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La Femme Divinisé

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Par   •  21 Février 2014  •  1 563 Mots (7 Pages)  •  676 Vues

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Sacralisation et désacralisation du sexe chez Flaubert

Yvan LECLERC

Deux termes, quatre possibilités

Si l'on accouple les deux notions de sexe et de sacré dans une sorte de carré logique, ou de partie carrée, dont les termes sont marqués différentiellement par un signe positif ou négatif, on obtient quatre combinaisons de base, d'abord une paire attendue, le sexe sacré (ou le sacré sexué) et le sexe profane, désacralisé ; la troisième possibilité pourrait s'appeler, en utilisant un néologisme que l'on rencontre dans le Journal des Goncourt et dans la correspondance de Flaubert, le sacré insexué, fondé sur l'écart et l'exclusion entre deux ordres jugés incompatibles par l'opinion commune ; enfin une quatrième figure élémentaire, que nous n'aurions pas pensé à convoquer et qui s'impose par la nécessité de remplir la dernière case du tableau : quelque chose comme la négation simultanée du sexe et du sacré.

Or ces quatre combinaisons a priori, dégagées abstraitement, trouvent des répondants dans le « corpus Flaubert » (entendons par là l'ensemble des traces qu'il a laissées, œuvre et correspondance) : on peut mettre en face de ces quatre entrées des noms de personnages ou de types, analyser leur rôle structurant à la fois dans l'histoire personnelle de Flaubert, puisque chaque période de la vie négocie différemment les relations entre sexe et sacré, dans l'histoire des mœurs de son temps (la Bourgeoisie louis-philipparde et impériale), et dans la représentation littéraire des religions, depuis l'Antiquité jusqu'à l'époque moderne.

La célèbre dualité revendiquée par Flaubert lui-même dans sa constitution d'écrivain (à la fois lyrique de haut vol et matérialiste dans le détail), la vision binaire analysée par Thibaudet, le battement en deux temps d'une œuvre qui alterne un sujet contemporain et un sujet exotique, loin dans le temps et dans l'espace, toutes ces formes de dédoublement recoupent l'autre dualisme du sexe et du sacré, traité comme antithèse ou comme oxymore, au grand scandale de ses contemporains, mais surtout mis en œuvre dynamiquement dans la durée romanesque comme parcours croisés, l'un conduisant à l'autre, se renversant dans l'autre.

Figure 1 : le Bourgeois, athée eunuque

Partons de cette figure doublement privative, l'hybride négatif sans sexe ni sacré, une sorte d'eunuque profane. Cette créature de synthèse, obtenue par manipulation dans notre petit laboratoire théorique, existe bel et bien chez Flaubert. C'est même la figure dominante, majoritaire de ce XIXe siècle, tellement omniprésente et omnipotente qu'on n'y aurait pas pensé si elle ne s'était imposée par déduction : on a reconnu Homais en incarnation du Bourgeois majuscule. Étranger au sacré, cela va de soi, en tant qu'il assume l'héritage de Voltaire et l'esprit positiviste, scientiste de son temps. Son matérialisme désacralise à la fois la croyance religieuse et l'idéalisation romantique. Époux, père de famille, amateur de gaudriole et de plaisanteries grivoises, Homais est cependant étranger à la sexualité ; son seul désir le porte vers la croix d'honneur, pas vers une femme (imagine-t-on Homais amoureux d'Emma ?). Il n'est doté d'aucune vie sexuelle, ni extraconjugale ni même conjugale, marié qu'il est avec une Madame Homais dont Léon, locataire du pharmacien, ne parvient pas à imaginer « qu'elle pût être une femme pour quelqu'un [y compris donc pour homais], ni qu'elle possédât de son sexe autre chose que la robe »[1]. Car la sexualité bourgeoise, utilitaire, hygiénique et procréatrice, est évidemment une négation du sexe. Le Bourgeois n'a pas plus de vie sexuelle qu'il n'a de sens du sacré, stérilisé par la finitude d'une raison qui ignore l'inquiétude des deux infinis, celui d'en haut et celui d'en bas.

Figure 2 : le Garçon, pornographe anticlérical

On rapporte souvent le Bourgois à son expression hyperbolique, le type du Garçon créé par le jeune Gustave et par quelques intimes, dont Alfred Le Poittevin. Les Goncourt voient par exemple en Homais « la figure, réduite pour les besoins du roman, du Garçon »[2]. Le Garçon est donc un bourgeois Géant, caractérisé par l'esprit de profanation dont héritera le pharmacien. Mais le Garçon n'est pas seulement un bourgeois superlatif. C'est aussi un bourgeois capable de se moquer de lui-même, et dont le rire énorme, qui inclut le rieur parmi ses cibles, détruit l'une par l'autre les valeurs sacrées du siècle. « Il représentait la blague du matérialisme et du romantisme », disent les Goncourt, c'est-à-dire, pour reprendre l'expression de Sartre, qu'il est habité par « un tourniquet de rires »[3], le matérialisme bourgeois se moquant du romantisme religieux, et vice versa, comme on le voit dans l'exemple rapporté par les Goncourt : en passant devant la Cathédrale de Rouen, l'un des comparses s'extasiait devant l'élévation

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