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Manon Lescaut de l'Abbé Prévost : le plaisir du lecteur vient-il du fait qu'il puisse croire à ce qui lui est raconté ?

Dissertation : Manon Lescaut de l'Abbé Prévost : le plaisir du lecteur vient-il du fait qu'il puisse croire à ce qui lui est raconté ?. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  17 Avril 2024  •  Dissertation  •  2 454 Mots (10 Pages)  •  52 Vues

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Sainte-Beuve écrit dans Causeries du lundi (IX), en 1853 : « Ce livre, avec tous ses étranges aveux, et avec l’espèce de mœurs si particulières qu’il présente, ne plaît tant que par le parfait naturel, et cet air d’extrême vérité. » Pensez-vous également que le plaisir du lecteur de Manon Lescaut vienne du fait qu’il puisse croire à ce qui lui est raconté ?  

Vous répondrez à cette question en prenant appui sur Manon Lescaut, les textes étudiés dans le cadre du parcours associé ainsi que sur vos lectures personnelles. 

Au XVIIIe siècle, le roman-mémoires est à la mode. En 1731, Prévost publie Manon Lescaut dans les Mémoires d’un homme de qualité. Renoncour se présente comme rapporteur du témoignage reçu de Des Grieux et cette stratégie a pour but de faire adhérer le lecteur au récit. En 1853, Sainte-Beuve affirme : « Ce livre, avec tous ses étranges aveux, et avec l’espèce de mœurs si particulières qu’il présente, ne plaît tant que par le parfait naturel, et cet air d’extrême vérité. » Le critique oppose ce qui pourrait ne pas plaire au lecteur dans Manon Lescaut et ce qui fait malgré tout le succès de l’œuvre. Il souligne un double paradoxe : malgré le caractère condamnable et invraisemblable du récit, le lecteur est séduit et y croit. On peut donc se demander si c’est bien parce qu’il peut croire à une histoire invraisemblable et penser les héros innocents malgré leur immoralité que le lecteur est séduit par Manon Lescaut. Pour répondre à cette question, nous montrerons que Prévost veut nous faire croire à ce qui est raconté pour nous y intéresser, puis qu’il compense l’invraisemblance et l’immoralité par le « naturel » des héros, et enfin qu’il cherche à créer un « air de vérité », un trompe-l’œil.

 

Manon Lescaut est, selon Sainte-Beuve, un roman à l’« air d’extrême vérité ». D’emblée, Prévost veut en effet nous faire croire à ce qui est raconté pour nous y intéresser. Pour ce faire, il a recours à différentes stratégies narratives et littéraires. Il fait le choix du genre des pseudomémoires, dans lequel il insère un témoignage. La dimension réaliste du roman participe également à ce que le lecteur puisse croire à l’aventure.

Prévost fait le choix, pour son roman, du genre des pseudo-mémoires. Il ne se présente pas comme l’auteur du roman. C’est en effet Renoncour, l’homme de qualité, qui est censé l’être. Il explique dans l’avis au lecteur ne pas avoir intégré l’histoire de Des Grieux dans ses mémoires pour ne pas être trop long. Il rapporte dans ce livre l’histoire que lui a racontée le jeune homme. Tout est présenté comme vrai : « Je dois avertir ici le lecteur que j’écrivis son histoire presque aussitôt après l’avoir entendue, et qu’on peut s’assurer, par conséquent, que rien n’est plus exact et plus fidèle que cette narration. Je dis fidèle jusque dans la relation des réflexions et des sentiments que le jeune aventurier exprimait de la meilleure grâce du monde. Voici donc son récit, auquel je ne mêlerai, jusqu’à la fin, rien qui ne soit de lui. » Lors de sa seconde rencontre avec Des Grieux, celui-ci se confie à Renoncour, qui ne sert que d’intermédiaire entre le héros et le lecteur.  

