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L'abject au Théâtre

Dissertation : L'abject au Théâtre. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  6 Juin 2012  •  Dissertation  •  6 654 Mots (27 Pages)  •  639 Vues

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Composition française

« L’Homme, la Femme, l'attitude ou la parole qui, dans la vie, apparaissent comme abjects, au théâtre doivent émerveiller, toujours, étonner, toujours, par leur élégance et leur force d'évidence »

Jean Genet, Lettres à Roger Blin, 1966.

Selon Bergson dans Le Rire, à un spectacle drôle nous sommes comme du « haut de notre loge ». En particulier, le ridicule implique le rire, et le rieur est en situation de supériorité face à l'objet du rire.

Le ridicule, Genet semble l'avoir en effroi véritable : « Rien de ridicule » répète-t-il dans les Lettres à Roger Blin. Le ridicule est l'ennemi du transcendant. Or Genet semble avoir pour projet de faire de la figure abjecte une transcendance dans son théâtre. L'abjection doit être « hiératique », stylisée.

La représentation de l'abject ouvre un espace de jeu où les données du langage, de l'homme et du monde sont soumises à d'autres lois, donnent lieu à de nouvelles formes d'énonciation et d'apparition. Elle répond comme à un besoin de sidération chez le spectateur. En déclarant que « L’Homme, la Femme, l'attitude ou la parole qui, dans la vie, apparaissent comme abjects, au théâtre doivent émerveiller, toujours, étonner, toujours, par leur élégance et leur force d'évidence », Genet exprime paradoxalement la difficulté à garder l'abject pur, intact, élégant, évident alors même qu'il est nourri par le terreau du grotesque, du laid, du ridicule. L'abject ne fascine-t-il pas en lui-même ? Genet transmet sa maxime comme une règle à ne pas transgresser. Selon la force accordée au terme de devoir, il s'agit donc d'une maxime,un impératif peut-être, qui se donne en deux temps : d'une part comme profession de foi : « l'abject par sa stylisation, sa pureté, doit étonner et émerveiller », d'autre part comme mise en garde concernant un projet scénique : ce qui oserait prendre le nom d'abject dans son théâtre ne le serait qu'à condition que cet abject soit subordonné à une esthétique du hiératisme. Genet a-t-il voulu exemplifier une esthétique du contre-intuitif, qui est aussi une morale inversée ? Ou au contraire puiser dans la spécificité de l'abject ce qui fait la force du théâtre, comme pour prouver par l'absurde que le théâtre est bien cet endroit où la transmutation de la vie quotidienne se fait avec le plus d'absoluité ? Ce que semble bien affirmer Genet, c'est la capacité du théâtre à métamorphoser les contraires par une représentation adéquate : avec suffisamment d'efforts et de sérieux, il serait possible de fonder un ordre esthétique sublime sur ce qui en est le contraire apparent, l'abject. Cette foi se justifie-t-elle ?

Une certaine histoire théâtrale donne la représentation de figures abjectes comme dénuée de toute prétention subversive à la fondation d'un ordre esthétique radicalement nouveau. La proposition de Genet, qui est avant tout une directive scénique adressée à des acteurs et à un metteur en scène, le fait pourtant. Elle est contrecarrée par une partie du théâtre contemporain qui fait de l'abjection un absolu tellement puissant qu'il n'est même plus esthétique, idéologique ou éthique.

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Si Genet est en mesure de lier avec aisance l'abject à des termes caractérisant une expérience esthétique voire éthique (« émerveiller », « étonner », « élégance »), c'est qu'il est soutenu par une histoire théâtrale des apparitions de l'abject qui en font en effet un objet ambigu susceptible de fonder en effet un nouvel ordre esthétique subversif. Mais l'abject tel qu'ici caractérisé par les constituants d'une figure (« l'Homme, la Femme, l'attitude ou la parole ») n'a pas toujours porté un sens aussi étendu, chronologiquement et logiquement.

Ainsi se pose en premier lieu le problème de la possibilité même de la représentation de l'homme abject, compris comme support d'une étude morale, c'est-à-dire l'homme foncièrement mauvais. Si l'on représente ce que l'on ostracise, c'est que ce que l'on représente au théâtre ne prétend pas être la « vie ». Prenons l'exemple de Racine. « Racine nous peint non pas l'homme tel qu'il est, mais un peu au-dessous et hors de soi, au moment où les autres membres de la famille, les médecins et les tribunaux commenceraient en effet à être inquiets, s'il ne s'agissait de théâtre » écrit Charles Mauron dans L'Inconscient dans l'oeuvre et la vie de Racine. » Il est ainsi livré au problème de rendre un abject moral parfois absolu, tout en le délivrant sous une forme euphémisée, stylisée, en effet « élégante » puisqu'insérée dans les formes de la tragédie (l'alexandrin, la bienséance). Néron dans Britannicus est toujours décrit comme un monstre naissant, un abject en puissance. La tension n'en est que plus lourde, puisqu'à chacune de ses apparitions, le lecteur/spectateur craint qu'il ne se déchaîne enfin. La parole abjecte est appesantie par les formes qu'elle se voit obligée de prendre, ce qui exprime peut-être le mieux le drame de Néron, obligé de penser et de s'extérioriser dans des catégories imposées, et qui ne conviennent pas à son abjection, son être le plus intime : « J'aimais jusqu'à ses pleurs que je faisais couler » déclare-t-il au sujet de Junie. Ici, Néron est amené à l'emploi complètement antinomique de la notion d'amour, faute de mots pour dire ce rapport à l'autre inédit qu'il invente dans son abjection. Pour Barthes, il existe dans Racine « une contradiction entre l'éthique et l'esthétique ». En effet, « le Bien, qu'il choisit, est chez lui une abstraction mêlée de conformisme (…) le Mal, qu'il condamne est vivant ; sous la noirceur apparente, des nuances, des tentations, des regrets s'agitent, comme si dans le héros noir venait se déposer le noyau même de la subjectivité racinienne ». L'inceste, la rivalité des frères, le meurtre du père, la subversion des fils forment, selon Roland Barthes dans Sur Racine, les actions fondamentales du théâtre racinien. Les représentants du mal, ces figures abjectes, sont les plus subtiles et construites. De façon générale, se pose le problème de l'omniprésence

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