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Les Mesures D'ordre Interieure

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Par   •  16 Avril 2014  •  5 612 Mots (23 Pages)  •  923 Vues

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Le contrôle de l’administration pénitentiaire par le juge administratif

Institut d’études judiciaires de l’Université de Lille II - Intervention de Jean-Marc Sauvé

Vice-président du Conseil d’Etat

> Discours en deux parties - Lire la suite

La vie pénitentiaire dans notre pays a été marquée par deux grands cycles de réforme et d’humanisation.

Le premier s’est amorcé, dans le contexte et avec les moyens de l’époque, après la Libération. Il est inséparable de l’expérience qu’avaient faites les nouvelles élites politiques issues de la Résistance à la fois du droit pénal et de la détention. Une nouvelle philosophie du droit et de la responsabilité pénale, comme de la peine, a alors émergé. Elle a dans une certaine mesure influencé le régime pénitentiaire qui a commencé à prendre en compte les exigences de la réinsertion.

Un nouveau cycle s’est engagé il y a une quinzaine d’années. Non point que les établissements pénitentiaires aient vécu près d’un demi-siècle d’immobilité : il se sont en effet profondément transformés, d’abord pour faire face à la croissance spectaculaire de la population carcérale qui, après avoir atteint un point bas à moins de 30 000 dans les années 70, n’a cessé depuis lors d’augmenter pour atteindre près de 63 000 personnes([1]) le 1er février dernier, le taux de détention dans notre pays -105 détenus pour 100 000 habitants- étant comparable à celui de l’Allemagne et de l’Italie et très inférieur à celui de l’Espagne et du Royaume-Uni. Mais les capacités d’accueil n’ont jamais pu rejoindre l’effectif de la population carcérale, d’où un constant encombrement de nos prisons.

Ensuite le parc pénitentiaire, dont l’ossature remontait au XIXème siècle, a été profondément rénové avec des tâtonnements architecturaux ponctués d’échecs et de réussites. Enfin, le régime carcéral s’est transformé dans le sens de l’affirmation des droits et de la dignité des détenus : peuvent à cet égard être cités le vote par procuration instauré en 1975 pour les détenus jouissant de leurs droits civiques ou l’allègement des contraintes de la vie carcérale par le décret du 28 janvier 1983, en passant par la reconnaissance du droit aux activités culturelles, sportives ou de loisirs ou par la refondation du système de santé pénitentiaire désormais intégré dans le système de santé de droit commun.

Ces réformes ont toutefois été marquées, dans les années 70 et surtout 80, par de violentes polémiques qui se sont fortement atténuées, sinon éteintes, depuis une quinzaine d’années.

Un nouveau cycle s’est donc ouvert dans la vie pénitentiaire. Il est marqué par l’intérêt que le public porte, de manière désormais beaucoup plus consensuelle, aux questions et aux enjeux pénitentiaires. Il se traduit par un engagement renouvelé des pouvoirs publics ‑Gouvernement et Parlement- sur ces sujets : c’est ainsi qu’un rapport a été fait par le Premier président Canivet en juillet 1999 sur le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires : en est issue la création par la loi du 30 octobre 2007 d’un « contrôleur général des lieux de privation de liberté […] chargé, sans préjudice des prérogatives que la loi attribue aux autorités juridictionnelles, de contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux »([2]).

Les assemblées parlementaires ont de leur côté effectué plusieurs enquêtes sur la vie pénitentiaire. La loi et le décret ont reconnu aux détenus de nouveaux droits procéduraux avec le décret du 2 avril 1996 qui a redéfini le régime disciplinaire des détenus, puis l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations qui a refondé les droits de la défense en milieu pénitentiaire et débouché sur plusieurs décrets importants([3]).

L’intérêt nouveau porté aux questions pénitentiaires, qui s’inscrit dans un projet jadis préconisé par Jean Favard et désormais largement partagé de passage d’un statut de « détenu‑sujet » à un statut de « détenu-citoyen », a été également très soutenu par les instances européennes. Le Conseil de l’Europe a ainsi adopté dès 1973 des « règles pénitentiaires européennes » destinées à promouvoir des standards de détention communs et protecteurs, qui ont été révisées en 1987 et qui ont fait l’objet d’une recommandation du comité des ministres le 11 janvier 2006([4]). Le « Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants » effectue de son côté des enquêtes régulières en milieu pénitentiaire, dont la première dans notre pays a eu un grand retentissement en octobre-novembre 1991. Ces enquêtes qui ont mis à jour certaines graves insuffisances de notre système pénitentiaire ont constitué autant de points d’appui pour des mises à niveau et des progrès.

Enfin, la Cour européenne des droits de l’homme -qui consacre un tiers de ses décisions à des litiges relatifs aux détenus- est l’un des vecteurs déterminants de l’amélioration et de l’harmonisation des droits des détenus en Europe. C’est cette Cour qui, dans l’arrêt du 28 juin 1984 Campbell et Fell c/Royaume-Uni([5]), proclame ainsi que « Comme le montre l’arrêt Golder, la justice ne saurait s’arrêter à la porte des prisons et rien, dans les cas appropriés, ne permet de priver les détenus de la protection de l’article 6 [de la convention] », incitant ainsi les Etats à repenser les conditions de vie, le statut et les droits des détenus. Sa jurisprudence a puissamment inspiré la jurisprudence administrative française, sans cependant rendre compte de tous ses développements qui sont en partie autonomes.

Je viens seulement d’évoquer le juge administratif : la rencontre de ce juge avec les prisons a été tardive. Comme le dit mon collègue Mattias Guyomar dans les Mélanges offerts en l’honneur du professeur Jégouzo, « le juge administratif fut historiquement réticent à pénétrer dans l’univers carcéral ». Et pourtant l’enjeu du contrôle de l’administration pénitentiaire est essentiel. Il s’agit à la fois d’assurer la protection des droits fondamentaux des personnes incarcérées et d’assurer le fonctionnement régulier d’un service public dont la mission est extrêmement difficile en l’absence de consentement de ses usagers et, par conséquent, en raison des contraintes lourdes d’ordre et de sécurité

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