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Commentaire de la tirade d'Yvan dans "Art" de Yasmina Reza

Commentaire de texte : Commentaire de la tirade d'Yvan dans "Art" de Yasmina Reza. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  7 Novembre 2018  •  Commentaire de texte  •  9 183 Mots (37 Pages)  •  5 054 Vues

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Introduction : Après des études de sociologie et de théâtre, Yasmina Reza s’adonne pleinement à l’écriture. Elle se fait d’abord connaître par des pièces de théâtre : sa première pièce, Conversations après un enterrement, écrite en 1983-1984 et jouée en 1987 lui fait obtenir sa première récompense littéraire et marque le début de sa collaboration avec Patrice Kerbrat, qui montera aussi ses autres pièces. « Art » marque le triomphe du théâtre de Yasmina Reza en même temps que sa révélation au grand public. Créée en 1994, la pièce reçoit deux Molière : celui de meilleur spectacle privé et celui de meilleur auteur. Elle est alors montée partout dans le monde et traduite dans une vingtaine de langues. Yasmina Reza diversifie ses productions, écrivant des scénarios pour le cinéma, des récits et des romans. Mais c’est son théâtre qui fait sa célébrité internationale ; adapté dans plus de trente-cinq langues, joué et publié dans le monde entier, il allie la légèreté du ton à la gravité du propos : solitude rédhibitoire [= sans remède] de l’être humain et vanité des entreprises humaines.

Ainsi la pièce « Art » mêle comédie de mœurs, réflexion sur les rapports humains tout en interrogeant l’art et le langage. Serge, amateur d’art contemporain, a acheté le tableau d’un peintre coté représentant un liseré blanc sur un fond blanc, ce qui lui vaut les moqueries et critiques blessantes de son ami Marc. Yvan, troisième élément du trio d’amis, est appelé à la rescousse pour trancher le différend entre ses deux amis. Il se garde pourtant de contredire ni l’un ni l’autre et n’a pas encore été véritablement confronté à ses contradictions. On est au moment crucial de la pièce où Serge et Marc attendent avec impatience Yvan pour une soirée au cinéma et au restaurant, où la tension entre eux monte et où le spectateur (ou lecteur) attend avec la même impatience de voir enfin réuni sur scène le trio et de voir ce que va donner cette confrontation d’Yvan avec ses propres atermoiements et contradictions. Or Yvan arrive avec presque une heure de retard et se lance, en guise de salut et d’excuse, dans une longue tirade tout à fait décousue ne laissant aucun temps mort qui permettrait à ses amis de s’exprimer. Ce morceau de bravoure vaut à chaque représentation un franc succès à l’acteur.

Quels sont les enjeux de cette tirade ?

I – Un récit mise en abyme : du théâtre dans le théâtre

II – Yvan : un clown triste

III – Le rôle et les limites de la parole

I – Un récit mise en abyme : du théâtre dans le théâtre

1/ Un récit ?

Yvan raconte les discussions qu’il a eues avec sa fiancée et sa mère au sujet du carton d’invitation à son mariage.

• Il s’agit bien d’un récit au sens théâtral du terme, qui relate donc des événements qui ont eu lieu hors-scène, comme c’est le cas ici avec la conversation d’Yvan avec Catherine et avec sa mère, par téléphone.

• Ce type de récit est au passé, mais en réalité la plupart du temps au présent de narration pour rendre plus vivantes des actions que l’on ne peut pas montrer sur scène pour des raisons de mise en scène ou de bienséance concernant la tragédie classique [comme dans les exemples célèbres du théâtre classique que sont le récit de la bataille contre les Maures débarquant sur le sol espagnol dans Le Cid de Corneille, ou le récit de Théramène dans Phèdre de Racine, racontant la mort d’Hippolyte tué par des propres chevaux effrayés par un monstre sorti des flots alors qu’Hippolyte longeait la mer sur son char]. Ici, Yvan commence par exposer la situation/le problème au présent puis continue avec le récit proprement dit au passé composé « j’ai suggéré » l.698, « Catherine a hurlé » l.701, entremêlé de commentaires au présent. Puis il enchaîne au présent de narration, en plein milieu de phrase, en réponse aux protestations de Catherine, « je finis » l.704, et poursuit ainsi avec « j’accepte » l.705, « je téléphone » l.707, « je lui dis » l.707, « elle me répond » l.709 etc. Ainsi Serge et Marc, et les spectateurs, sont placés au cœur de l’action racontée, dynamisée par le présent qui renforce l’impression de rapidité.

• Au bout d’une dizaine de lignes apparaissent des paroles rapportées, d’abord au discours indirect, comme c’est fréquemment le cas dans un texte narratif, ce qui efface la limite entre paroles et récit au profit du récit : « j’ai suggéré qu’aucun parent n’y soit » l.698-699 rapporte au discours indirect une réplique d’Yvan dans un dialogue avec Catherine qui réagit l.701 [avec ensuite des présents d’énonciation ambigus, évoquant une situation durable proche de la vérité durable/générale, présents intermédiaires entre le discours indirect libre(présent d’énonciation élargi à valeur durable) et l’explication donnée par le narrateur à l’adresse de son auditoire (intervention du narrateur au présent d’énonciation) -> parole rapportée ou intervention du narrateur ?] ; puis récit de la réaction de Catherine avec ses paroles au discours indirect « Catherine a hurlé, arguant que c’était une gifle … sa fille » (l.701-704) avec verbe introducteur « arguant », subordination (« que… ») et transposition des temps dans un contexte au passé (imparfaits « était, payaient » au lieu du présent, plus-que-parfait «s’était donné » au lieu du passé composé) ainsi que transposition des personnes (3ème personne « ses parents », « sa belle-mère », « elle n’était » au lieu de la 1ère [au discours direct on aurait « C’est une gifle pour mes parents qui payent… pour ma belle-mère qui s’est donné tant de mal alors que je ne suis même pas sa fille »].

• Puis au présent de narration vient se mêler le présent d’énonciation de paroles rapportées directement telles quelles à partir de la l.711, celles d’Yvan et celles de ses interlocutrices, paroles où le « je » désigne tour à tour chaque interlocuteur. Au lieu du discours indirect fréquent dans un récit on a de plus en plus de discours direct, parfois avec incise : l.722 « me dit-elle », l.733 « s’écrie Catherine », l.737 « me dit ma mère ».

• La part de récit traditionnel (paroles rapportées au discours indirect) se réduit donc aux l.690 à 707 et 725 à 727, 736-737, 748-749, donc au total environ, avec toutes les incises, 25 lignes pour une tirade de 73 lignes, soit un tiers de la tirade.

• Cependant le discours direct est présenté

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