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Lorenzaccio

Analyse sectorielle : Lorenzaccio. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  2 Novembre 2013  •  Analyse sectorielle  •  3 260 Mots (14 Pages)  •  551 Vues

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Destinée de l’oeuvre

‘’Lorenzaccio’’ fut publié en août 1834 dans le premier tome d'’’Un spectacle dans un fauteuil, prose’’ (deuxième série), puis réédité dans le deuxième volume de ‘’Comédies et proverbes’’.

Sainte-Beuve analysa alors le personnage avec finesse : «La conscience qu’a Lorenzo d’avoir trop vu et trop pratiqué la vie, d’être allé trop au fond pour n’en jamais revenir, d’avoir introduit en lui l’être implacable qui, sous forme d’ennui, le ressaisira toujours et lui fera faire éternellement par habitude, par nécessité et sans plaisir, ce qu’il a d’abord fait par affectation et par feinte, cette affreuse situation morale est exprimée en paroles saignantes.»

Trop longue pour ne pas épuiser la faculté d'attention des spectateurs éventuels, trop peuplée, toute une cité apparaissant sur la scène, difficile à suivre par le public de l'époque à cause de son langage dramatique original, techniquement difficile à monter à une époque où on occupait l'espace théâtral par des décors lourds, en trompe-l'œil, et dont l'architecture compliquée allongeait les entractes, trop coûteuse pour un théâtre qui aurait à payer ses comédiens, ‘’Lorenzaccio’’ apparut, du vivant de l'auteur, comme un monstre aussi injouable que le ‘’Cromwell’’ de Victor Hugo. Même si certains l’ont prétendu, il ne semble pas que Musset ait songé sérieusement à réécrire sa pièce pour la rendre «jouable».

Après sa mort, en 1857, Paul de Musset fit tout ce qu’il put pour que soit jouée la pièce de son frère. En 1863, il proposa à la Comédie-Française un texte remanié, mais essuya un refus. Il remania encore la pièce pour la proposer à I'Odéon en 1864, mais, cette fois, ce fut la censure impériale qui s’opposa à la représentation, attendu que : «Les débauches et les cruautés du jeune duc de Florence Alexandre de Médicis, la discussion du droit d'assassiner un souverain dont les crimes et les iniquités crient vengeance, le meurtre même du prince par un de ses parents, type de dégradation et d’abrutissement, nous paraissent un spectacle dangereux à présenter au public.» Les raisons invoquées n'ont rien de surprenant, en particulier les raisons politiques : on était sous le Second Empire, Napoléon III était justement un usurpateur qui avait pris le pouvoir par un coup d'État, et les «thèmes» évoqués ci-dessus étaient encore plus d'actualité et donc rédhibitoires que sous la monarchie de Juillet. Six ans auparavant, en 1858, l'attentat d'Orsini contre I'empereur avait manqué son but mais fait huit morts et plus de cent blessés.

Après la chute de Napoléon III, Paul de Musset reprit espoir et repartit à I'assaut du comité de lecture de la Comédie-Française, mais sans succès. Il mourut en 1880, sans être arrivé à faire jouer le chef-d'oeuvre de son frère.

En 1895, Lugné-Poe, directeur du théâtre de l'Oeuvre dont il fit un lieu d’expérience et d’innovation, envisagea de mettre la pièce en scène, avec un jeune comédien dans le rôle de Lorenzo, Henry Bataille. Mais il y renonça, dans des circonstances peu claires, sans doute parce qu'il avait appris que la grande comédienne Sarah Bernhardt, alors en pleine gloire, avait des visées sur la pièce et sur le rôle titre. La concurrence aurait été trop rude ! On ne sait ce qu'aurait été la pièce montée par Lugné-Poe. Mais on ne peut que regretter qu'il n'en ait pas été le créateur. Au moins, le premier Lorenzo aurait été joué par un homme ! Alors que Sarah Bernhardt, quel que soit son génie d'actrice, allait inaugurer pour longtemps la détestable tradition du travesti.

Malgré l'avis défavorable d'Alexandre Dumas fils, elle fit adapter la pièce par Armand d'Artois ; procédant sans vergogne, il condensa le déroulement en six tableaux, coupa les scènes qui concernent les Strozzi (ce qui, esthétiquement, est peut-être la moins mauvaise solution mais a pour résultat de faire passer au second plan le drame politique et accentue encore l'importance du héros principal), supprima l'acte V. Le drame, redécoupé en cinq actes (avec un seul lieu scénique pour chaque acte), se terminait donc par l'équivalent de la scène 2 de I'acte IV de Musset, c'est-à-dire sur I'extase de Lorenzo après le meurtre ! C'était catastrophique, car tout le sens de la pièce en était falsifié, on peut même dire inversé. D'Artois avait manifestement été indifférent à la dimension historique et politique de la pièce, et avait tout centré sur la destinée individuelle du héros, la Florence du XVIe siècle n'étant là que comme cadre pittoresque. Sarah Bernhardt assura la mise en scène. En conformité avec I'esthétique dominante de l'époque, l’accent fut mis sur les décors, les costumes, conçus par le peintre Mucha, Alexandre étant tout de blanc vêtu, Sarah-Lorenzo étant en noir, rehaussé de quelques touches d'or et de pierreries de couleur. La première eut lieu le 3 décembre 1896, au Théâtre de la Renaissance. Ce fut un triomphe, suivi de soixante et onze représentations. Mais, si tous les critiques applaudirent à la performance de I'actrice, plusieurs regrettèrent la suppression de l’acte V ; comme le dit sobrement Anatole France : «La mort de ce médiocre tyran n'est pas une conclusion. La conclusion philosophique du drame est dans la scène qui fait paraître l'inutilité du meurtre.» ; d’autres reprochèrent à Musset d'avoir fait dans cette oeuvre d'extrême jeunesse une mauvaise imitation de Shakespeare, Sarcey n'y voyant qu'«un énorme monologue renouvelé de scène en scène par les personnages qui le relancent sur une réplique et d'où émerge mal un jeune débauché lâche et niais tout ensemble, faux Hamlet qui parle tout le temps et qui n’agit jamais».

En 1927, Émile Fabre, administrateur de la Comédie-Française et admirateur du théâtre de Musset, adapta la pièce en trois parties et vingt-quatre tableaux, travail sur lequel il y a beaucoup à redire mais qui constituait un indéniable progrès sur la version de D'Artois : I'acte V n'était plus gommé mais remplacé par deux tableaux : I'un qui fondait les deux scènes à Venise, l'autre qui représentait I'intronisation de Côme ; comme d'Artois, Fabre s’intéressa d’abord à Lorenzo et oublia que Musset avait tenu à mettre en scène dans son acte V les conséquences du meurtre du tyran sur I'ensemble de la collectivité florentine. Malheureusement, il perpétua

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