Reine de Bal

REINE DE BAL

C’était le moment, l’instant qu’ils avaient tant attendu.  Des robes de soirées, des froufrous, et des escarpins. Des chemises, des cravates et des fleurs. Au lycée de Breston, une petite ville du Sud de la Californie, le bal de fin d’année se tenait dans le gymnase, qui avait été décoré pour l’occasion. Des guirlandes aux projecteurs, le moindre détail avait été soigneusement orchestré par Jane Hawkins. Responsable de l’assemblée des élèves et première de sa classe, elle savait qu’aujourd’hui était son jour. Elle se devait d’être couronnée reine du bal. Ce titre était devenu pour elle une affaire personnelle.

   Trois mois plus tôt, alors qu’elle faisait le tri dans ses vêtements, Jane était tombée sur un short. Il était court, noir et de petites perles nacrées ornaient ses poches arrière. Abimé par le temps, le tissu autrefois doux, était rêche et rigide. Elle le reconnut immédiatement. C’était le short qu’elle avait porté tout l’été précédent. Une fois l’hiver arrivé, il s’était perdu au fond de son placard, entre un pyjama et un maillot de bain. Folle de joie de l’avoir retrouvé, elle l’enfila. Etrangement, arrivé au niveau des hanches, il se bloqua. Elle insista, mais le short était bel et bien devenu trop petit. Le vêtement à la main, elle dévala les escaliers et trouva sa mère dans la cuisine.

- Maman, tu avais remarqué que mon short avait rétréci au lavage ?

- Ma chérie, il n’a pas rétréci voyons ! As-tu compté le nombre de kilos que tu as pris ces deux derniers mois ?

Jane se figea sur place. Ce n’était pas possible, sa mère avait forcément tort ! Elle monta dans sa chambre, enleva son tee-shirt et se regarda dans la glace. Ce qu’elle vit lui donna la nausée. Ses cuisses semblaient avoir triplé de volume. Son ventre était rebondi et avait perdu sa forme plate et lisse. Même ses fesses ressemblaient à une masse grasse et informe.

Le soir, elle se refusa à manger. Le lendemain, elle se leva à cinq heures et enchaîna pompes, gainages et abdominaux durant deux heures. Luttant ardûment contre la faim, elle ne mangea qu’une seule et unique pomme de toute la journée.

Cette mascarade dura une semaine. Puis elle passa au stade supérieur. Pesée tous les matins, suivie d’une séance de sport. Elle en était venue à être dégoûtée par la simple idée de manger un aliment gras ou sucré. La seule personne qui avait remarqué ce changement de mode de vie était Sancha, sa meilleure amie. Elle essaya de lui parler, puis de la mettre en garde. Un jour elle lui dit même :

- Fais attention meuf, ou tu vas finir par devenir anorexique.

- Dis pas n’importe quoi ! lui répondit Jane, Je ne me fais pas vomir, je fais attention à ma santé, voilà tout.

Un jour, elle franchit la ligne rouge. Prise de remords après avoir mangé une minuscule part de gâteau pour l’anniversaire de son frère, elle se força à vomir. Elle était à bout. Elle voulait juste que tout ce sucre sorte de son corps.

Après ça, plus rien ne l’arrêta. Elle rentrait depuis bien longtemps dans son short lorsqu’elle alla acheter sa robe de bal. Dans la cabine d’essayage, face au grand miroir, elle examina pour la énième fois son corps. Sa peau, pâle, laissait entrevoir ses veines. Ses jambes étaient comparables à celles d’un squelette. Ses clavicules saillaient sous sa peau. Son teint avait perdu tout son éclat. Mais dans ses grands yeux verts, la vision qu’elle avait de son propre être lui semblait tout autre. Même si elle pouvait aisément compter ses côtes, son ventre paraissait s’être encore enrobé. Le haut de ses jambes ressemblait à  un vaste bloc de graisse.

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