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La Pluie de Paul Claudel (Connaissances de l'Est)

Commentaire de texte : La Pluie de Paul Claudel (Connaissances de l'Est). Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  20 Décembre 2023  •  Commentaire de texte  •  2 140 Mots (9 Pages)  •  69 Vues

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Par les deux fenêtres qui sont en face de moi, les deux fenêtres qui sont à ma gauche et les deux fenêtres qui sont à ma droite, je vois, j’entends d’une oreille et de l’autre tomber immensément la pluie. Je pense qu’il est un quart d’heure après midi : autour de moi, tout est lumière et eau. Je porte ma plume à l’encrier, et, jouissant de la sécurité de mon emprisonnement, intérieur, aquatique, tel qu’un insecte dans le milieu d’une bulle d’air, j’écris ce poème.

Ce n’est point de la bruine qui tombe, ce n’est point une pluie languissante et douteuse. La nue attrape de près la terre et descend sur elle serré et bourru, d’une attaque puissante et profonde. Qu’il fait frais, grenouilles, à oublier, dans l’épaisseur de l’herbe mouillée, la mare ! Il n’est point à craindre que la pluie cesse ; cela est copieux, cela est satisfaisant. Altéré, mes frères, à qui cette très merveilleuse rasade ne suffirait pas. La terre a disparu, la maison baigne, les arbres submergés ruissellent, le fleuve lui-même qui termine mon horizon comme une mer paraît noyé. Le temps ne me dure pas, et, tendant l’ouïe, non pas au déclanchement d’aucune heure, je médite le ton innombrable et neutre du psaume.

Cependant la pluie vers la fin du jour s’interrompt, et tandis que la nue accumulée prépare un plus sombre assaut, telle qu’Iris du sommet du ciel fondait tout droit au cœur des batailles, une noire araignée s’arrête, la tête en bas et suspendue par le derrière au milieu de la fenêtre que j’ai ouverte sur les feuillages et le Nord couleur de brou. Il ne fait plus clair, voici qu’il faut allumer. Je fais aux tempêtes la libation de cette goutte d’encre.

Introduction

Paul Claudel compose Connaissance de l’Est, un recueil de poèmes en prose, entre 1895 et 1899 en Chine. « La pluie » est un des poèmes en prose de ce recueil ; l’eau, la pluie, est propice aussi au rêve et à l’imagination ; un parallélisme se construit entre la pluie et l’écriture du poème

I – Le genre du poème en prose

« La pluie » est un poème en prose, il contient un vocabulaire prosaïque mais avec une grande sonorité poétique. On le remarque d’abord avec une chronologie dans le texte qui met en évidence l’endroit où est le poète, « la sécurité de son emprisonnement » (antithèse, qui montre bien le confort dans lequel le poète est malgré le fait qu’il ne puisse pas sortir à cause de la pluie ; le temps l’emprisonne), un intérieur, puis la pluie qui est omniprésente dehors (« ce n’est point de la bruine », « la nue attrape de près la terre », « qu’il fait frais ») ; on a ensuite un retour au calme mais qui présage une plus grosse tempête : « la pluie vers la fin du jour s'interrompt » « tandis que la nue accumulée prépare un plus sombre assaut ».

On retrouve au début du poème un mouvement de tête de la part du narrateur, un rythme binaire, et l’anaphore « deux fenêtres ». En plus de créer un effet de symétrie pour montrer celle de la salle, ça crée un mouvement de tête calme, lent, qui traduit un certain apaisement (renforcé avec « tout est lumière et eau »), et qui se poursuit au sens de lecture, jusqu’à son regard puis son ouïe ; tout va de gauche à droite. On est vraiment plongé dans une atmosphère paisible. Le narrateur vient couper cet apaisement avec une période à cadence mineure qui vient servir à la poéticité du poème en prose : « Je porte ma plume à l’encrier, et jouissant de la sécurité de mon emprisonnement, intérieur, aquatique, tel qu’un insecte dans le milieu d’une bulle d’air, j’écris ce poème ». Grâce à la protase, il donne une intensité à sa phrase, qu’il vient terminer avec l’apodose « j’écris ce poème ». La fin de la phrase marque le début de l’écriture du poème.

Le rythme est d’ailleurs renforcé avec plusieurs allitérations en [-d], [-f] et [-s] qui rappellent le son de la pluie et du vent et donnent ainsi une certaine sonorité au texte (« Par les deux fenêtres qui sont en face de moi, les deux fenêtres qui sont à ma gauche et les deux fenêtres qui sont à ma droite »).

Nous voyons également une litote en tête du deuxième paragraphe. « Ce n’est point de la bruine qui tombe… » ; la répétition de « ce n’est point », et l’isolexisme « pluie languissante », tout cela vient renforcer l’aspect poétique du texte mais également l’image d’une pluie intense. D’ailleurs le narrateur utilise de nombreuses fois des isolexismes. On en retrouve un peu dans « qu’il fait frais, grenouilles, à oublier, dans l’épaisseur de l’herbe mouillée » ; cette figure de style donne un certain jeu de sens et de sonorités au poème. On retrouve une nouvelle fois une répétition : « cela est copieux, cela est satisfaisant », on remarque qu’il est alors en opposition avec la répétition en début de paragraphe, « ce n’est point », le narrateur vient créer un effet de contraste qui vient renforcer l’idée d’une pluie qui ne cesse pas.

On a une allitération en [-r] : « Altéré mes frères, à qui cette très merveilleuse rasade ne suffirait pas. La terre à disparu, les arbres submergés ruissellent ». Elle vient créer un mouvement dans le texte, qui peut faire échos au bruit de la pluie. On peut voir une autre allitération encastrée à celle-ci, en [-m] et [-n] : « le fleuve lui-même qui termine mon horizon comme une mer paraît noyé. Le temps ne me dure pas et, tendant l’ouïe, non pas au déclanchement d’aucune heure, je médite le ton innombrable et neutre du psaume. » On a une transition entre le nombre d’allitérations en [-r] qui diminue au profit de l’allitération en [-m], on passe d’une sonorité plus dure à une sonorité plus calme. Cette transition est liée à la diminution de la pluie dans le texte et à un retour au calme.

De nouveaux, on retrouve une période oratoire à cadence mineure dès la première phrase du troisième paragraphe, introduite par l’adverbe « Cependant » qui vient créer une opposition entre la pluie battante et le retour au calme. D’ailleurs la progression des allitérations et l’utilisation d’adverbes donnent une structure télescopique au texte. Cette fois-ci on retrouve dans la période, l’acmé, le point culminant

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