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Explication linéaire La Grenouille qui se voulait faire aussi grosse que le Boeuf

Commentaire de texte : Explication linéaire La Grenouille qui se voulait faire aussi grosse que le Boeuf. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  21 Novembre 2023  •  Commentaire de texte  •  3 100 Mots (13 Pages)  •  258 Vues

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La Fable La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf est la troisième fable du livre 1, c’est une fable tirée de l'œuvre de Phèdre. Ainsi, cette fable s’inscrit dans la continuité des apologues qui ouvrent le recueil. Il s’agit de la première fois que l’on rencontre le personnage de la grenouille, cet animal qui sera réutilisé par la suite dans d’autres fables telles que La Grenouille et le rat. Il y a donc, en creux, un enjeu de caractériser la grenouille, de lui accorder une ébauche de portrait moral. C’est un animal bouffi d'orgueil, enclin à se laisser aller sur la pente de l'ambition et qui se croit capable de réussir dans la perfidie. C’est aussi la seule apparition du Boeuf, un animal qui semble être celui de la constance, le bovin semble dégager une forme de prestance, grandeur qui impose un certain respect. La fable toute entière semble se présenter comme étant une multitude de regards qui se superposent (la perception de la Grenouille, la perception du Boeuf, celle du fabuliste et celle du lecteur). Il semble donc que l’enjeu que la fable cristallise soit la question du regard que l’autre place sur nous et qui, de ce fait, détermine notre valeur, place dans la société.

Lecture de la fable :

Problématique :

← Il s’agira alors de voir comment cet fable concentre en elle des enjeux bien distincts,  c‘est-à-dire d'être un récit plaisant, comique en utilisant le grotesque jusqu’à la chute finale et de proposer un apologue qui fait la satire des moeurs de l’Homme tout en défendant l’ordre naturel des choses, tout en étant entièrement efficace sur les lecteurs.

On peut alors voir à cette lumière trois mouvements dans la fable  :

1er mouvement : v1-3 : la situation et le rapport de force induit par celle-ci

2eme mouvement : v4-10 : un récit qui tourne au ridicule la grenouille jusqu’à la chute comique

3eme mouvement : glissement vers la satire dans l'âme de la fable dénonçant la vanité des hommes (parti de l’ordre naturel des choses et du monde)

1er mouvement : la situation et le rapport de force induit par celle-ci

  • L’entrée dans la fable et la présentation de la situation se fait par l’usage du récit notamment marqué par l’emploi du passé simple “vit” et “sembla” vers 1 et 2. La fable tend, dès ces premiers vers, vers une efficacité qui lui est propre. En ce sens, elle semble poursuivre l’idéal de brevitas recherché au XVIIe siècle en adoptant dans un premier temps l'octosyllabe, si bien que nous avons affaire à un début in medias res sans cadre spatio-temporel pré-établi. Dès ce premier vers, la fable se plie à un rythme rapide avec un premier enjambement, le récit est placé sous le signe de la vivacité

  • Alors que ces deux premiers vers semblent, a priori, ne pas vouloir admettre un quelconque rapport de supériorité entre les deux animaux (il n’y a aucune comparaison ou métaphore reliant les deux), nous sommes forcés de constater qu’il y a bien une dualité entre eux.
  • La Fontaine glisse des indices aux lecteurs qui annoncent la rivalité. Premièrement, l’octosyllabe se divise en deux hémistiches et les deux animaux sont distinctement séparés par la césure. Ensuite, les verbes “voir” et “sembler” indiquent que cette rivalité se fonde sur une question de perception. Le lecteur imagine donc la vision du Bœuf en contre-plongée, le rendant de ce fait supérieur à la Grenouille.
  • De plus, le Boeuf tient une place stratégique dans l'œuvre : placement en fin de vers, à la rime ; il est nécessairement mis en valeur. On peut alors presque sentir se dessiner une sorte d’admiration discrète pour ce Boeuf qui est ici celui que l’on observe (le complément d’objet direct).
  • Le rapport de force se développe légèrement dans le deuxième vers avec cette proposition subordonnée relative introduite par “qui” (antécédent : le Boeuf) : donne de l'intérêt et met encore plus l’accent sur l’animal dont on pressentait la grandeur et l’importance.
  • C’est d’ailleurs sur quoi le vers appuie : “belle taille”, le lecteur visualise alors cette scène et mesure le contraste entre la taille de la Grenouille et celle du Bœuf. L’adjectif “belle” est en fait un euphémisme, il faut sortir de la subjectivité de la Grenouille pour voir sous ce terme les prémices du comique : la Grenouille complètement désinvolte juge le Boeuf qu’elle ne pense pas si éloigné d’elle. Ce rapport de force est rendu possible par les majuscules attribuées aux animaux faisant d’eux des allégories qui représentent des types.
  • C’est à partir du troisième vers que nos impressions se confirment : il s’agit du premier vers véritablement dédié à la Grenouille et on commence déjà par constater que c’est un vers à la métrique impaire (=dissonance). La Grenouille n’obtient donc qu’un vers quand le Boeuf lui s'étend sur deux avec l’enjambement au vers 1.
  • De plus, le pronom personnel “Elle” en début de vers place marque le déplacement de l’attention sur elle, cette emphase est presque accusatrice. Cette fois-ci, on constate un léger changement dans la narration au moment de décrire cette Grenouille : on sent, chez le fabuliste, plus de critique avec notamment l’usage de la négation associée à “en tout” qui insiste sur la petitesse, presque ridicule de la Grenouille comparée à un “oeuf”, c’est une chute burlesque pour la Grenouille.
  • On remarque d’ailleurs que le nom œuf rime avec Boeuf : il s’agit peut-être d’une manière déguisée et amusante pour La Fontaine de dire que la Grenouille n’égalera jamais le Boeuf. On compare non seulement la taille, mais peut-être aussi autre chose puisqu’il ne manque qu’une lettre à œuf pour faire boeuf, une façon de dire qu’il manquera toujours quelque chose à la Grenouille pour [se faire aussi grosse que le Boeuf]. Le ton plus critique et moqueur se joue notamment dans la proposition subordonnée relative qui occupe la quasi-totalité du vers, c’est ici que s’exprime la subjectivité de la fable, cela prépare à la chute qui arrive au prochain mouvement.

