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Manon Lescaut, La mort de Manon. De « Pardonnez si j'achève... » à « mener jamais plus heureuse »

Commentaire de texte : Manon Lescaut, La mort de Manon. De « Pardonnez si j'achève... » à « mener jamais plus heureuse ». Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  3 Juin 2023  •  Commentaire de texte  •  2 362 Mots (10 Pages)  •  268 Vues

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SÉQ 3 : Le roman.

Parcours : Personnages en marge, plaisirs du romanesque.

Texte n°        : Manon Lescaut, La mort de Manon. De « Pardonnez si j'achève... » à « mener jamais plus heureuse ».

        Je commence mon introduction par la citation suivante: «Leurs yeux se rencontrèrent ». Cette phrase célèbre écrite par Flaubert dans l'Education sentimentale a servi de titre à un ouvrage que Jean Rousset a consacré à ce passage obligé dans un roman : la rencontre entre les deux amants. Et il s'agit bien d'un topos littéraire : de La Princesse de Clèves à Belle du Seigneur en passant par Le Rouge et le Noir, les romanciers se sont attachés à décrire ce moment initial du ravissement, du coup de foudre. L'Abbé Prévost ne fait pas exception : son roman Manon Lescaut publié en 1731 raconte la passion amoureuse du Chevalier des Grieux pour une courtisane Manon. Cette histoire d'un « fripon » et d'une « catin » comme le résumera Montesquieu, fit scandale à l'époque mais en même temps séduisit le public. Notons que l'Abbé Prévost est un ecclésiaste romancier dont la vie fut aussi riche que mouvementée ; vie qui se retrouve dans le destin de Des Grieux pour ses débauches et aventures.

        L'extrait dont nous allons présenter l'étude linéaire est situé à la fin de l'oeuvre dans la deuxième partie. La scène rapportée est un récit mené par Des Grieux quelques années après la mort de Manon. Le couple est en Louisiane après plusieurs péripéties enFrance. Manon a été déportée avec un convoi de filles publiques en Louisiane. Des Grieux, la suit. La scène se passe dans le désert où ils ont dû fuir. Manon est épuisée, elle va mourir, on assiste à une scène d'agonie.

        Problématique : En quoi ce récit pathétique élève le couple malheureux au rang de héros tragiques ?

        Ou : Comment la façon dont Des Grieux raconte ce moment particulièrement douloureux rend ce texte encore plus émouvant ?

        Je procède maintenant à une lecture expressive du texte.

        Nous pouvons découper ce texte en plusieurs mouvements :

        

  • Mouvement n°1 : Du début à « j’entreprends de l'exprimer » : Le douloureux récit de Des Grieux qui partage sa douleur (l'annonce de la mort de Manon).
  • Mouvement n°2 : De « Nous avions passé tranquillement... » à « consolations de l'amour » : La mort de Manon, un récit pathétique.
  • Mouvement n°3 : De « N'exigez point de moi... » à la fin du texte : Le retour au silence de Des Grieux.

        

        Mouvement n°1 : Du début à « j’entreprends de l'exprimer » : Le douloureux récit de Des Grieux qui partage sa douleur (l'annonce de la mort de Manon).

        On observe que le début de ce texte s'ouvre sur un impératif à la deuxième personne du pluriel : « Pardonnez », adressé à son destinataire, le marquis de Renoncour : c'est une imploration. Le récit de présente de manière difficile comme le montre l'expression : « si j'achève en peu de mots un récit qui me tue ». Dès lors, on remarque que le récit est structuré autour de la mort de Manon, ainsi le tragique domine et avec Manon s'estompe tout intérêt pour la narration. De même, notons que le minimum est dit en trois phrases seulement. Face à cette douleur, Des Grieux a des difficultés à raconter la mort de sa bien-aimée : le terme « malheur » à valeur d'euphémisme est ici utilisé pour ne pas employer le terme de « mort ». Sa parole, on peut le voir est constituée de mots mono ou bissylabiques : « un / ré /cit / qui / me / tue. Je / vous / ra / conte / un / mal / heur / qui / n'eut / ja / mais / d'e / xemple / ». Deux périphrases se suivent chacune dans une proposition relative pour désigner le triste récit qui se prépare : en témoigne l'expression : « un récit qui me tue » et « un malheur qui n'eut jamais d'exemple ». Cette figure de style désigne sous deux formes la mort de Manon. De son côté, on peut souligner que le lecteur lui, est en situation d'attente. Le narrateur cherche à susciter la curiosité morbide de celui-ci par l'emploi notamment de l'hyperbole : « mon âme semble reculer d'horreur ». De même, on voit que le tragique du récit domine comme le suggère le champ lexical : « malheur », « destinée à le pleurer », « reculer l'horreur » lié à celui du récit : « récit », « raconte, « exprimer ». Notons que l'emploi du présent à valeur d'habitude comme le montre l'expression : « je le porte sans cesse » et « chaque fois que j'entreprends », renforce la douleur toujours présente. Ainsi, s'il ne raconte pas la mort de Manon, il poursuit son récit en indiquant ses derniers instants.

