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L'effet de réel dans les romans de Kourouma

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Par   •  15 Avril 2013  •  3 756 Mots (16 Pages)  •  862 Vues

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L'effet de réel dans les romans de Kourouma

AMADOU KONE

Ahmadou Kourouma, avec seulement deux romans publiés et une pièce de théâtre créée à Abidjan en 1972, est un des plus grands écrivains de l'Afrique, selon la critique. Son premier roman, Les Soleils des indépendances1, est unanimement considéré comme un chef-d'oeuvre. Eric Sellin, par exemple, affirme que le nouveau roman africain y a trouvé sa voie2. La publication du second roman, Monnè, outrages et défis*, a été un événement littéraire majeur. Ce qui rend cette oeuvre romanesque si révolutionnaire, c'est qu'elle apparaît comme un champ d'étude privilégié des plus grands problèmes littéraires de l'Afrique. D'abord, l'originalité de la langue française utilisée par Kourouma est remarquable. C'est sans doute cette originalité qui frappe au départ le lecteur. Les chercheurs l'ont dit et redit, (et Kourouma s'en est longuement expliqué lui-même4), ce romancier malinké assume le bilinguisme et s'efforce consciemment d'écrire une langue française qui tente d'obéir aux structures de la langue malinké. Ici, j'aimerais toutefois m'attarder plutôt sur la question de la représentation de la réalité que Kourouma propose dans ses livres, dimension qui a moins retenu l'attention de la critique. Car, en fait, l'intérêt de la langue se situe non seulement dans son originalité syntaxique et lexicale mais aussi dans sa capacité de traduire la réalité de façon satisfaisante. Autrement dit, si la langue utilisée par Kourouma est considérée comme très efficace, c'est qu'elle arrive mieux que d'autres à traduire la réalité vécue, c'est-à-dire le biculturalisme que vit l'Africain depuis la période coloniale jusqu'à nos jours.

Poser le problème de cette façon, comme on le voit, nous ramène aux vieilles notions de réalisme ou de mimesis, déjà grandement connues de la critique occidentale5. La critique du roman africain n'a pas non plus négligé l'étude du réalisme. Par exemple, Mineke Schipper6 a tenté de définir le réalisme dans le contexte africain en montrant que, généralement, le romancier africain a voulu écrire de «façon réaliste» pour corriger une fausse image et une histoire tronquée de l'Afrique livrées par le colonisateur. Le long article de Oyekan Oyomoyela relève la tendance de la littérature africaine vers le «réalisme socialiste» et le critique se demande pourquoi l'Africain ne parvient pas à imposer un «Africisme» ou «réalisme africain»7. Il semble que Oyomoyela conçoive les objectifs du réalisme de façon quelque peu étroite en les réduisant à la simple revendication de la correction des injustices sociales. Le réalisme ne vise pas que cela. Pour ma part, je considère que la volonté de rendre le réel en produisant «un effet de réel»8 convaincant, eu égard au réfèrent, est à l'origine du réalisme romanesque. Cependant, ma préoccupation n'est pas de m'étendre sur ces notions de façon théorique, mais d'établir que l'un des grands intérêts de Kourouma est la façon dont il représente la complexe réalité africaine. Cette représentation de la réalité africaine ne nous conduit-elle pas vers le «réalisme africain» que chacun tente de décrire? Je voudrais montrer que la réussite de Kourouma vient de sa capacité de rendre cet effet de réel qui décrit l'Afrique dans sa complexité et que la langue utilisée par Kourouma, cette langue façonnée par le contexte et la tradition orale où s'enracinent les personnages de Kourouma, est précisément la plus apte à traduire cette réalité.

I. CONTEXTE SOCIO-HISTORIQUE ET RÉALITÉS AFRICAINES

Ce n'est pas dans le sujet du roman qu'il faut rechercher le talent d'innovation de Kourouma. Son premier roman, comme son titre l'indique si bien, décrit l'ère des indépendances. Si, à l'époque, le thème du désenchantement des indépendances africaines pouvait paraître nouveau, il faut cependant rappeler que, déjà avant les indépendances, le romancier sénégalais, Sembène Ousmane, avait fait pressentir les désillusions des Africains dans Les Bouts de bois de Dieu (1960). De la même façon, le thème de la colonisation, de la lutte anti-coloniale, exploité dans Monnè, outrages et défis, avait déjà été traité par de nombreux romanciers africains dont le Burkinabé Nazi Boni avec son Crépuscule des temps anciens (1963) ou le Malien Yambo Ouologuem avec le célèbre et controversé roman, Le Devoir de violence (1968). Donc, comme les autres romanciers africains, Kourouma décrit le contexte socio-historique africain et les deux étapes historiques qui restent cruciales dans l'évolution de l'Afrique et des Africains : la situation coloniale et la difficile gestion des indépendances. C'est là une affirmation sans grande originalité mais elle conduit à des questions qui ont leur intérêt. On peut déjà dire que, par ses thèmes, Kourouma révèle un parti pris réaliste, car il adhère à l'évolution historique de l'Afrique. Mais, peut-on se demander, le problème pour Kourouma consiste-t-il à rendre simplement une «copie» uniforme de la réalité? Qu'est-ce que cette réalité9 africaine? La réalité du colonisateur, présentée par le colonisateur, est-elle la même que celle du colonisé? Est-ce celle présentée par le colonisé? Qu'est-ce que l'indépendance? Est-ce celle que conçoivent les responsables du parti unique ou celle des personnages tel que le Fama Doumbouya des Soleils des indépendances} En vérité, nous touchons là à d'autres concepts critiques, notamment celui de focalisation (qui voit et qui parle?) et, plus globalement, le structuralisme génétique de Lucien Goldmann qui nous conduirait au concept de vision du monde10. Ces différentes questions s'imposent dès que Ton entre dans l'oeuvre romanesque de Kourouma.

Il me semble en effet que ce qui rend cette oeuvre si importante, c'est précisément le type de représentation proposé par Kourouma. Et je crois que Kenneth Harrow a bien perçu le problème quand il signale très pertinemment à propos de Monnè, outrages et défis :

If the novel reconstitutes the legend of conquest of Soba, it is even more about the translation and interpretation of those events11.

Kourouma montre précisément que la complexe réalité africaine depuis la colonisation ne saurait plus être traduite par une seule voix. Car elle n'est plus vue par un type de regard unique; elle n'est plus vue par des personnes

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