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Le Chevalier au Lion de Chrétien de Troyes : itinérances d’un monde à l’autre

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Par   •  23 Novembre 2022  •  Dissertation  •  2 692 Mots (11 Pages)  •  192 Vues

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Le Chevalier au Lion de Chrétien de Troyes : itinérances d’un monde à l’autre

« Le lecteur peut être considéré comme le personnage principal du roman, à égalité avec l’auteur, sans lui, rien ne se fait » écrit Elsa Triolet dans La mise en mots. Cette citation met en évidence la posture importante qu’occupe le lecteur dans la lecture d’un roman. Si l’auteur permet à l’œuvre d’exister, c’est le lecteur qui permet à l’œuvre d’être comprise, interprétée. L’œuvre prend alors vie deux fois. Le genre romanesque, qui est aujourd’hui le genre majeur de la littérature, était au Moyen-Age un genre « secondaire » d’un point de vue chronologique. Il naît au XIIe siècle et l’auteur Chrétien de Troyes a occupé une place importante dans la création et le développement de ce genre réflexif. La critique Danièle James-Raoul dans son ouvrage Chrétien de Troyes, la griffe d’un style, publié en 2007, écrit : « S’il place au centre de ses préoccupations l’individu, soumis aux aléas de l’aventure, guidé par ses motivations psychologiques, surtout amoureuses, et non plus guerrières ou politiques, le roman s’initie aussi à transcrire la vie, le plus naturellement ou le plus légèrement possible. Le projet est novateur : sa mise en œuvre n’est pas immédiate ni d’emblée accomplie, et les stéréotypes résistent bien à ce désir d’analyse. Cependant, en préservant une multiplicité de points de vue sur ses belles histoires, en se réservant de plus en plus des prérogatives d’auteur, Chrétien de Troyes provoque l’investissement complice de son auditeur-lecteur et génère un nouveau genre littéraire, continûment parasité par le dialogisme et la distance critique, dans lequel la fiction est instituée comme une nouvelle vérité, porteuse de sens ». Dans sa première phrase, Danièle James-Raoul semble proposer une définition du roman. Elle le caractérise par deux grands points : « l’individu » et « la vie ». Ces deux points sont mis sur un pied d’égalité et coexistent donc paisiblement à l’intérieur du roman. Si d’une part, le roman « place au centre de ses préoccupations l’individu », il se distingue de la chanson de geste où l’individu est « guidé » par des motivations « guerrières ou politiques ». Une des spécificités du roman figure alors dans les motivations psychologiques et amoureuses du héros qu’il décrit. La critique médiéviste juxtapose les « motivations psychologiques » aux « aléas de l’aventure », ce qui semble montrer que le roman mêle la matière d’armes à la matière d’amour à travers la quête chevaleresque et amoureuse. Le deuxième point qui caractérise le roman est la transcription de « la vie » qui s’y trouve. Le roman tend à décrire la vie de manière réaliste, sous-entendue par les deux emplois du superlatif : « le plus naturellement » et « le plus légèrement possible ». Danièle James-Raoul explique ensuite la réalité de ce projet « novateur » qui n’est pas tout de suite exécuté mais, par l’adverbe « cependant » qui marque l’opposition, elle affirme que Chrétien de Troyes crée « un nouveau genre littéraire » et, par deux verbes au gérondif, elle explicite les particularités de ce genre : « en préservant une multiplicité de points de vue sur ses belles histoires, en se réservant de plus en plus des prérogatives d’auteur ». Ces particularités forment alors « l’investissement complice de son auditeur-lecteur », renforcé par « le dialogisme et la distance critique ». Danièle James-Raoul finit par résumer l’objectif du roman dans une proposition relative : « dans lequel la fiction est instituée comme une nouvelle vérité, porteuse de sens ». Ce genre littéraire se distingue donc, encore une fois, de la chanson de geste, par son sujet : il n’est plus de valeur historique mais plutôt de valeur fictionnelle. Par un changement de paradigme, le roman est alors une œuvre fictionnelle qui se donne à lire comme une vérité. Nous pouvons nous demander en quoi peut-on dire que Chrétien de Troyes est l’initiateur d’un nouveau genre littéraire ? Dans une première partie, nous verrons que le roman est un genre fictionnel qui offre une transcription de la vie réaliste. Ensuite, nous montrerons que ce genre pousse le lecteur à la réflexion. Et enfin, nous nous focaliserons sur la posture originale de Chrétien de Troyes.

Selon les mots de Danièle James-Raoul, le roman transcrit « la vie, le plus naturellement ou le plus légèrement possible ».

Ce point semble bien s’appliquer au Chevalier au lion de Chrétien de Troyes. En effet, dans son roman, l’auteur s’applique à rationaliser le merveilleux. Tout en reprenant la tradition des romans bretons à renvoyer à un fond culturel à la fois celte, germanique et scandinave qui accorde une grande place au merveilleux, Chrétien de Troyes donne un aspect plus réaliste à son roman. Il rationalise alors des éléments merveilleux, à de nombreuses reprises dans le roman. Par exemple, la dame de Landuc renvoie à un personnage typique dans les lais, poèmes qui donnent une grande place à la matière de bretagne et donc au merveilleux, le personnage de la fée à la fontaine. Son lien à ce monde merveilleux des lais est d’ailleurs explicité par le texte au vers 2153-2155 : « la dame de Landuc […], qui fu fille au duc Laududez, dom an note un lai ». L’auteur rattache donc son personnage à l’imaginaire lié aux lais sans lui donner un aspect proprement merveilleux, la dame de Landuc n’étant pas une fée. Nous pourrions aussi citer l’exemple du rituel de la fontaine qui se trouve être un rituel établi par les Hommes il y a de ça soixante ans, l’auteur métamorphose alors des coutumes merveilleuses en coutumes plus réalistes.

L’oscillation entre réalité contemporaine et espace imaginaire permet également à l’auteur d’apporter une touche de réalisme dans son œuvre. Bien que le récit soit une fiction qui a pour cadre spatiotemporel la cour du roi Arthur au VIe siècle, Chrétien de Troyes joue avec l’utilisation de références anachroniques contemporaines au lecteur-auditeur. Au vers 593-594, le sénéchal Keu mentionne Loradin : « Après mangier sanz remuer vet chascuns Loradin tuer » qui est un sultan d’orient qui fait partie des personnages historiques de la deuxième croisade qui débuta en 1147. En mentionnant un personnage de la réalité contemporaine au sein du récit de fiction se passe au temps du roi Arthur, l’auteur fait entrer la réalité du lecteur dans son oeuvre. L’auteur fait également référence à des réalités historiques de son temps avec l’exemple de l’essart qui rappelle directement les politiques de défrichages importantes du XIIe siècle. Chrétien de Troyes joue donc avec la temporalité, n’hésitant pas à mêler réalité et fiction.

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