édouard et Olivier ressentent une joie immense de se revoir à la gare Saint-Lazare, mais ils ne parviennent pas à l’exprimer, ce qui fait que leurs retrouvailles se passent dans la gêne et le silence; Bernard éprouve de la sympathie à la vue d’un camarade en deuil et, alors qu’il aimerait la lui communiquer, il se retient, ce qui a pour conséquence que ledit camarade interprète son attitude comme une marque de mépris. Si Édouard avait eu le courage de parler avec Olivier lors de leur rencontre à la gare, tous les malentendus qui en ont découlés n’auraient pas eu lieu: «[...] tout occupé par sa joie propre et comme confus de la sentir si vive, n ́avait souci que de ne point trop en laisser paraître l'excès.». De même, les personnages ont du mal à exprimer leurs sentiments et préfèrent se tourner autour plutôt que d'avouer la vérité : Olivier, au-lieu d'exprimer à Édouard qu'il l'aime, fuit avec Passavant en Corse alors qu'il souffre cruellement de cette situation.

Finalement, on peut voir que certain personnages jouent leur émotion dans le but de montrer à une personne qu'elle compte pour eux, c'est le cas d’Édouard lorsqu'il visite le couple La Pérouse. De fait, Édouard montre son affection à La Pérouse en lui disant ce qu'il pense qu'il voudrait entendre :  « Je crus lui faire plaisir en le lui disant », disait Édouard après avoir complimenté son petit fils. Aussi, lors de la deuxième rencontre d’Édouard avec les La Pérouse, la notion d’ennui apparaît. Néanmoins, son affection pour eux le pousse à jouer son émotion : cacher son ennui, voire, montrer de l’intérêt : « Il éprouvait certainement un soulagement à s'expliquer, et je me gardais de l'interrompre ». Par conséquent, on peut voir que bien qu’Édouard veuille s'en aller, il reste et écoute les plaintes et les demandes de La Pérouse pour le soulager de ses peines et le consoler. Ainsi, si l'émotion d’Édouard envers La Pérouse est sincère, il doit la jouer pour ne pas le blesser.

Pour conclure, on peut dire que la citation initiale « Mon émotion est sincère, mais je la joue » éclaire la lecture des Faux Monnayeurs et aide à comprendre la complexité des relations intersubjectives des personnages. En effet, chaque personnage raisonne et interprète différemment les actions d'un autre personnage. Ce rapport crée donc une façade chez chaque personnage qui renvoie la plupart du temps à une image faussée de sa vrai émotion, qu'elle soit sincère ou non.

Sujet 2 : Quelles pourraient être les fonctions des lettres dans Les Faux Monnayeurs ?

Dans Les Faux-monnayeurs, l’argumentation peut prendre des formes multiples pour convaincre, persuader ou délibérer. Parmi ces différentes formes la lettre, et particulièrement

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