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Dissertation lyrisme

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Par   •  19 Mai 2021  •  Dissertation  •  4 346 Mots (18 Pages)  •  292 Vues

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« Solitude! silence! oh! le désert me tente. /L'âme s'apaise là, sévèrement contente; /Là d'on ne sait quelle ombre on se sent l'éclaireur. » En quelques vers, on peut reconnaître la voix de Victor Hugo : la mention de « l’éclaireur », les interjections avec un seul mot, et un sentiment de grandeur du vers. Ces quelques vers nous montrent la singularité de la voix prise par Victor Hugo dans ses poèmes, de la voix qu’il crée et modèle à son envie. Le sujet lyrique est donc moins une instance, un point de rencontre entre l’auteur et le lecteur, qu’une voix, une certaine habitude de formulation, un certain tropisme vers des thèmes de prédilection. Mais entendre cette voix peut ne pas être spontané, évident : c’est ce que nous dit Dominique Rabaté dans Figures du sujet lyrique lorsqu’il écrit : « […] porter attention au sujet, entendre la voix singulière qui dit le texte ne peut se faire sans être soucieux des écarts, des déports qui trament le sujet, qui le construisent ou l’écartèlent entre énoncé et énonciation, dans une tension qui donne sa dynamique à son œuvre. ». Rabaté pose ici une condition au fait d’entendre la voix du sujet (qu’on supposera ici comme étant le sujet lyrique, puisque l’expression figure dans le titre de son ouvrage) : une certaine attention du lecteur, une mise à l’écoute. Le lecteur devrait donc fournir un effort, ne pas être passif dans la réception, pour entendre pleinement la voix du sujet lyrique. Il précise ensuite ce à quoi le lecteur doit être attentif : il parle d’écarts et de « déports ». Le lecteur devrait donc éviter de construire mentalement une unité du sujet lyrique de manière immédiate, spontanée, mais plutôt regarder ce qui rend le sujet lyrique irrégulier, ce qui s’écarte et donc le densifie. C’est bien ce qu’il affirme ensuite quand il énonce que ce sont ces écarts qui construisent le sujet, au sens qu’ils lui donnent une épaisseur. La construction est connotée de manière positive, mais ce n’est pas le cas du terme qui suit, l’écartèlement, qui sous-entend une certaine souffrance.  Ce ne serait donc pas une construction linéaire mais par à-coups, avec des phases de repli, de resserrement, et d’extension, de variation du sujet lyrique. Lorsque Rabaté dit que ces processus de construction et d’écartèlement se font entre énoncé et énonciation, on peut supposer qu’il parle de la différence entre le moment d’énonciation, c’est-à-dire l’intention que met l’auteur, et le moment de réception de l’énoncé, lorsqu’il est laissé à l’interprétation du lecteur, qui n’est pas toujours la même que l’intention de l’auteur. C’est donc bien d’une « tension » qu’il s’agit, entre deux pôles, l’auteur et le lecteur, qui donne sa dynamique à chaque œuvre. Il s’agirait alors d’une construction commune, et donc plurielle du sujet lyrique. On peut donc se demander si la complexité, la densité de la voix du sujet lyrique, et l’investissement nécessaire du lecteur pour l’entendre, ne vont pas  dans le sens d’une pluralité, d’une démultiplication de la voix du sujet lyrique, qui aurait moins une voix singulière qu’une voix toujours renouvelée par l’investissement du propos par le lecteur. Le sujet lyrique est un sujet complexe, riche, dont la compréhension et la réception du propos nécessitent une certaine « éthique de lecteur », une certaine attention. La voix du sujet lyrique est construite par l’auteur, mais par forcément de manière obscure, opaque : c’est une voix qui se donne au lecteur, sans forcément exiger de lui une certaine attention. Cette voix qui se donne au lecteur est moins singulière que plurielle, le fait qu’il y ait un réinvestissement du lecteur réactualise, modifie et, en cela, singularise la voix. C’est le filtre de la lecture, de la réception qui singularise la voix.

        