2eme mouvement : un récit qui tourne au ridicule la grenouille jusqu’à la chute comique

  • Le vers 4 s’ouvre sur l’adjectif qualificatif “envieuse” qui poursuit le ton critique dont on parlait, nous remarquons aussi la diérèse “en/vi/eu/se” qui non seulement met l’accent sur le défaut de la Grenouille par la disharmonie mais qui en plus rompre avec la rapidité de la fable jusqu’alors.

  • La diérèse est suivit d’une gradation en rythme ternaire de verbes “s'étend, et s’enfle, et se travaille” ← la conjonction de coordination “et” alourdit un peu plus à chaque fois ce long alexandrin (contraste dans la longueur avec les deux premiers vers). Il s’agit également de verbes pronominaux créant une allitération en [s] avec “envieuSE”, “S’étend”, “S’enfle” et “SE travaille” ⇐ un son qui pourrait connote l’artificialité, l’alexandrin n’est que factice. D’ailleurs, il en découle aussi un discours métatextuel avec le vers qui mime l’action de s’étendre et de se gonfler de vide. Ainsi toute l’ambition démesurée de la Grenouille et sa vanité sont dénoncées et surtout moquées par le ridicule qui émane de la scène.
  • Le verbe enfler lui même renvoie à la vantardise et au vide duquel se gonfle la Grenouille, elle est alors coupable d’orgueil et d'hypocrisie puisqu’elle se fait passer pour ce qu’elle n’est pas
  • L’alliteration en [s], comme la longueur du vers, montre aussi tous les efforts faits par la Grenouille pour “egaler l’animal en grosseur”, mais ce sont des efforts vains malgré toute la souffrance que cela lui procure : etymologie de “travaille” ← tripallium : objet de torture, or ici le mot “travaille” est en rime avec “taille” demontrant bien qu’il s’agit de l’objet suscitant la douleur.
  • La fable développe le comique dans ce deuxième mouvement avec l'arrivée du discours direct et la dramatisation : il y a en effet le participe présent “disant” qui montre la simultanéité.
  • Le discours direct qui suit concrétise l'obsession et la vanité de la Grenouille : Il y a dans cet impératif “regardez bien” la volonté de s’imposer autant que le Boeuf en impose.
  • Cela est renforcé par l’incidente “ma soeur”. Ce groupe nominal est loin d'être accessoire puisque le possessif “ma” tente de placer la Grenouille et le Boeuf dans une relation d’appartenance à un même rang social. En effet, le terme “soeur” place les deux protagonistes sur une relation horizontale ← si on poursuit cette lecture sociale/sociétale, on peut ainsi voir en la Grenouille l’individue qui souhaite à tout prix s'élever dans la classe supérieure, alors le Boeuf représente cette classe supérieure admirée (soit dans le cadre de la société du XVIIe siècle Grenouille : bourgeois / Boeuf : noble). La fable prend de plus en plus les contours d’une comédie sociale et notamment celle d’une société du spectacle.
  • On se moque donc de celle qui se donne à voir, celle qui se ridiculise. Le discours direct rend, certes, le comique mais la mise entre guillemets témoigne aussi de la désolidarisation du fabuliste avec ce comportement aux antipodes de l’idéal de mediocritas.
  • La Grenouille est celle qui prend trop de place, qui déborde et ne sait pas être dans la demi-mesure, dans ce juste milieu, cela finit par se refléter sur les vers qui eux-mêmes débordent comme c’est le cas au vers 8 avec le “voilà” qui ne tient plus sur la ligne.
  • Le vers 6 pousse le ridicule de la Grenouille à son paroxysme avec cet alexandrin à la coupe parfaitement régulière (3/3//3/3) afin d'accélérer le rythme et de grossire l’impatience tant de la Grenouille d'être de même taille que le Boeuf, tant du lecteur qui pressent la chute comique. On pourrait presque parler de stichomythies tant l'échange est rapide et dramatisé. Les expressions “M’y voici” et “m’y voilà” ne font que renforcer ce jeu théâtrale et la métaphore autour de la société du spectacle que le fabuliste dénonce : il met précisément en scène devant les spectateurs les caractères à bannir de l’homme.
