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Des modalités de la présence animale chez Romain Gary

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Par   •  12 Octobre 2022  •  Dissertation  •  6 273 Mots (26 Pages)  •  230 Vues

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Université de Liège

Faculté de Philosophie et Lettres

Master en langues et lettres françaises et romanes

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Des modalités de la présence animale chez Romain Gary

Travail réalisé par Loïc Compère dans le cadre du cours de Questions d'histoire de la littérature française du 19e au 21e siècle.

Professeur : Benoît Denis

Janvier 2022


Des modalités de la présence animale chez Romain Gary

« Que d’histoires pour un chat n’est pas ? Mais alors que faites-vous dans ce livre ? [1] »

        Si Michel Pastoureau évoque régulièrement le fait que la question animale resta longuement mise de côté en histoire et que la légitimité de ce sujet ne fut reconnue qu’il y a peu, le domaine littéraire français a, lui aussi, longtemps « négligé ce que la littérature avait à dire[2] ». Anne Simon développe cet état de fait dans Une bête entre les lignes et explique que, en France, les études sur les animaux ne se traduisent pas comme aux Etats-Unis. Elles sont beaucoup plus récentes et se rattachent majoritairement à la pensée écologique et écopoétique. Cela s’explique sans aucun doute par le fait qu’une actualité urgente (écologie, extinction des espèces, problème de l’élevage industriel…) a produit une presque fusion de la nature et de l’animal dans la pensée des chercheurs. Nous allons tenter de nous détacher quelque peu de cette manière de voir les choses en prenant un point de vue essentiellement zoopoétique. Nous ne nous intéresserons donc pas ou peu à l’écopoétique, cette discipline qui se penche sur la manière qu’ont les écrivains d’exprimer l’environnement naturel. Notre objectif sera d’observer les différentes façons qu’a Romain Gary de représenter les animaux dans L’Orage, un recueil de nouvelles ayant été publiées entre 1935 et 1970. Une fois ces procédés repérés, nous tirerons quelques conclusions qui se voudront être une porte d’entrée pour lire l’entièreté de l’œuvre de Gary avec des outils d’analyse zoopoétique. Avant cela, nous tenons cependant à exposer ce que nous entendons par « zoopoétique » et les différentes sources que nous avons pu utiliser pour nourrir notre regard théorique. Si peu d’entre elles parlent de Romain Gary et de son œuvre elle-même, la plupart n’en sont pas moins pertinentes pour mieux l’aborder et le comprendre.

La zoopoétique, une manière de lire les textes

        La question centrale de la zoopoétique concerne le statut des animaux dans les textes. Selon ses adeptes, l’écriture peut constituer « un engagement envers et avec l’animal[3] » nous amenant à donner de l’importance a un regard qui n’est pas le nôtre, celui de la bête. Que ce soit au théâtre, en poésie ou dans le roman, ils critiquent la tendance à faire de l’animal une simple métaphore. Ce geste équivaudrait souvent, selon Yuna Visentin, à mettre son individualité et son existence matérielle de côté. Dans un monde que l’homme partage avec les bêtes, il semble évident aux auteurs cités dans notre bibliographie que les animaux peuvent également constituer des sujets à part entière sans devoir être relégués au rang d’« animots ». Cette notion utilisée par Derrida désigne des êtres globalisés dont on aurait gommé les particularités. Ainsi, l’objectif est, comme dans les études de genre, d’aborder l’altérité sans la généraliser et même si « la frontière anthropozoologique a longtemps été présentée comme infranchissable[4] », de faire découvrir au lecteur la porosité de cette séparation. La plume de nombreux auteurs, qu’ils soient nos contemporains ou d’un autre siècle, fragilise cette scission entre les espèces. C’est notamment le cas de Kateb Yacine ou de Romain Gary qui « soulignait dès 1968, dans sa fameuse Lettre à l’éléphant, cette interdépendance de tous les êtres vivants[5] ».  

        C’est donc en dépassant l’idée selon laquelle l’animal ne sert qu’à représenter une qualité ou un défaut humain, qu’il faut laisser les bêtes nous guider à travers une réalité différente dont elles sont les représentantes. A ceux qui estiment que l’humain ne peut écrire sur l’animal sans lui imposer sa manière de voir les choses, Anne Simon répond dans La zoopoétique, une approche émergente : le cas du roman que l’homme ne se réduit pas à l’humain, qu’il est aussi animal, vivant, mammifère… et que par ce fait, son langage, déjà polyphonique, s’actualise dans le roman permettant ainsi à la langue de déployer divers points de vue dont celui de la bête. Le récit et l’écriture de l’animal tournés vers le sensible permettraient eux-mêmes d’influencer le regard que nous portons sur le monde et sur ses habitants. C’est donc au-delà d’un intérêt pour les animaux, un regard sur la relation que nous avons construite et construisons avec eux que pose la zoopoétique. La cohabitation dans un même environnement nous lie aux animaux qui nous entourent de près ou de loin. Ces animaux ont, dans la réalité, une individualité propre puisqu’ils sont des vivants à part entière et c’est la conscience de cela que cherche à souligner la zoopoétique. Que ce soit Jean Giono, Colette, Proust ou Jean Giraudoux, chacun a eu une façon particulière de prendre en compte l’animal dans ses textes. C’est rendre leurs textes plus riches de sens que de les aborder avec l’angle d’approche que nous prendrons ici. Porter attention aux partages entre humains et animaux tout en admettant l’existence des mystères de ces derniers est primordial tandis que se souvenir de la porosité des frontières nous séparant est essentiel.

        Nous pensons quant à nous que Romain Gary est l’auteur d’une œuvre qui pourrait se prêter à une telle relecture. S’il est, encore aujourd’hui, considéré comme celui qui écrivit le premier roman écologique et qu’il en joua beaucoup, il nous semble bien plus enrichissant de s’attarder sur les stratagèmes qu’il a utilisés pour évoquer l’animal dans son œuvre. Il est clair qu’avec un regard s’attardant sur les bêtes, on se rend très rapidement compte de leur omniprésence chez Gary, que ce soit dans ses romans ou dans ses nouvelles. Nous tenterons donc, dans la partie qui suit, de mettre en avant diverses catégories et types de regards zoopoétiques particuliers qui nous semblent pertinents pour relire l’ensemble de l’œuvre de Romain Gary. Cette liste ne se veut cependant pas exhaustive, elle ne constitue qu’une porte d’entrée dans l’univers de notre auteur et nous ne doutons pas que chaque œuvre sera une pièce recelant de nouveaux recoins à explorer. Certains de nos angles d’approche ont été conditionnés par nos lectures théoriques dont nous rendons compte en bibliographie. Souvent, des thèmes abordés pour traiter l’un ou l’autre auteur nous ont aiguillé dans notre analyse. À titre d’exemple, Chantal Dhennin-Lalart explique, dans un article, que chez Léon Bocquet, « les présences animales indiquent les lieux où la vie est revenue[6] » tandis qu’Alain Romestaing[7] pose la question de la représentation de la mort d’individus animaux. Nous sommes donc aussi redevable à ces chercheurs qu’à ceux qui nous ont aidé à élaborer une définition du terme « zoopoétique ».

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