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L’autofiction : définitions et enjeux

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Par   •  19 Avril 2015  •  Analyse sectorielle  •  6 803 Mots (28 Pages)  •  676 Vues

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L’autofiction : définitions et enjeux

A- Philippe Lejeune et Serge Doubrovsky

Le 5 mai 1977, aux éditions Galilée, paraît Fils (que l’on peut lire comme fils ou fils) de S. Doubrovky. Sur la quatrième de couverture, le lecteur peut y lire : « Fiction, d’événements et de faits strictement réels ; si l’on veut, autofiction, d’avoir confié le langage d’une aventure à l’aventure du langage, hors sagesse et hors syntaxe du roman, traditionnel ou nouveau. Rencontre, fils des mots, allitérations, assonances, dissonances, écriture d’avant ou d’après littérature, concrète, comme on dit musique. Ou encore, autofriction, patiemment onaniste, qui espère maintenant partager son plaisir ». Qu’en est-il ?

Dans Le pacte autobiographique paru en 1975, Philippe Lejeune définit l’autobiographie selon « deux conditions [qui selon lui] sont affaire de tout ou de rien […]. Ici, il n’y a ni transition ni latitude. Une identité est, ou n’est pas. Il n’ y a pas de degré possible, et tout doute entraîne une conclusion négative » ; (cf. aussi p. 25 : « L’autobiographie elle, ne comporte pas de degrés : c’est tout ou rien » ). Il faut qu’il y ait « identité de l’auteur, du narrateur et du personnage. » . Et il faut qu’il y ait pacte autobiographique conclu avec le lecteur par « l’intention d’honorer sa signature ». C’est « la question de l’authenticité » appartenant « aux questions de droit , c’est-à-dire au type de contrat passé entre l’auteur et le lecteur » et reposant sur ce que Marie Darrieussecq nomme un « pacte de confiance (”Veuillez croire que”) » .

S’oppose au pacte autobiographique, le pacte romanesque « qui aurait lui-même deux aspects : pratique patente de la non-identité (l’auteur et le personnage ne portent pas le même nom), attestation de fictivité (c’est en général le sous-titre roman qui remplit aujourd’hui cette fonction sur la couverture ; à noter que roman, dans la terminologie actuelle, implique pacte romanesque, alors que récit est, lui, indéterminé, et compatible avec un pacte autobiographique) » .

En faisant jouer deux critères : rapport du nom du personnage et du nom de l’auteur (homonymat auteur-narrateur-personnage) et nature du pacte conclu (autobiographique ou romanesque), P. Lejeune obtient dans un tableau neuf combinaisons dont sept sont possibles « étant exclues par définition la coexistence de l’identité du nom et du pacte romanesque et celle de la différence du nom et du pacte autobiographique » qui sont des « cas limites » (notons au passage les connotations propres à la nosologie psychiatrique) ou « cases aveugles » [cases hachurées en noir dans le tableau de Philippe Lejeune], la première [celle considérant la coexistence de l’homonymat auteur-narrateur-personnage et du pacte romanesque] suscitant cette question et ce commentaire : « Le héros d’un roman déclaré tel, peut-il avoir le même nom que l’auteur ? Rien n’empêcherait la chose d’exister, et c’est peut-être une contradiction interne dont on pourrait tirer des effets intéressants. Mais, dans la pratique, aucun exemple ne se présente à l’esprit d’une telle recherche » .

Tableau de P. Lejeune

Nom du personnage ➞

Pacte

≠ nom de l’auteur

= 0

= nom de l’auteur

romanesque 1 a

ROMAN

2 a

ROMAN

= 0 1 b

ROMAN

2 b

Indéterminé 3 a

AUTOBIO

autobiographique

2 c

AUTOBIO 3 b

AUTOBIO

Dans Moi aussi paru en 1986, Philippe Lejeune évoque « Le cas Doubrovsky » qui aurait, dans « un souci d’expérimentation […] soigneusement combiné le “contrat de lecture” de son livre [Fils], avant la publication » après avoir lu Le pacte autobiographique comme il l’écrit lui-même dans une lettre du 17 octobre 1977 adressée à P. Lejeune et citée : « Je me souviens, en lisant dans Poétique votre étude parue alors, avoir coché le passage (que je viens de retrouver : “ Le héros d’un roman déclaré tel peut-il avoir le même nom que l’auteur ? Rien n’empêcherait la chose d’exister, mais dans la pratique aucun exemple ne se présente d’une telle recherche. ”. J’étais alors en pleine rédaction et cela m’avait concerné, atteint au plus vif. Même à présent, je ne suis pas sûr du statut théorique de mon entreprise, ce n’est pas à moi d’en décider, mais j’ai voulu très profondément remplir cette “case” que votre analyse laissait vide, et c’est un véritable désir qui a soudain lié votre texte critique et ce que j’étais en train d’écrire, sinon à l’aveuglette, du moins dans une semi-obscurité… » .

Par ce geste transgressif cité dans Moi aussi, Serge Doubrovsky, lève un interdit par lequel il serait agi par une censure. L’autofiction se définissant comme un « indécidable » par lequel d’un côté, en raison de l’homonymat auteur-narrateur-personnage, l’auteur s’engage à dire la vérité ; de l’autre, par l’entrée dans le pacte romanesque, nul si ce n’est lui ne peut décider du statut de cette dernière. Il se donne à lire une vérité invérifiable.

Philippe Gasparini démontre l’importance du dialogue critique dans la maturation du concept d’autofiction entre Serge Doubrovsky et Philippe Lejeune. Il est remarquable de constater combien les deux rôles se renforcent mutuellement (P. Lejeune est à ce jour membre directeur à l’ITEM (CNRS-ENS) du groupe « Genèse et autofiction » dont le rôle, à travers la génétique littéraire, est de paternité et de filiation…) et combien le geste transgressif de l’un repose sur la valeur juridictionnelle de l’autre et inversement. Depuis Fils, les critiques se sont essayés avec ferveur à définir la place qu’occupe le « Monstre » autofictif dans notre système des genres ; il est notable qu’ils se soient ainsi glissés du côté de la loi dans le procès

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