        Mouvement n°2 : De « Nous avions passé tranquillement... » à « la fin de ses malheurs approchait » : La mort de Manon, un récit pathétique.

        On peut observer dans ce second mouvement, que Des Grieux fait ici figure de préromantique, un héros endeuillé par la mort de son aimée, un récit qui se déroule dans le désert de Louisiane, motif préromantique de la mort dans la nature. Nous pouvons d'emblée voir que le passage s'ouvre sur le plus-que-parfait : « Nous avions passé », ce qui nous plonge ainsi directement dans le passé. On peut voir en outre que la mort de Manon est évoquée avec délicatesse, de pudeur, et de manière imagée comme dans une sorte de tableau touchant. D'emblée on peut souligner que la mort du personnage est associée au sommeil comme en témoigne l'expression : « Je croyais ma chère maîtresse endormie ». Notons que l'adverbe « tranquillement » qui se déploie sur quatre syllabes ainsi que le modalisateur « croyais » créent une sorte d'ironie tragique. En effet, le lecteur connaît déjà l'issue fatale de cette scène que le chevalier semble ici ignorer. Là encore, on peut voir que Manon n'est jamais nommée. Elle est idolâtrée par la périphrase : « Ma chère maîtresse ». De plus, on peut voir que le sommeil ainsi que la posture du chevalier qui retient son souffle amplifie l'ambiguïté entre la mort et le sommeil. Ce dernier d'ailleurs est connoté et suggéré par la présence des allitérations en « M » avec « tranquillement », « ma », « maîtresse », « endormie », « sommeil » évoquant ainsi les murmures, les paroles retenues et la douceur. Cela entraîne en outre la retenue de l’amant, comme le stipule les expressions « je n’osais », (négation syntaxique) et « dans la crainte de », (négation lexicale). On peut voir par la suite que la tendresse entre les deux amants se traduit par le contact physique des mains, « en touchant ses mains », « saisir les miennes » et le sein, « je les approchai de mon sein, pour les réchauffer ».  On retrouve de nouveau le lexique du corps et de l’amour lié l’un à l’autre , le corps est évoqué par les mains qui deviennent le symbole de leur fusion charnelle, synecdoque de leur union jusqu’à la fin par la proximité de leur corps. On peut également relever les verbes qui connotent le toucher « touchant », « approchai », « sentit », « échauffer », « saisir ». Les paroles de Manon se font murmures avant de céder au silence. Ces dernières en cela, sont rendues au discours indirect « elle me dit » et « je ne répondis que », sa voix se fait murmures annonçant « sa dernière heure », périphrase pour dire la mort, et comme si la voix de Manon, de plus en plus faible, s'éteignait. S'ensuit l'utilisation cette fois-ci du discours narrativisé qui rappelle l'affirmation initiale du narrateur : les mots manquent en effet pour traduire l'infinie douleur suscitée par l'être aimé. Nous pouvons voir aussi que les phrases font alterner les pronoms « je » et « elle » en position de sujets des verbes. Le « nous » quant à lui est désormais dissocié : la mort sépare les deux amants. Manon quant à elle, évoque sa mort par périphrase : « elle se croyait à sa dernière heure » là où Des Grieux dans le déni total, n'entend que : « le langage ordinaire de l'infortune » devient prise de conscience car « les soupirs, les « serrements », les « silences » étant sujets du verbe « me firent connaître » introduits par la conjonction de coordination « mais » sont annonciateurs de la mort de Manon désignée par la périphrase « la fin de ses malheurs » qui suggère la violence que la société a infligée aux deux amants. Quant à De Grieux, on voit bien là que c'est un être sensible, préromantique et surtout attentif au langage du corps.

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