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L'autofiction

Analyse sectorielle : L'autofiction. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  14 Juin 2013  •  Analyse sectorielle  •  1 391 Mots (6 Pages)  •  800 Vues

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J’aimerais revenir sur cette curieuse manière qu’ont certains autofictionneurs de considérer que le genre qu’ils illustrent est désormais le seul genre intéressant, vivant, que l’imagination est dépassée, incapable de représenter la réalité contemporaine. Hors de l’autofiction, point de salut, ou vous êtes un littérateur obsolète. On ne peut pas se contenter d’exister, il faudrait encore que les autres n’existent pas. Cette propension au totalitarisme théorique m’a toujours étonné. L’idée a récemment été développée dans le texte de Philippe Forest que j’ai déjà discuté ici, il avait été précédé dans cette voie, je le rappelle, par Catherine Millet et Christophe Donner.

Encore une fois, pour lever toute équivoque, je me sens étranger à cette manière de penser : a priori, pour moi, aucun genre n’est à exclure. L’autofiction ou l’autobiographie ou l’auto ce qu’on voudra peuvent donner des œuvres passionnantes : Forest et Catherine Millet, justement, mais aussi Richard Millet, Annie Ernaux, Bernard Desportes, Philippe di Folco, le magnifique journal que Belinda Cannone vient de faire paraître chez Stock sous le titre La Chair du temps, et j’en oublie des quantités. Dans le genre, ma préférence va encore à Eric Chevillard, qui publie chaque jour sur internet, sous le titre L’Autofictif, trois petits textes tirés d’infimes événements de la vie quotidienne, autant de bijoux de poésie, d’humour, d’inventivité. Ayant moi-même pratiqué le récit de voyage, je serais mal venu de considérer que le genre autobiographique tout entier est à jeter.

Premier problème, toutefois : le genre attire n’importe qui. Le premier venu se sent désormais parfaitement légitime pour raconter dans un joyeux foutoir sa petite vie, ses petites idées et ses passionnantes relations. Ça n’est à première vue pas trop compliqué, de se raconter. D’où un déluge de textes autobiographiques en provenance de cyclistes, de footballeurs, de politiciens, de journalistes, de starlettes, de chanteurs, de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours ou de M. tout le monde (et de leurs nègres éventuels) sans parler de navrants écriveurs genre Angot ou Chapsal. J’ai l’impression que ce déferlement finit par légitimer le genre. Puisqu’il envahit aujourd’hui les librairies, c’est bien qu’il est moderne, et qu’il représente la réalité.

C’est confondre succès et légitimité. A mes yeux, les genres autofictionnels sont ceux qui se conforment le plus étroitement à l’idéologie dominante, celle de la royauté de l’individu. L’individu légitime tout : je vous parle de moi, et puisque c’est moi, c’est forcément intéressant. Cette idéologie est martelée par le pouvoir dominant, celui des médias, qui se nourrissent de people, d’anecdotes biographiques, réduisent la politique à des affrontements individuels, la littérature à l’expression de ses petits problèmes personnels, et exploitent jusqu’à l’obscène l’exhibition de l’intimité.

De ce que l’autofiction se conforme aux exigences de ce pouvoir, il ne s’ensuit pas qu’elle représente notre époque. Elle incarne une idéologie, ce qui n’est pas la même chose. Les poubelles de l’histoire littéraire sont pleines de textes qui ont triomphé précisément parce qu’ils se conformaient à une idéologie dominante. Ils n’ont pas survécu à la disparition de cette idéologie. Je crains qu’une grande quantité de ce genre de textes ne soit destinée à une rapide poubellisation.

De ce point de vue, le dernier roman de Jean Rolin, Le Ravissement de Britney Spears, hilarante illustration de cette écrasante domination du people, me paraît infiniment plus à même de montrer notre époque, en dépit du fait qu’il s’agit d’un texte d’imagination, que n’importe quelle autofiction.

Pour Philippe Forest, le roman de pure fiction est sous assistance respiratoire. En quelque sorte, il se survit. Place à la littérature vivante, celle du moi. Mais on pourrait retourner l’analyse, et cela paraîtrait tout aussi pertinent, voire plus.

Souvenons-nous de la rentrée littéraire 2006. Les revues et suppléments littéraires se sont livrés à un véritable bourrage de crâne : tous titraient sur le dernier Angot. Mais le public ne s’est pas laissé faire, et ce sont Les Bienveillantes de Littell qui ont obtenu à la fois deux grands prix littéraires et un énorme succès public. Ce qui a inspiré diverses diatribes aux partisans d’Angot, comme

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