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Maîtrise du style de Maupassant

Fiche de lecture : Maîtrise du style de Maupassant. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  27 Janvier 2015  •  Fiche de lecture  •  1 552 Mots (7 Pages)  •  727 Vues

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parce que chaque événement, bien marqué temporellement dans le texte, («un soir», «un matin»...) est immédiatement noyé dans la monotonie de l’habitude et de la durée («deux années passèrent» - «alors commença une série d’années monotones et douces»). Cette monotonie apparaît aussi dans le rythme du récit : alors que les cinq premiers chapitres couvrent environ six mois, les chapitres XI à XIV environ vingt-cinq. Cette accélération progressive du rythme romanesque est un signe supplémentaire que «rien n’arrive plus» dans la vie de Jeanne. Tout ce qu’elle avait rêvé dans son enfance et son adolescence ne s’accomplit malheureusement pas à l’âge adulte. “Une vie” montre un impossible bonheur, une existence gâchée. Elle ne connaît qu'une lente et corrosive dégradation. La fin d'un malheur introduit le suivant. Cependant, en dépit des rebondissements de l’intrigue, le lecteur (exactement comme l'héroïne d'ailleurs) a toujours l'impression qu’il ne se passe rien dans cette vie qui, bien qu'agitée et même mouvementée, s’enlise inexorablement dans la monotonie du quotidien et la banalité des habitudes. Car tout ce qui a lieu s'étire dans le temps et se distend, s'effiloche et s'émousse, les faits ne parvenant jamais à contrarier durablement l'engourdissement de la répétition des mêmes situations : deux retours aux Peuples, deux promenades en bateau, deux accouchements, trois voyages en calèche, trois noces, quatre rêveries à la fenêtre, quatre promenades dans «le petit bois», la préfiguration du mariage de Jeanne par le baptême de la barque. Rien n’est jamais unique et singulier dans cette vie dont tout événement en décalque fatalement un autre.

Mais quoi qu'il arrive, rien ne change vraiment. Car tel est bien le défi littéraire Iancé par ce roman de Maupassant qui déréalise tout à force de sembler réaliste, telle est bien son originalité extrêmement paradoxale dans sa dimension proprement négative : ne raconter les événements que pour les amortir et les résorber, ne narrer chaque circonstance que comme symptôme d'une perte, réduire la succession des faits à une vertigineuse viduité. Quelle que soit l'intensité affective des événements qui ont «meublé» l'existence de Jeanne jusqu'à la rendre déserte, sa vie engourdie, affaissée, implacablement de plus en plus apathique et léthargique, n'en demeure pas moins profondément désaffectée : une vie en lambeaux, une destinée incomplète et lacunaire, une somme de vides, et en perspective toute une vie, ses nostalgies, ses renoncements, ce «bonheur dans la soustraction» à quoi se réduit, précisément, «une vie».

Cependant, au terme de cette vie où, selon toute vraisemblance, Jeanne ne doit plus connaître que la solitude, le dénuement et la mort, au moment où l’on s’y attend le moins, la courbe se relève pour la laisser survivre dans une vieillesse qui apparemment s’annonce sereine. Elle trouve du réconfort auprès de Rosalie, et, aux toutes dernières pages, auprès de la petite fille dont l’arrivée dans les bras de la servante annonce, avec le retour du fils prodigue, la reconquête d’une sorte de bonheur. Les dernières lignes : «La vie, voyez-vous, ça n'est jamais si bon ni si mauvais qu'on croit», manifestent, dans une discrétion de bon aloi, l'art parfait de finir sur un attentisme inquiet et un fatalisme qui n’exclut pas une lueur d’espoir, le feuilletonniste mondain qu’était Maupassant sachant terminer par quelques mots qui laissent le dénouement ouvert. «Le romancier n’a pas à conclure», écrivit-il quelque part.

C’est un roman de la dépossession, de la désappropriation. Mais ce n’est pas une tragédie, même si l’action de la fatalité est invoquée par Jeanne : «Je n’ai pas eu de chance. Tout a mal tourné pour moi» - «La fatalité s’est acharnée sur ma vie» - «Elle se demandait naïvement pourquoi la destinée la frappait ainsi» - «C’est moi qui n’ai pas eu de chance dans la vie». Et, si elle subit les méchancetés du destin, elle bénéficie aussi de leur envers, des compensations qui rééquilibrent la logique du mal. À son «Ça n’est pas toujours gai, la vie» répond, à la fin, le «La vie, voyez-vous, ça n'est jamais si bon ni si mauvais qu'on croit.» de Rosalie. Ainsi, à cet égard, “Une vie” refuse le modèle naturaliste donné par Zola qui, lui, n’a jamais fait un tel cadeau à aucun de ses personnages. Mais Maupassant respecte l’esthétique naturaliste en se donnant pour objectif de décrire la vie telle qu’elle est (celle de tout le monde), de dire «l’humble vérité». Le corps, dans sa dimension physiologique, élément typiquement naturaliste, est très présent. On découvre lors d’un accouchement une «larve» qui pousse des «vagissements», un «avorton fripé» ; à la suite de la chute brutale de la cabane de berger dans un ravin, on nous montre les corps disloqués ; et le récit s’attarde

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