        La thèse de Dominique Rabaté, dans cet extrait de Figures du sujet lyrique, est que la compréhension, le fait d’entendre la voix du sujet lyrique nécessite une attention, et donc un effort du lecteur. Et en effet on peut aller dans son sens, et penser qu’une certaine « éthique de lecteur » est nécessaire pour entendre la voix du sujet lyrique, l’entendre dans toute sa complexité. Cette condition posé par Rabaté peut tout d’abord se justifier par le fait que le sujet lyrique n’est que rarement, voire jamais, un sujet lisse, uni, toujours le même. Ce que le sujet lyrique « dit », ce sont souvent des choses qui ont trait à l’intimité, à l’intériorité (même si cela n’est pas incompatible avec une certaine universalité). Or cette intériorité, même dans un personnage de fiction, de papier, comme le sujet lyrique, n’est jamais plane, sans relief ou anfractuosités. L’écoute de la voix du sujet lyrique nécessite une certaine éthique de lecteur en premier lieu car ce sujet lyrique est souvent complexe et pluriel, ne peut se résumer à une seule facette. On peut prendre comme exemple le sujet lyrique mis en place par Michaux dans La nuit remue. En effet, si c’est la présence d’un sujet lyrique qui donne son unité à un recueil de poèmes qui peut apparaître comme décousu, sans unité, ce sujet lyrique n’en est pas moins complexe. Ainsi, on passe d’un poème comme « Le chiffon », dans lequel le sujet lyrique fait état de son isolement lors d’une situation mondaine et sociale, son sentiment de rejet d’une certaine société. Le sujet poétique apparaît donc en position de faiblesse dans ce poème. Dans d’autres, comme le poème « Intervention », le sujet poétique apparaît en position active, qui contraste avec l’écrasement subi dans le poème précédemment cité. Avec l’exemple de Michaux, et le sujet lyrique qu’il met en place, on comprend l’importance qu’accorde Rabaté à l’attention du lecteur : puisque le sujet lyrique n’est pas lisse, unique, passer à côté des « écarts » de la voix du sujet lyrique revient à ne pas saisir une partie du propos tenu, de ce qu’il y a à entendre.

        

        Le propos de Rabaté, et d’une attention nécessaire du lecteur pour entendre la voix du sujet lyrique, apparaît pertinent si l’on prend en compte que le lyrisme n’est pas une expression spontanée de sentiments, de l’intériorité, mais une expression travaillée, proposée après un travail de la langue. Il y aurait donc une attention particulière à prêter à la langue et aux systèmes d’expression mis en place par l’auteur, et qui ferait que la voix du sujet lyrique ne s’offre pas immédiatement, mais nécessite un effort du lecteur. On peut prendre, pour appuyer cette idée, l’exemple de Verlaine et de son recueil de Poèmes saturniens. Dans ce recueil, Verlaine met en place un sujet lyrique enclin à la mélancolie, à la nostalgie, à la rêverie, mais aussi à une certaine difficulté à être au monde, à atteindre une plénitude du fait de cette mélancolie constante, ou du moins extrêmement prégnante. Dès son prologue, il place son sujet lyrique sous la coupe des « Saturniens », signe astrologique qui serait enclin à la mélancolie. Cette sensation de décalage avec le monde présent, immédiat, se ressent également dans l’écriture même de Verlaine. Ainsi, dans ce recueil, le poète utilise fréquemment le vers impair, alors que la métrique classique française favorise les mètres pairs (alexandrins, décasyllabes ou octosyllabes principalement). Cette utilisation du vers impair appuie certains propos emprunts de tristesse de Verlaine (« Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville »). Le fait de se rendre compte de la présence de vers impairs nécessite l’écoute, l’attention dont parle Rabaté. Ici, avec Verlaine, ce n’est pas tant un déport d’émotion du sujet, mais un déport par rapport à une pratique plus classique du vers et de la poésie. L’expression lyrique, du sujet lyrique, peut donc comporter une part d’exigence stylistique, ce qui justifie l’éthique de lecteur que ce dernier doit adopter face à une voix lyrique. Cette exigence stylistique que peut comporter l’expression lyrique se retrouve dans le roman de Toni Morrison intitulé Beloved. Dans ce roman, Toni Morrison revient sur une expérience traumatisante : le meurtre d’un bébé par sa mère, qui est une esclave, et veut à tout prix éviter la même vie qu’elle a eu à son enfant. L’auteure adopte une écriture très opaque, transversale, ne formulant jamais clairement les choses, ce qui peut laisser le lecteur perplexe quant au sujet du roman, à son intrigue. L’auteure explique elle-même, dans des entretiens postérieurs à la publication de son texte, qu’il est normal que le lecteur se sente mal à l’aise, dérangé à la lecture du texte. Elle explique qu’elle voulait faire ressentir l’arrachement, le sentiment de malaise et de dépaysement permanent ressenti par les esclaves déracinés de leur pays et forcés à travailler dans des champs de coton aux États-Unis. Il y a donc, chez Morrison aussi, un déport par rapport à une narration habituelle, par rapport à une description des sentiments plus traditionnels. La forme du texte même décrit les sentiments qu’elle cherche à rendre, et exige du lecteur un certain investissement du texte, face auquel il ne peut rester totalement passif. Le nécessité d’une écoute attentive du lecteur apparaît donc pertinente face à la singularité que peut prendre l’expression d’un sujet lyrique.

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