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La Deffence, et Illustration de la Langue Francoyse

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Par   •  6 Juin 2015  •  10 645 Mots (43 Pages)  •  523 Vues

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La Deffence, et Illustration de la Langue Francoyse

L'auteur prie les lecteurs différer leur jugement jusques à la fin du livre, et ne le condamner sans avoir premièrement bien vu, et examiné ses raisons.

Épître à Monseigneur le révérendissime cardinal du Bellay S.

Vu le personnage que tu joues au spectacle de toute l'Europe, voire de tout le monde, en ce grand Théâtre Romain, vu tant d'affaires, et tels que seul quasi tu soutiens, ô l'honneur du sacré Collège, pécherai-je pas (comme dit le Pindare Latin) contre le bien public, si par longues paroles j'empêchais le temps que tu donnes au service de ton prince, au profit de la patrie et à l'accroissement de ton immortelle renommée ? Épiant donc quelques heures de ce peu de relais que tu prends pour respirer sous le pesant faix des affaires françaises (charge vraiment digne de si robustes épaules, non moins que le ciel de celles du grand Hercule), ma Muse a pris la hardiesse d'entrer au sacré cabinet de tes saintes et studieuses occupations : et là, entre tant de riches et excellents voeux de jour en jour dédiés à l'image de ta grandeur, pendre le sien humble et petit, mais toutefois bien heureux s'il rencontre quelque faveur devant les yeux de ta bonté, semblable à celle des Dieux immortels, qui n'ont moins agréables les pauvres présents d'un bien riche vouloir que les superbes et ambitieuses offrandes.

C'est, en effet, la Défense et Illustration de notre langue française, à l'entreprise de laquelle rien ne m'a induit que l'affection naturelle envers ma patrie, et à te la dédier, que la grandeur de ton nom : afin qu'elle se cache (comme sous le bouclier d'Ajax) contre les traits envenimés de cette antique ennemie de vertu, sous l'ombre de tes ailes. De toi, dis-je, dont l'incomparable savoir, vertu et conduite, toutes les plus grandes choses, de si long temps de tout le monde sont expérimentées, que je ne les saurais plus au vif exprimer, que les couvrant (suivant la ruse de ce noble peintre Timante) sous le voile de silence. Pour ce que d'une si grande chose il vaut trop mieux (comme de Carthage disait T. Live) se taire du tout que d'en dire peu. Reçois donc avec cette accoutumée bonté, qui ne te rend moins aimable entre les plus petits, que ta vertu et autorité vénérable entre les plus grands, les premiers fruits, ou, pour mieux dire, les premières fleurs du printemps de celui qui en toute révérence et humilité baise les mains de ta R. S. Priant le ciel te départir autant d'heureuse et longue vie, et à tes hautes entreprises être autant favorable, comme envers toi il a été libéral, voire prodigue de ses grâces. Adieu, de Paris, ce 15 de février, 1549.

LIVRE PREMIER 

CHAPITRE PREMIER : de l'origine des langues

Si la Nature (dont quelque personnage de grande renommée non sans raison a douté, si on la devait appeler mère ou marâtre) eût donné aux hommes un commun vouloir et consentement, outre les innumérables commodités qui en fussent procédées, l'inconstance humaine n'eût eu besoin de se forger tant de manières de parler. Laquelle diversité et confusion se peut à bon droit appeler la tour de Babel. Donc les langues ne sont nées d'elles-mêmes en façon d'herbes, racines et arbres, les unes infirmes et débiles en leurs espèces, les autres saines et robustes, et plus aptes à porter le faix des conceptions humaines : mais toute leur vertu est née au monde du vouloir et arbitre des mortels. Cela (ce me semble) est une grande raison pourquoi on ne doit ainsi louer une langue et blâmer l'autre : vu qu'elles viennent toutes d'une même source et origine, c'est la fantaisie des hommes, et ont été formées d'un même jugement, à une même fin : c'est pour signifier entre nous les conceptions et intelligences de l'esprit. Il est vrai que, par succession de temps, les unes, pour avoir été plus curieusement réglées, sont devenues plus riches que les autres ; mais cela ne se doit attribuer à la félicité desdites langues, mais au seul artifice et industrie des hommes. Ainsi donc toutes les choses que la nature a créées, tous les arts et sciences, en toutes les quatre parties du monde, sont chacune endroit soi une même chose ; mais, pour ce que les hommes sont de divers vouloir, ils en parlent et écrivent diversement. A ce propos je ne puis assez blâmer la sotte arrogance et témérité d'aucuns de notre nation, qui, n'étant rien moins que Grecs ou Latins, déprisent et rejettent d'un sourcil plus que stoïque toutes choses écrites en français, et ne me puis assez émerveiller de l'étrange opinion d'aucuns savants, qui pensent que notre vulgaire soit incapable de toutes bonnes lettres et érudition, comme si une invention, pour le langage seulement, devait être jugée bonne ou mauvaise. A ceux-là je n'ai entrepris de satisfaire. A ceux-ci je veux bien, s'il m'est possible, faire changer d'opinion par quelques raisons que brièvement j'espère déduire, non que je me sente plus clairvoyant en cela, ou autres choses qu'ils ne sont, mais pour ce que l'affection qu'ils portent aux langues étrangères ne permet qu'ils veuillent faire sain et entier jugement de leur vulgaire.

CHAPITRE II : que la langue française ne doit être nommée barbare

Pour commencer donc à entrer en matière, quant à la signification de ce mot : Barbares anciennement étaient nommés ceux qui ineptement parlaient grec. Car comme les étrangers venant à Athènes s'efforçaient de parler grec, ils tombaient souvent en cette voix absurde . Depuis, les Grecs transportèrent ce nom aux moeurs brutaux et cruels, appelant toutes nations, hors la Grèce, barbares. Ce qui ne doit en rien diminuer l'excellence de notre langue, vu que cette arrogance grecque, admiratrice seulement de ses inventions, n'avait loi ni privilège de légitimer ainsi sa nation et abâtardir les autres, comme Anacharsis disait que les Scythes étaient barbares entre les Athéniens, mais les Athéniens aussi entre les Scythes. Et quand la barbarie des moeurs de nos ancêtres eut dû les mouvoir à nous appeler barbares, si est-ce que je ne vois point pourquoi on nous doive maintenant estimer tels, vu qu'en civilité de moeurs, équité de lois, magnanimité de courages, bref, en toutes formes et manières de vivre non moins louables que profitables, nous ne sommes rien moins qu'eux ; mais bien plus, vu qu'ils sont tels maintenant, que nous les pouvons justement appeler par le nom qu'ils ont donné aux autres. Encore moins doit avoir lieu

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