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Le Sceau Industriel.

Fiche : Le Sceau Industriel.. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  20 Mai 2013  •  Fiche  •  7 143 Mots (29 Pages)  •  762 Vues

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Titre : Le Sceau Industriel

Sous-titre : Acte de Naissance de l’Ecrivain

I_Glatzkopf

J’écrirai jusqu’à tarir toute l’encre de mon âme et tout le sang de mon cœur. Et c’est quand, dans un dernier réflexe de survie littéraire, j’étalerai, au bas de ma dernière page, ma dernière goutte de sperme encore chaud, qu’il ne me restera plus que ma bave amère, mes dents jaunies par l’air putride et mes larmes d’agonie, que je graverai de mes ongles mon épitaphe : ……………………………………………

La phrase avait été badigeonnée de correcteur liquide blanc. Une fois durci, on y avait sculpté rageusement l’appréciation : Merde ! Trouver mieux !

Eric, dubitatif, soliloqua :

« Putain, il est complètement cinglé avec sa littérature… Un ingénieur-écrivain… C’est quoi encore ça… Ah oui, un oxymore, putain. Ecrivain avant tout, qu’il dit : mon cul ! Jamais vu ça. Remarque… Rien lu depuis que je bosse dans cette boite… Avec sa propagande, il a quand même réussi à me faire acheter trois livres le mois dernier. Jamais ouvert d’ailleurs… Autant jeter ma thune directement dans les chiottes. En parlant de ça… »

Eric leva la jambe gauche, vessa copieusement, puis poursuivit sa digression :

« Pas mal !… Il ferait mieux d’écrire ça, ah ! C’est plus pertinent… »

Clac ! Bam ! Firent la porte et le mur de concert. Fabien entra avec fracas dans le bureau, "la planque" comme ils l’appelaient, espérant y trouver son collègue assoupi sur l’un des sièges ergonomiques fournis par le client. Cinq jours par semaine chez "les boches" : c’était le régime du consultant.

- Tu branles quoi avec mon carnet ? Enlève ton groin de là ! Somma Fabien.

La vie industrielle a ceci de caractéristique qu’elle tolère, entre deux individus, toutes les familiarités.

- Je lisais tes conneries. Enfin une en particulier…

- T’y as jamais rien bité à la littérature, comme à l’ingénierie d’ailleurs.

- Je sais. J’en ai rien à cirer. Je suis pas là pour bosser, ça se saurait.

Les deux collègues se marrèrent. Leur conversation prenait la tournure habituelle.

- Bon, il fait quoi ton chef ? Interrogea Eric, en appuyant le possessif.

- J’ai pas de chef, te dis-je et te répété-je. J’erre dans ce marasme indépendant de corps et d’esprit.

- Tu fais chier avec tes phrases à la con. Depuis que tu t’es mis à la littérature, tu mélanges l’écrit et l’oral…

- …Et vice-versa, poursuivit Fabien. Je les mélange pas je les entremêle sans distinction. Je transpose constamment. J’archive tout. Comme tu fais toi sur ta bécane de "Responsable Informatique" ! de mes deux avec tes fichiers vides de sens.

Fabien n’était pas sans savoir qu’Eric esquivait par instinct toute forme de responsabilité. Il prenait donc soin de lui rappeler régulièrement l’intitulé de son poste. Ces deux là se connaissaient comme des compagnons d’armes. Au cours d’une conversation moins stérile qu’à l’accoutumée, ils étaient tombés d’accord : ils ne se côtoyaient ici que par pur hasard, le temps de "tirer" leur service professionnel, le passage obligé du néo-ingénieur par l’entreprise de conseil bâtie sur le modèle du "presse-citron". Fabien avait attribué à son ami de circonstances "la palme du menfoutisme toutes catégories". Eric, fidèle à sa ligne de conduite, n’en avait que faire, confessait même volontiers une certaine propension à la paresse. Il faut dire qu’il travaillait ardemment à cette cause depuis plusieurs années, et que, du reste, il ne s’en était jamais trouvé d’autre.

- T’as foutu quoi ce matin, entre tes pauses ? T’as pas trouvé le temps trop long ? Demanda Fabien.

- J’ai regardé un épisode de The Big Bang Theory et j’ai mis à jour mon CV. Tiens regarde.

Eric – qui évitait l’ankylose en restant actif sur le marché de l’emploi - lui tendit le document. Fabien le parcourut en prenant un air bienveillant. L’empathie était requise. A dire vrai, il n’avait jamais vu synthèse si impersonnelle. Ce condensé de vie suintait le désœuvrement par tous les pores. Etudes, expériences, centres d’intérêts s’entrecroisaient dans une incohérence subtile, presque réfléchie. Eric semblait avoir fait le choix de l’industrie par soucis d’illogisme. C’est du moins ce que la lecture du CV inspirait à Fabien. L’absence de conviction y était reformulée à chaque ligne avec plus de clarté. L’histoire racontée par Eric, c’était l’aboutissant d’une vie confiée à la grande loterie du destin. Fabien considérait son collègue comme un laissé-pour-compte de l’époque, un parangon de désenchantement. Il incarnait une génération abandonnée à ses désillusions et, de surcroît, pas plus instruite à la littérature qu’à la politique – les deux disciplines de l’esprit voyant. Eric en était le fruit bien mûr, déjà partiellement attaqué par les vers. Au demeurant, l’affection que Fabien lui portait était réelle et, précisons-le, réciproque.

- Et toi, t’as branlé quoi ? T’as eu des consignes ?

Il convient de préciser également ici qu’en milieu industriel on use sans connaître l’excès de la métaphore onanique, phallique, vaginale ou excrémentielle.

- Faut préparer la réunion, annonça Fabien. A 14h on présente les process devant le docteur et ses dogues. Les boches vont pas manger ce midi, ils vont pas nous louper. Ils vont débarquer la baïonnette au canon.

- Fait chier ces réunions. De toute façon dans un mois j’annonce que j’me casse, je sature…

Il ne se passait pas un jour depuis six mois sans qu’Eric n’évoquât comme une fatalité sa démission. C’était son hygiène mentale. L’industrie aussi a son folklore.

- Tu radotes. Pose tes couilles. T’as une piste ? S’enquit Fabien.

- Un plan pour être comptable à Bonn.

- A Bonn ? Putain, dur… Je pensais que tu pouvais plus les piffrer les fritz…

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