  • L’effet de suspense est d’autant plus efficace qu’il s’agit là d’interrogations fermées avec une parataxe forte et une négation partielle qui se projette vers le futur avec notamment le “point encore”.
  • Dans tout le dialogue, la Grenouille ne fait que de se ridiculiser, et finalement ce ridicule ne peut que la renvoyer à cette posture inférieure. Malgré le fait qu’elle soit celle qui parle le plus, elle n’est pas celle qui domine ce dialogue : comme il ne s’agit pas de questions rhétoriques, la Grenouille est véritablement dans l’attente d’une réponse qu’elle ne peut pas obtenir sans le Boeuf, elle est en un certain sens dépendante de lui. Si nous reprenons l’analyse sociétale, on peut dire que pour véritablement exister socialement, la Grenouille est dans l'espérance d'obtenir la reconnaissance de ceux qu’elle veut appeler ses pairs. Le comique se trouve alors dans la réponse que lui accorde le Boeuf : réponse à 3 fois négative.
  • “nenni” et “point du tout” sont deux formes nominales, ce qui, d’une part accélère une fois de plus le rythme au sein du dialogue, accentuant davantage le côté comique et plaisant de la fable, et d’autre part donne plus de point aux quelques paroles du Boeuf. En effet, même si la répartition des dialogues semble donner l’avantage à la Grenouille, les phrases averbales ont un effet plus important (esthétique de clarté et de densité, maximum d’effet avec une économie de moyen). La dernière réplique, au vers suivant "Vous n'en approchez point." montre à quel point la Grenouille est loin du compte via cette négation absolue “ne…point” ce qui finit de rabaisser la Grenouille.
  • On note d’ailleurs que les négations sont de plus en plus longue (“nenni”< “point du tout” < “Vous n’en approchez point”) une manière là encore d’affirmer l’impossibilité de la Grenouille à être autre chose que ce qu’elle n’est.
  • C’est donc à la césure du vers 9 que le discours direct s'achève, le fabuliste reprend une plume critique sur la narration sur le second hémistiche qualifiant la Grenouille de “chétive pécore”, cette association de deux mots péjoratifs acheve d’exprimer le parti pris du fabuliste et fait en même temps un rappel à la Grenouille et à sa vanité. L’emploi de “chétive” désigne bien quelque chose de frêle, malingre, presque maladif, elle qui se veut aussi robuste que le Boeuf semble tragiquement et fatalement courir vers la mort malgré l’illusion qu’elle a voulu donner.
  • L’enjambement avec le contre-rejet aux vers 8-9 “La chétive pécore/ S’enfla si bien qu’elle creva” permet de ralentir légèrement le rythme, retardant la chute comique finale. L’humour est aussi entretenu par cette rime croisée et pauvre entre “voilà” et “creva”, c’est comme si la préposition démonstrative opérait un glissement soudain et inopiné vers la mort : c’est de ce décalage que naît également l’humour.
  • Si cette chute est amusante et divertissante à la première lecture, elle apparaît plus grave, les sonorités du verbe “creva” insistent bien sur ce ton plus brutal que prend le fabuliste, il s’agit en effet de la mort de la Grenouille avec au vers 9 l’expression “si bien que” qui dessine une relation cause-conséquence.
  • On commence alors, dès la fin du deuxième mouvement à voir un ton plus moralisateur, avec un rappel de la finitude des êtres vivants, aussi grands cherchent-ils à se montrer et surtout avec la condamnation du péché de l’orgueil dont est coupable la Grenouille (d’autant plus que La Fontaine a côtoyé des sphères jansénistes).
  • Il peut être alors intéressant d’avoir à l’esprit cette proximité avec le jansénisme, notamment pour la lecture plus sociale de la fable puisque La Fontaine fait rimer “encore” et “pécore” et par ce fait, ancre la Grenouille dans une condition dont elle ne peut s'échapper. Cette rime sert aussi l’aspect comique de la chute.

3eme mouvement : glissement vers la satire dans l'âme de la fable dénonçant la vanité des hommes (parti de l’ordre naturel des choses et du monde)

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