Le roman se présente donc comme le témoignage de Des Grieux. Lorsque le premier narrateur passe le relais au narrateur second, un récit enchâssé s’insère dans le récit-cadre. Le premier « je » (Renoncour) laisse place au second (Des Grieux) et devient l’interlocuteur, ou plutôt, l’auditeur de l’aventure racontée. Le chevalier, lui, devient alors à la fois narrateur et personnage : « Je veux vous apprendre, non seulement mes malheurs et mes peines, mais encore mes désordres et mes plus honteuses faiblesses. Je suis sûr qu’en me condamnant, vous ne pourrez pas vous empêcher de me plaindre. », l’ensemble étant ainsi présenté comme un témoignage et donc comme une histoire vraie, susceptible d’être crue et de susciter l’émotion, une curiosité bienveillante et compatissante. 

 

À côté de la stratégie narrative, Prévost fait attention à donner une dimension réaliste à son roman afin que le lecteur puisse croire à ce qui est raconté. Il ancre l’aventure dans un cadre spatio-temporel assez précis et donne un certain nombre de détails concrets, notamment en ce qui concerne les sommes d’argent gagnées ou perdues. Les noms des personnages secondaires sont souvent réduits à des initiales pour donner l’impression qu’il s’agit de vraies personnes dont on ne peut pas dévoiler les noms complets. On retrouve ces différents procédés dans le passage du rendez-vous manqué à la Comédie : « Elle m’assurait néanmoins qu’elle ne m’oubliait pas dans cette nouvelle splendeur ; mais que, n’ayant pu faire consentir G… M… à la mener ce soir à la Comédie, elle remettait à un autre jour le plaisir de me voir ; et que, pour me consoler un peu de la peine qu’elle prévoyait que cette nouvelle pouvait me causer, elle avait trouvé le moyen de me procurer une des plus jolies filles de Paris, qui serait la porteuse de son billet ». Le vieillard qui vole Manon à des Grieux en lui offrant de l’entretenir dans le luxe n’est jamais nommé autrement que par ses initiales. Le procédé de l’illusion référentielle (la référence au réel dans la fiction) est utilisé avec la mention de la ville de Paris et du théâtre de la Comédie. Ainsi, Manon et des Grieux, personnages fictifs, ont l’air d’exister pour de vrai.  

Les différents choix narratifs et littéraires de l’abbé Prévost permettent donc que le lecteur croie à l’invraisemblable.  

 

À côté de ces choix narratifs, Prévost travaille le « naturel » des personnages pour faire passer un romanesque invraisemblable et moralement condamnable.

Le romanesque est omniprésent dans Manon Lescaut ; c’est sans doute le ressort principal de l’œuvre. Ainsi les « étranges aveux » de Des Grieux nous semblent incroyables et invraisemblables. En effet, les « aveux » de Des Grieux peuvent sembler « étranges » dans la mesure ou le chevalier se confie à un homme qu’il ne connaît pas (c’est la deuxième fois qu’il le voit quand il passe d’un « je ne peux rien vous dire » à « je vais tout vous dire »), mais en qui il a juste confiance parce qu’il l’a aidé en lui donnant de l’argent et en se montrant bienveillant à son égard. D’autre part, ce qu’il raconte peut sembler invraisemblable vu les rebondissements et revirements incessants de situation. Quelle foi accorder dès lors à cette parole incroyable ? Par exemple, comment comprendre le coup de théâtre que représente l’apparition de Manon à Saint-Sulpice, et surtout le fait que Des Grieux retombe aussi vite dans les filets de son bourreau : « Quel passage, en effet, de la situation tranquille où j’avais été, aux mouvements tumultueux que je sentais renaître ! J’en étais épouvanté. Je frémissais, comme il arrive lorsqu’on se trouve la nuit dans une campagne écartée : on se croit transporté dans un nouvel ordre de choses ; on y est saisi d’une horreur secrète, dont on ne se remet qu’après avoir considéré longtemps tous les environs. » Les péripéties incessantes permettent que le lecteur soit toujours tenu en haleine, même si ce qu’on lui raconte est impossible à croire.

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