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Linguistique Et Littérature

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Par   •  19 Janvier 2013  •  4 899 Mots (20 Pages)  •  1 241 Vues

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Linguistique et littérature : le tournant discursif

Dominique Maingueneau

Université Paris XII

Réfléchir sur les relations entre linguistique et littérature est aujourd’hui difficile dans la mesure où les pratiques des enseignants, mais aussi des chercheurs, associent - souvent de manière incontrôlée – trois « couches » historiques : la stylistique, le structuralisme et les courants pragmatiques et énonciatifs, qui mettent en avant la notion de « discours ».

L’âge de la stylistique

Jusqu'aux années 1960 les relations entre linguistique et littérature n'étaient guère problématiques. Quand il s'agissait, dans une perspective philologique, d'établir" un texte littéraire on faisait appel aux connaissances accumulées par la grammaire historique, à qui la littérature fournissait d'ailleurs une bonne part de ses données de langue. Mais les relations entre linguistique et littérature les plus intéressantes se nouaient dans la stylistique. En fait, on doit distinguer deux types de stylistique.

Il existe une stylistique qu'on pourrait dire "atomiste" ; c'est une stylistique scolaire qui vise à étudier les "procédés" par lesquels un auteur parvient à créer un certain "effet" sur son lecteur. On postule qu'on peut établir des rapports systématiques entre des "procédés" linguistiques et des "effets" sur le lecteur. J'ai parlé de stylistique "atomiste" parce qu'on part de faits localisés, considérés isolément ; on considère le texte comme une somme d'effets de style, qui résultent de la bonne utilisation d'une sorte de boîte à outils. Les traités de stylistique traditionnels classent les procédés en différentes rubriques (les exclamations, l'antéposition de l'adjectif, les métaphores...) en essayant de leur associer des catégories déterminées d'effets de sens. On se contente en général de puiser dans deux domaines, qui jouent en quelque sorte le rôle de boîtes à outils terminologiques : la rhétorique classique, et la grammaire descriptive élémentaire. Dans le premier ensemble, le plus souvent réduit aux tropes, on trouve surtout des listes de "figures" (métaphore, anacoluthe, inversion, antonomase, anaphore....) ; dans le second on trouve les termes usuels de la grammaire scolaire. Une telle démarche se place dans la filiation de l'"inventio" de la rhétorique antique, conçue comme art de trouver les moyens verbaux les mieux adaptés à une certaine finalité. On pourrait parler d'une stylistique des « moyens d'expression ».

Il existe un autre type de stylistique, celle que je dirais "organique", étroitement liée à l'esthétique romantique. L'œuvre littéraire y est conçue comme l'expression de la conscience d'un Sujet, l'écrivain, qui "exprime" à travers son œuvre une "vision du monde" personnelle. Etudier une œuvre consiste donc à remonter de cette œuvre vers la conscience qui la fonde. L'œuvre y est appréhendée comme une totalité organique qu'il est impossible de décomposer, projection et lieu de révélation d'une conscience qui y manifeste son "energeia". Le défenseur le plus fameux de cette conception de la stylistique est peut-être Marcel Proust, dans son livre Contre Sainte-Beuve et différents articles, en particulier dans son étude du style de Flaubert[1]. On peut lui associer le nom de Léo Spitzer. Une telle stylistique a encore beaucoup de prestige aujourd'hui parce qu'elle est consusbstantielle à l'esthétique romantique, qui domine largement nos représentations de l'art. Qui songerait à récuser l'idée qu'une œuvre littéraire est l'expression de la conscience de son auteur, le reflet de sa vision du monde ? que "le style n'est pas une affaire de technique, mais de vision", pour reprendre une formule célèbre de Proust ?

Cette approche organique du style entretient des relations ambiguës avec la linguistique. Proust s'est intéressé à l'usage de l'imparfait chez Flaubert pour montrer que l'auteur de Madame Bovary utilisait ce temps de l'indicatif en le mettant au service de sa vision du monde particulière. Mais il aurait aussi bien pu entrer dans cette vision du monde de Flaubert en étudiant l'intrigue, les métaphores, les personnages, etc. La stylistique organique n'entretient pas, en effet, de rapport essentiel avec la linguistique ; pour elle la notion de "style" est beaucoup plus large, elle ne se réduit pas à un certain maniement de la langue. Cela se comprend, car en dernière instance l'objet véritable de cette stylistique n'est pas le discours littéraire mais la conscience de l'écrivain, exprimée dans son œuvre. Pour Spitzer l'étude stylistique peut partir de n'importe quel plan de l'œuvre, linguistique ou non : "le sang de la création poétique est partout le même, que nous le prenions à la source langage ou idées ou intrigue ou composition (...) Parce qu'il se trouvait que je suis linguiste, c'est sous l'angle linguistique que je me suis placé, pour avancer vers l'unité de l'œuvre"[2]. Cette stylistique organique répugne à mettre en avant les médiations qu'implique l'activité discursive ; en faisant de l'œuvre la projection des schèmes obsédants d'une conscience créatrice elle minimise les articulations textuelles et les dispositifs d'énonciation, considérant chaque œuvre comme un univers incommensurable à tout autre dont n'importe quel plan peut être mis directement en relation avec ce "soleil" que serait la conscience créatrice. On est ici loin de problématiques qui feraient du linguistique une étape obligée de l'étude du texte littéraire.

Nouvelle Critique et linguistique

Ces deux courants de la stylistique, « atomiste » et « organique » ont dominé les relations entre linguistique et littérature jusque dans les années 1960. A ce moment-là s'est produit une mutation importante dans l'étude de la littérature. Les promoteurs du structuralisme entendaient en effet prendre appui sur les progrès de la linguistique pour élaborer une véritable science du texte littéraire : au lieu de se contenter de puiser dans un stock traditionnel de notions grammaticales, il s'agissait pour eux de conférer à la linguistique un rôle véritablement heuristique. Sur le plan médiatique ce programme semble avoir abouti

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