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Les Faux-monnayeurs, roman du réel et du possible

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Par   •  27 Juin 2017  •  Commentaire d'oeuvre  •  1 591 Mots (7 Pages)  •  1 404 Vues

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Dissertation

Question : « Les faux-monnayeurs se trouvent être bien plus que le roman du réel, celui des possible ». Expliquer cette affirmation de C. E. Magny. (12 points)

Dans son Journal des faux-monnayeurs, Gide annonce, à un moment, la possibilité                  d' «épingler » en tête de son roman cette citation de Thibaudet : « Le génie du roman fait vivre le possible ; il ne fait pas revivre le réel ». On ne peut alors douter que C. E. Magny ne touche un point sensible des Faux-monnayeurs lorsqu'elle affirme qu'ils « se trouvent être, bien plus que le roman du réel, celui des possibles ». L'opposition entre réel et possible n'est pas ici absolue. C’est-à-dire qu’il ne s'agit pas de nier le réel, mais de créditer d'une valeur supérieure : le possible. Nous pourrions ainsi nous demander, comme nous y invite Magny : dans quelles mesures les Faux-monnayeurs sont-ils plus un roman des possibles que du réel ? Pour ce faire, nous mènerons notre réflexion en deux parties. Nous étudierons tout d’abord, le foisonnement du possible dans le roman de Gide, puis dans une seconde partie, l’infériorité du réel par rapport au possible selon Edouard, l’alter ego de papier de l’auteur et la propre position de Gide par rapport au réel.

Pour commencer, on sait combien l'œuvre de Gide est une apologie du bâtard. Le fait même que Les Faux-monnayeurs s'ouvrent sur la découverte par Bernard de son illégitimité et sur son départ de la maison familiale donne déjà le ton des personnages du roman, comme une clef au début de la portée musicale donne le ton d'un morceau. Le bâtard est l'exemple même de l'ouverture aux possibles dans l'exacte mesure où le passé ne l'emprisonne pas. La « cellule familiale » (comme l'exprime l’en-tête d'un des chapitres du roman) fonctionne en effet comme un cocon dont la chrysalide ne peut plus sortir, étouffée et gavée par les nourritures du passé. Le bâtard a l'immense avantage de ne pas avoir l'obligation de renier son héritage puisqu'il n'en a point. Il est significatif que Bernard, aussitôt sa bâtardise découverte, décide de partir, de quitter la pesante réalité de la famille pour s'ouvrir à tous les possibles, à la tentation de l'aventure d’abord spirituelle avec Laura et Edouard, puis charnelle avec Sarah.

De plus, si les autres personnages n'ont pas un tel avantage (celui d’être bâtard), ils sont souvent, en leur être même, ouverts aux possibles grâce à leur structure divisée. Edouard en est le représentant le plus apparent, lui dont Laura remarque le caractère « protéiforme », l'incessant besoin de changer. Ainsi, le roman que voudrait écrire Edouard témoigne de cette brutale opposition entre « les faits de la réalité » et « la réalité idéale ». Mais il n'est pas seul à être ainsi divisé. Bernard lui aussi se trouve partagé entre son appétit d'action et la nécessité du savoir — au minimum savoir quelle action faire : « Il songe " De grandes choses à faire " [...] si seulement il savait lesquelles » (p. 59). Olivier, quant à lui, ne sait qui suivre de Passavant ou d'Edouard, impressionné par l’un, déçu par l’autre ; Boris exhibe jusque dans son langage la dissociation qu'il subit, voulant et ne voulant pas en même temps ; Armand enfin avoue à Olivier combien il se regarde toujours en train d'agir, ricanant de son amertume et triste de ses amusements. Autant la bâtardise ouvre à l'immédiat bonheur des possibles choisis car aucune attache, autant ces esprits divisés ne s'ouvrent qu'à des possibles subis. Mais c’est en fait cette soumission d'office, qui donne aux personnages le goût du défi. Si Boris en meurt, les autres paraissent avoir saisi cette chance de l'ouverture aux possibles, tel qu’en témoigne le changement de Georges à la fin du roman après le suicide de Boris.

Enfin, le système narratif à son tour témoigne, de l’ouverture aux possibles. L'auteur avoue à plusieurs reprises son ignorance, son non-savoir, il ne contrôle pas de part en part ce que disent et font ses personnages. Il est en quelque sorte mené par eux plutôt qu'ils ne les dirigent. En revanche il ne se prive pas de les juger, voire de les critiquer, tout un chapitre étant d'ailleurs consacré, dans la 2eme partie du roman à mettre en scène un tel jugement. Le procédé narratif qui permet de rendre une telle diversité de voix, un tel déplacement des représentations, s'il est assez simple à repérer, requiert une grande délicatesse d'écriture : il consiste à varier sans arrêt les focalisations. C'est ainsi que nous ne cessons de passer de dialogues rapportés au style direct à des descriptions faite par un narrateur externe, d'un style indirect libre à des monologues intérieurs. Pour n'en prendre qu'un exemple, on passe ainsi dans le dialogue entre Profitendieu et Molinier (p. 19-20) d'une description externe : « Il s'était arrêté [...] », à un discours direct rapporté : « Ou si nous y pensions, reprenait-il [...] », puis au style indirect libre : « En effet Profitendieu n'avait eu jusqu'à présent qu'à se louer de ses fils. [... ] Au surplus les vacances se chargeraient de disperser les délinquants. Au revoir », et retour à la description : « Profitendieu put enfin presser le pas ». Ces déplacements constants permettent à Gide de jouer avec les possibles du récit même. Lorsqu'au début de son journal des faux-monnayeurs, Gide se demandait s'il n'allait faire assumer le récit par «Lafcadio », il notait bien le désavantage : « cela me retiendrait d'aborder certains sujets, d'entrer dans certains milieux, de mouvoir certains personnages » (p. 11). Il en va d'une focalisation unique comme du poids de la famille, cela limite les possibles, même si cela donne un sentiment de réel plus fort.

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